Accueil > ECONOMIE > Marché de l’or en Algérie

Marché de l’or en Algérie

mardi 25 janvier 2005, par Hassiba

Depuis le début de l’année, le marché de l’or en Algérie a entamé sa métamorphose. Ainsi en avait décidé la Direction générale des impôts (DGI). Préalablement, d’importantes décisions avaient été prises dans ce sens par le gouvernement.

Elles sont applicables depuis janvier 2005.Les plus importantes portent sur la levée du monopole de l’Etat sur l’importation de l’or brut et ouvrages finis, la mise en place de neuf nouveaux poinçons de garantie, la création d’une brigade spécialisée dans les enquêtes et les investigations tant auprès des importateurs et des commerçants qu’auprès du large public.

Cette démarche est au cœur du dispositif que la DGI a mis en place pour normaliser et adapter l’appareil productif du marché algérien et aligner le pays sur la réalité du marché international de l’or. C’est dans ce cadre qu’interviennent les neufs nouveaux poinçons. Trois de ces poinçons sont destinés à garantir l’or à importer et l’or à exporter et les ouvrages d’occasion ou d’origine inconnue. Et si deux autres poinçons sont spécifiques aux objets en platine et trois pour ceux en argent, le dernier poinçon concerne les produits d’orfèvrerie. Ce dispositif ressemble fort à une reprise en main d’un marché tacitement placé sous le contrôle des barons de la grande spéculation. Il offre à la DGI de présenter ses nouvelles « griffes impôts ». Les anciennes « griffes » étaient devenues sans effet car le marché national était voué aux faux poinçons. Ce remue-ménage est la conséquence d’un affaiblissement chronique des interventions de l’Etat et de la spéculation effrénée dans l’univers opaque du marché national de l’or. Dans leur stratégie visant à assainir le marché national, les responsables de la DGI veulent démontrer qu’il ne s’agit pas de simples mesures de routine. L’état des lieux qu’ils ont établi après plusieurs mois d’enquête sur le terrain a révélé de nombreuses anomalies, dont notamment le développement massif de faux poinçons, l’absence de toute marque, la vente et la fabrication illégale de l’or et d’autres objets précieux. Des anomalies que des cadres ont imputées à l’arrêt, depuis 1984, de l’importation de l’or par l’Etat via l’entreprise Agenor.

D’autres cadres ont estimé que cet arrêt a ouvert toutes les portes au marché informel animé par des circuits hermétiquement fermés à toute possibilité d’infiltration. « L’absence d’importation de l’or dans notre pays a ouvert la voie à toutes les dérives. Notre marché est aujourd’hui inondé d’or issu des importations frauduleuses, de la récupération des bijoux sous la forme d’« or cassé », du façonnage et de leur remise sur le marché sous une fausse garantie. Avec ses 18 carats, l’or algérien est l’un des meilleurs au monde », a indiqué M. Messikh, cadre auprès de la DGI. Et d’ajouter : « L’année 2005 a été consacrée par notre tutelle comme étant celle de la reprise en main de ce marché et de son assainissement. » La fermeté des propos de ce cadre tout autant que ceux de bon nombre d’autres de ses collègues est arrivée aux oreilles des spéculateurs. La panique déjà déclenchée par cette information dans le milieu de ce qui est qualifié de « mafia de l’or » n’est pas injustifiée. Elle est motivée par l’ouverture totale du marché à l’importation sur présentation d’un agrément ainsi que de la mise en place des neuf nouveaux poinçons. Ils ont été réalisés par la DGI française. Celle-ci est également chargée de suivre et d’accompagner l’application de ces poinçons que l’on affirme être inimitables.

Un enjeu de taille
Informés de la mise en application de ce nouveau dispositif avec les nouveaux poinçons, des bijoutiers ont applaudi, estimant ainsi que la situation du marché de l’or en Algérie était devenue intenable et que son assainissement est incontournable. L’illégalité de tout ce qui touche au commerce de l’or en Algérie était maintenue par les animateurs des réseaux spécialisés dans l’importation de ce métal précieux. Ces réseaux sont principalement implantés en France, Suisse, Turquie et surtout Italie.

Apparemment bien huilés, ils étendent leurs tentacules dans toutes les régions du pays, particulièrement aux « bourses » de l’or : M’sila et Alger. Les plaques tournantes du vaste trafic de l’or sont Tébessa, Batna, Constantine, Guelma et Oran. « L’infiltration de ces réseaux relève d’une mission impossible car leurs animateurs sont d’une extrême prudence. Ils sont très puissants et très influents dans les rouages de l’Etat. Pour eux, introduire d’importantes quantités d’or via nos frontières est un jeu d’enfant. Avec un prix du lingot variant entre 1,3 et 1,5 million de dinars, l’enjeu est de taille. Leur puissance a été récemment mise en relief par une importation frauduleuse de lingots de 24 carats frappés du sceau de la Fédération Suisse. Tout autant que les armes et la cocaïne, l’or à 24 carats est strictement interdit en Algérie. Or, on le trouve très facilement », a indiqué un bijoutier à Guelma ayant requis l’anonymat. Stimulés par des pouvoirs publics étrangement passifs quand il s’agit de trafic d’or aux frontières, les trafiquants, audacieux plus que jamais, ne connaissent plus de limites. Après l’or suisse, ils ont jeté leur dévolu sur celui italien de 750 millième (18 carats) également interdit d’importation et de commercialisation. Ce qui n’est pas le cas au regard des vitrines bien achalandées de toutes les régions du pays. « Ces réseaux entretiennent de bonnes relations avec de gros fournisseurs français et suisses. Ceux auprès desquels nous nous approvisionnons ne sont que de petits intermédiaires activant sous les ordres des barons qui agissent dans les coulisses », a affirmé le même bijoutier. Il a par ailleurs précisé que le marché de la joaillerie haut de gamme (diamant et autres pierres précieuses) frauduleusement importée et celui des ouvrages rares ou antiques sont en plein essor dans notre pays.

Ces mêmes caractéristiques d’anarchie, d’importation frauduleuse et de commerce illicite en Algérie sont décelables au niveau du marché des Louis d’or de différentes valeurs. Elles sont dénoncées par de nombreux petits bijoutiers en activité dans les wilayas de Annaba, Guelma, Tébessa et Skikda. Plusieurs ont été unanimes à le reconnaître. « Frauduleusement importées, les pièces de Louis d’or Napoléon de 18 carats de différentes valeurs sont commercialisées sur le marché informel. Au prix variant entre 500 et 30 000 DA, elles sont très demandées. Ce qui n’est pas le cas des pièces (Louis) à 7 g frappées de l’effigie de l’Emir Abdelkader. Ces pièces de 22 carats, bien que disponibles au Trésor public, ne sont pas demandées. A 8000 DA/unité, leur prix n’encourage pas grand monde à les acquérir. A mon avis, c’est fait à dessein pour contraindre les clients à recourir au Napoléon », a estimé Abdelaziz B., joaillier à Annaba. Alger et M’sila étant considérées comme les deux plus importantes « bourses » informelles de l’or en Algérie, mais c’est Guelma qui s’arroge le titre de capitale du trafic des Louis d’or. Aucune de ces pièces ne peut être commercialisée en Algérie sans avoir préalablement transité principalement par cette wilaya. « Les contrôleurs utilisent tous les subterfuges, y compris celui de nous conseiller de vendre discrètement les Louis Napoléon. Ensuite, ce sont ces mêmes contrôleurs qui interviennent pour procéder à la saisie après avoir préalablement utilisé des clientes comme appâts », a déclaré Mohamed Rédha M., un des plus gros bijoutiers spécialistes du marché des Louis Napoléon à Annaba. La garantie des Louis Napoléon ou tout autre bijou or, platine ou argent fait partie du domaine de l’hypothétique dans notre pays.

Ceux réellement frappés de la garantie des impôts, même exposés en vitrine, sont des « denrées rares ». La pratique du faux poinçon est généralisée. Sous ses multiples facettes, il est fabriqué sur commande auprès des spécialistes italiens, turcs, malaisiens et thaïlandais. Le coût élevé - 165 DA/g - fixé par les services de garantie est pour beaucoup dans la préférence qu’accordent les bijoutiers algériens au faux poinçon en contrepartie de 30 DA/g. « Conscients du problème que posent les faux poinçons, nos responsables ont décidé d’en confectionner de nouveaux pratiquement inimitables. Ces derniers seront exploitables dès janvier 2005. Toutes les mesures, y compris l’arsenal juridique, ont été prises pour assainir le marché national.

Cet assainissement interviendra dès la finalisation de l’arrêté ministériel devant réglementer la levée du monopole », a argumenté M. Messikh. Interrogés sur les nouvelles dispositions et sur la levée du monopole de l’Etat sur l’importation de l’or, de nombreux bijoutiers ont estimé : « Cette levée n’arrangera pas les affaires des petits artisans, mais fera le bonheur des barons. Elle n’est pas faite pour nous qui restons tributaires de ces derniers, du reste très influents dans les hautes sphères de l’Etat. »

Par N. Benouaret, El Watan