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Les ingénieurs algériens face au marché du travail

mardi 17 mai 2005, par Stanislas

Dans un pays où tout ce qui se vend et se réalise est conçu à l’étranger, il y a assurément peu de place pour un ingénieur de conception algérien quand bien même il sortirait de l’Ecole polytechnique d’El Harrach.

Quand il a la chance d’être recruté, l’ingénieur algérien fraîchement diplômé, c’est en effet pour aller grossir la pléthore d’ingénieurs d’application sous-payés et relégués à d’ennuyeux travaux de suivi, qui caractérisent nos entreprises, notamment celles du secteur public. De ce traumatisant premier contact avec le monde du travail, notre ingénieur perdra ses espoirs de cadre, promis à un bel avenir dans son pays, pour lorgner avec obsession vers l’étranger où les chances d’une percée sociale seraient autrement plus grandes. Ce constat empirique qui saute aux yeux des observateurs du marché algérien du travail, deux élèves ingénieurs de l’Ecole polytechnique d’El Harrach, Hania Bouzidi et Mohamed Amine Benmesbah, ont su le mettre à la faveur d’une enquête pilotée par le sociologue Mohamed Benguerna. L’analyse de contenu, portant sur 70 annonces d’offres d’emploi au profit d’ingénieurs parues dans quatre quotidiens nationaux entre janvier et mars derniers, aboutit déjà à des conclusions pour le moins surprenantes.

L’offre du privé

D’entrée de jeu, on apprend que, s’agissant des ingénieurs, le secteur public n’est plus l’offreur dominant qu’il était jusqu’au milieu des années 1990. Les entreprises privées algériennes constituent aujourd’hui environ 60% de l’offre et si on ajoute les sociétés privées étrangères (20%) et les sociétés mixtes (5%), ce sont pas moins de 85% des annonces qu’il faut à l’évidence mettre à l’actif du secteur privé. C’est dire l’importance de la mue qu’est en train de faire l’économie algérienne, notamment sous l’angle du marché du travail de l’ingéniorat, autrefois entre les mains exclusives du secteur public et aujourd’hui largement dominé par les offreurs privés. L’autre constat surprenant, révélé par l’enquête, est le peu de places réservées à la langue arabe, alors qu’elle avait occupé une place non négligeable dans le cursus scolaire des demandeurs d’emploi concernés.

Dans 80% des annonces étudiées, il est exigé un bon niveau, voire même un très bon niveau en français et, dans 42%, il est souhaité qu’un bon niveau en anglais s’y ajoute. Un bon niveau en langue arabe n’est exigé que dans 7% des annonces exploitées par nos deux enquêteurs. C’est dire le décalage qu’il y a entre le discours officiel portant généralisation de la langue arabe et la réalité du marché de l’emploi. La mondialisation de l’économie est appelée à exacerber davantage cette contradiction. L’usage de l’outil informatique est également perçu comme une nécessité devenant problématique pour nos ingénieurs en quête d’emploi, notamment lorsqu’il leur est exigé la maîtrise parfaite de certains logiciels pour lesquels ils ne sont pas formés. Autre écueil mis en relief par l’enquête, l’expérience professionnelle requise des candidats aux postes d’ingénieurs, objets des annonces.

Contraintes et obligations

Plus de 65% des entreprises exigent une expérience minimale de 5 années. L’écrasante majorité des candidats se trouvent ainsi écartée d’autant plus que rares sont les étudiants qui ont bénéficié de stages pratiques durant leurs années de formation. L’obligation du service national et la limite d’âge de recrutement (entre 30 et 35 ans) compliquent davantage le problème de ces jeunes ingénieurs en quête d’un premier travail. Enfin, et c’est sans doute la conclusion la plus importante de l’enquête, les annonces exploitées révèlent que les missions qui seront dévolues aux ingénieurs recrutés consistent en tâches essentiellement technico-administratives (71%), les missions purement techniques pour lesquelles ils ont été formés ne représentant qu’environ 39%.

Se pose alors un grand problème pour ces ingénieurs à qui on demande de diriger des équipes, de concevoir des stratégies, voire même de gérer des unités économiques, sachant que leur cursus de formation est fait très peu, pour ne pas dire pas du tout, des sciences sociales (sociologie et psychologie industrielles, éléments de management et de comptabilité, etc.) en l’absence desquelles un gestionnaire navigue à vue. Les débats qui ont suivi les exposés ont mis en exergue la nécessité pour l’enseignement supérieur technique de s’ouvrir aux sciences sociales et aux langues, notamment l’anglais. De faire en sorte que l’enseignement de l’informatique embraye avec les réalités du marché qui exige la parfaite maîtrise des logiciels universellement utilisés. L’épanouissement professionnel des ingénieurs des grandes écoles dans les filières de conception est, quant à lui, dépendant du type d’économie dans laquelle s’engage le pays.

Si notre économie reste, comme c’est actuellement le cas, essentiellement importatrice, il y aura peu de place pour la conception. Si celle-ci devient productive et exportatrice, les choses pourraient évidemment changer positivement. Il est tout même important de souligner que, en matière d’emploi, les ingénieurs fraîchement diplômés sont mieux lotis que leurs aînés qui n’avaient, on s’en souvient, que le secteur public pour unique débouché. L’éventail de choix est, comme le révèle du reste l’enquête, plus large (public, privé, national et étranger) avec en prime la possibilité pour chaque ingénieur de créer sa propre affaire. Ce qui était impensable il y a de cela à peine 15 ans.

Par Grim Nordine, elwatan.com