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Mort clinique du textile algérien

mardi 17 mai 2005, par nassim

A la veille de la mise en oeuvre de l’accord d’association avec l’UE et plus tard l’adhésion de l’Algérie à l’OMC, monsieur M’Rakach, président de la Confédération algérienne du patronat « CAP », qui compterait dans ses rangs plus de 71% des 4.600 industriels affiliés aux associations patronales, a bien voulu faire part au Quotidien de ses impressions s’agissant de la filière algérienne du textile, la plus menacée par ces deux événements qui se profilent à l’horizon le plus proche...

Le Quotidien d’Oran : Monsieur M’Rakach, comme prévu, cet entretien sera consacré uniquement à la situation du secteur industriel du textile et aux problèmes auxquels celui-ci ferait face. Que vous suggère la situation de cette filière industrielle au plan général ?

B.M. : « En vérité, il s’agit d’un secteur complètement sinistré. On peut situer historiquement le début de sa dégradation au début des années 1990 lorsque le marché algérien a commencé à s’ouvrir en direction de l’extérieur. Il faut cependant remonter à plus loin et considérer trois étapes dans cette dégradation. La première est celle qui a précédé l’ouverture en question alors que le secteur industriel privé et public qui avait connu des investissements massifs dans les années 1970 à 1985 se devait de renouveler ses équipements technologiquement obsolètes car comptant plus de vingt ans d’âge, ne pouvait le faire faute de moyens, le pays traversant une crise financière qui avait pris naissance en 1986 et qui ne s’est estompée que vers les années 2.000. La seconde a été celle de l’ouverture du marché qui a fait que les produits algériens ne pouvaient soutenir la concurrence de produits obtenus ailleurs par des moyens technologiques plus performants. La troisième est celle qui correspond au renforcement du « trabendisme » à partir de l’année 1994 avec l’accroissement des importations sauvages qui se poursuivent et qui ont donné naissance à ce marché de l’informel qui s’est diversifié et renforcé par la suite par la variété des produits offerts, menaçant aussi d’autres filières industrielles. Brièvement résumé, on peut parler de période de stagnation ensuite celle de la détérioration puis enfin de la mort de cette filière dans le pays... Aujourd’hui on peut dire que 95% des textiles consommés en Algérie sont des produits d’importation, les produits algériens, qu’ils soient produits par le secteur public ou le secteur privé, ne participeraient que pour 5% et lorsque je parle de production locale je ne fais référence qu’à la production privée, la production publique ayant quasiment disparu... A moins d’un miracle, aujourd’hui ce secteur semble complètement perdu pour le pays. Il n’y aurait quasiment rien à faire pour qu’il puisse reprendre pied sur le marché national... »

Q.O. : Quel est celui des deux secteurs, privé ou public, qui serait apte à recevoir ce « miracle » c’est-à-dire qui pourrait être redressé en y mettant les moyens ?

B.M. : « Je le répète encore, les deux secteurs sont dans un état lamentable, les deux souffrent des mêmes maux, celui d’abord d’accuser un retard technologique trop important ensuite le fait d’avoir été supplanté du marché par les »trabendistes » qui y imposent leurs lois s’agissant des produits offerts et des prix pratiqués, ce sont les trabendistes qui font en quelque sorte la mode en habillant les Algériens... S’agissant du retard qu’accuseraient le secteur privé et le secteur public, il revêt à mon avis les deux aspects suivants, celui de l’absence de qualité au niveau de la production et celui de la faible productivité du travail dans le secteur. Comparativement à ce qui se fait à l’extérieur, ces deux éléments traduisent s’il en est besoin cette impossibilité de rattrapage dans laquelle se trouverait cette industrie chez nous... »

Q.O. : Pourriez-vous en quelques traits essentiels nous dire quelles seraient selon vous les solutions qui devraient être mises en oeuvre pour sauver ou tout au moins préserver une partie de cette industrie, ce qui veut dire sauver aussi une partie des métiers qui y sont pratiqués et avec eux la main-d’oeuvre ?

B.M. : « J’avais déjà parlé de retard technologique important qu’accuserait l’industrie algérienne du textile. Il faudrait prioritairement s’y attaquer en engageant une politique énergique de renouvellement des équipements, dans cette politique l’Etat devrait être présent par ses aides qui peuvent revêtir différentes formes. Il faudrait aussi que la filière définisse sa stratégie commerciale en vue d’organiser le marché laissé jusque-là au bon vouloir des « trabendistes ». L’ouverture du marché et le développement de l’informel doivent être repensés dans une stratégie de défense de la filière nationale. L’Etat qui réfléchit actuellement à une politique de contrôle de « l’informel » par le biais de mesures spécifiquement administratives devrait intégrer les professionnels de la filière par le biais de leurs associations en vue d’examiner la possibilité de lier les aspects administratifs aux aspects commerciaux, par le contrôle et la régulation du marché des textiles car ce sont ces professionnels qui souffrent du développement de ce marché de l’informel. Il faudrait de 4 à 5 ans pour qu’existe à nouveau une filière algérienne du textile dont les produits seraient compétitifs sur le marché national... »

Q.O. : Est-ce que selon vous il serait possible d’unifier les « malheurs » des deux secteurs, privé - public, unification qui passerait par le rachat par le capital privé national des entreprises publiques du textile, en vue d’apporter une médication unique une fois le secteur unifié dans ses méthodes de travail et dans ses objectifs ?

B.M. : « Cela fait depuis bien longtemps qu’à la CAP nous demandons à l’Etat de se retirer des activités de production et de commercialisation des produits marchands, le secteur privé est preneur de tout ce que l’Etat voudra vendre. Nous émettons cependant une seule condition, que l’Etat nous accompagne dans les opérations de refondation de cette filière car il ne s’agit pas d’une petite opération de mise à niveau mais bien de refondation de la filière et cette refondation nécessite beaucoup de moyens... Nous sommes par ailleurs pressés par le temps. Dans cet accompagnement, il faut inclure tout ce qui est facilitation des procédures administratives relatives à l’accès aux crédits bancaires, aux autorisations diverses avec une fiscalité particulière qui ne soit pas pénalisante ainsi que sur les autres aspects juridiques liés aux transferts de propriété par exemple sur les entreprises acquises ou sur des terrains, etc. En contrepartie, nous nous engagerons à sauver l’emploi car ceci aussi nous concerne parce qu’il serait injuste de considérer que le secteur privé ne recherche qu’à mettre de l’argent dans sa poche. Nous avons d’autres motifs de satisfaction que ceux qu’on nous prête généralement. Il faut retenir que la vente des entreprises publiques industrielles du textile revient à vendre des bâtiments et du terrain et uniquement cela, car l’outil de production est mort et bien mort et mort aussi l’est le savoir qui allait avec lui... »

Q.O. : Qui, selon vous, devrait réfléchir aux solutions à apporter à cette filière, les pouvoirs publics, les associations patronales ou les SGP (les Sociétés qui gèrent les entreprises publiques), ou les trois à la fois ?

B.M. : « Les trois évidemment en même temps, de la même manière nous ne somme pas contre la participation des partenaires sociaux, les représentants des travailleurs devraient aussi participer à cette action de sauvetage qui intéresse le pays et les travailleurs. Cependant il faut bien que les uns et les autres partent du principe que l’élément central de la réflexion doit être d’abord et avant tout l’entreprise. Tout doit tourner autour de l’entreprise, en sauvant l’entreprise on sauve l’emploi. Le contraire n’est pas vrai. En sauvant l’entreprise, on garantit des rentrées fiscales à l’Etat le contraire n’est là aussi pas vrai d’où donc la nécessité de s’imprégner de cet impératif dans toute discussion qui concerne l’économie du pays... »

Q.O. : Actuellement il est mis en oeuvre des programmes de mise à niveau avec l’aide de l’UE et celle de l’Etat algérien. Dans quelle catégorie placez-vous ces opérations dans le cadre de la refondation de la filière ?

B.M. : « Ces opérations peuvent aider mais elles ne représentent pas la solution à apporter. Celle-ci, comme je l’ai déjà dit, consiste à engager une politique de refondation de la filière car ce secteur est mort en Algérie. C’est pour cette raison qu’il faut repenser les fondements mêmes de cette filière et la rebâtir sur des éléments en mesure de soutenir la concurrence féroce des produits importés. Ce secteur bénéficie par ailleurs dans tous les pays du monde, et je ne prends pour exemple que ce qui se passe en Europe avec l’intrusion des produits chinois actuellement et avant eux les produits des pays de l’Asie du Sud-Est, d’aides de l’Etat sous forme de subvention principalement et autres dispositions fiscales avantageuses. Les filières européennes et américaines se sont organisées en pratiquant une politique qui vise à consolider les sous-secteurs de la filière susceptibles d’être conservés sur leur territoire national à partager le travail entre centre national s’occupant du design et des finitions et en sous-traitant la fabrication des produits avec un pays en développement. Ce sont les fameuses délocalisations et enfin en laissant le bas de gamme aux pays en développement dont la Chine qui arrive sur les marchés du monde entier avec des prix quasiment imbattables... »

Q.O. : Sur toutes ces questions, avez-vous présenté au Gouvernement des propositions visant à sauvegarder ce qui reste encore menacé par l’accentuation de l’ouverture du commerce extérieur du fait de la prochaine mise en oeuvre de l’accord avec l’UE et de l’adhésion de l’Algérie à l’OMC ?

B.M. : « La CAP produit tous les ans des documents en rapport avec la préparation des lois de finances lesquels contiennent les propositions que les professionnels de la CAP jugent utiles à la consolidation du secteur productif national. Nous avons de fait été auditionnés à plusieurs reprises par la Commission des finances de l’Assemblée nationale, ce qui est une très bonne chose en soi, les députés de la nation doivent s’imprégner de nos difficultés pour comprendre nos demandes. Nos propositions touchent tous les aspects économiques qui concernent l’entreprise, la fiscalité, le commerce de l’informel, les dispositions juridiques, le système financier et bancaire etc. Nous avons aussi fait des propositions s’agissant des prochaines échéances d’intégration dans l’économie régionale euro-méditerranéenne et dans le monde, sur aussi les questions de mise à niveau. Beaucoup de nos propositions ont été prises en considération, beaucoup aussi ne l’ont pas été. Il serait fastidieux de passer en revue ce qui a été retenu de ce qui ne l’a pas été, il s’agit maintenant d’aller vite et il appartient aux pouvoirs publics de prendre les initiatives pour que les uns et les autres participent au renouveau de cette filière et de bien d’autres filières qui se trouvent elles aussi fortement menacées par les deux échéances annoncées... »

Q.O. : Y a-t-il encore de l’espoir pour cette filière ?

B.M. : « Oui, évidemment, mais un grand effort doit être fait pour rendre ce secteur éligible au marché ouvert, aller directement à son remodelage et abandonner les petites retouches qui ne servent qu’à retarder l’inéluctable échéance... »

Par B. Hachemane, quotidien-oran.com