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Nouvelle politique de l’eau en Algérie

mardi 25 janvier 2005, par Hassiba

En Algérie,le passage de 2004 à 2005 s’est opéré sous le signe de l’eau avec ces deux informations capitales : en décembre 2004, le gouvernement a décidé d’augmenter le prix de l’eau à partir de janvier 2005 et le Conseil des ministres a ficelé le projet de loi sur l’eau qui sera soumis à l’Assemblée populaire nationale en 2005.

Les augmentations des tarifs de l’eau paraissent dérisoires, mais c’est une première tranche : 2,50 DA pour l’eau potable, 1 DA pour l’assainissement et 1DA à 1,25 DA pour l’eau d’irrigation. Le prix de l’eau n’avait pas changé depuis 1995 pour l’eau potable et 1998 pour l’eau d’irrigation. Quel sera l’effet de ces augmentations sur la gestion de la demande et sur la couverture du coût réel de l’eau ? Même quand les compteurs sont en place et qu’ils sont relevés régulièrement, la facture envoyée aux clients n’est pas acquittée par tous. On dit que seuls 30 % des clients paient l’eau mais, sur cette question, il y a absence de statistiques et de données fiables dont la collecte a été rendue difficile par la dispersion des structures qui intervenaient dans la distribution de l’eau (900 régies communales et 29 entreprises locales), avant la création de l’Algérienne des eaux.

Parmi les mauvais payeurs, figurent une bonne partie des établissements publics. Dans tous les cas, il est très rare que l’eau soit coupée pour non paiement. En fait, aucune contrainte n’oblige l’abonné à payer sa facture. La pénurie et les coupures d’eau ont amené les Algériens à toutes sortes de combines pour avoir de l’eau, en violation de la réglementation. Les autorités ont toujours toléré ce système D « hydraulique » et ont laissé faire, sans doute parce que l’eau est un besoin vital. Un ministre des Ressources en eau l’a dit en 2003 : « Pas de répression, il faut d’abord donner de l’eau à tout le monde et l’Etat continuera à le faire. C’est un service public avant d’être un enjeu commercial. » Dans la foulée, il avait exposé une conception des tarifs selon laquelle l’eau serait gratuite dans une tranche de basse consommation.
Ce n’est sans doute pas l’avis des grandes multinationales de l’eau qui pensent que le secteur privé ne pourrait assurer correctement une mission de service public que si les recettes de la vente d’eau couvraient les dépenses d’exploitation. L’Algérie n’est pas dans ce cas de figure. Les multinationales sollicitées pour la gestion de l’eau en Algérie pourraient donc demander au gouvernement de participer à l’exercice de la privatisation pendant toute la longue période où cette entreprise ne sera pas rentable.

Le marché de l’eau est un marché de services liés à sa mise à disposition. Ce qui coûte cher ce sont les infrastructures des réseaux de distribution et d’assainissement, qui représentent des investissements très lourds qui s’amortissent sur des décennies.
Le projet de loi sur l’eau qui sera présenté devant l’APN, certainement pour sa session de printemps, contient des dispositions tarifaires. Tenant compte des expériences négatives dans les autres pays, notamment en Argentine, la nouvelle loi algérienne s’efforcera certainement, comme le souhaitent les porte-parole des multinationales, de protéger les investissements étrangers dans ce secteur des risques de change et de leur garantir les conditions de sécurité juridique par le respect des engagements contractuels souscrits et la définition d’instruments de financement adaptés grâce à des taux attractifs et à des durées longues.

Le projet de loi vise à faire sortir la gestion de l’eau en Algérie du « tout Etat » sans, pour autant, la faire tomber dans le « tout privé ». On appelle cela le partenariat public privé. Le texte prévoit donc un mécanisme de base, la concession octroyée par l’Etat aux personnes morales de droit public, et un mécanisme complémentaire, la délégation de service public contractuellement par l’Etat ou les concessionnaires à des opérateurs publics ou privés. Dans le mode de gestion déléguée par contrat, la collectivité locale confie à une entreprise privée tout ou partie de l’exploitation des infrastructures mais conserve les pouvoirs d’autorité, d’organisation et de contrôle, pouvoirs dont relève notamment la fixation du tarif (c’est l’exemple français de l’intervention du privé). Le président français Jacques Chirac avait soutenu l’idée de la création d’un observatoire international chargé de veiller à garantir la transparence des contrats de gestion déléguée.
Les experts distinguent deux autres degrés dans l’intervention du privé : dans la privatisation du service des eaux, l’entreprise privée devient alors propriétaire des infrastructures mais elle est contrôlée par une agence de régulation nationale (réglementation, qualité, niveau des tarifs, fixation des objectifs) (Exemple : Grande Bretagne) ; dans le cas de la société mixte, les investisseurs institutionnels, majoritaires, confient un contrat d’exploitation à l’opérateur privé (Exemple : répandu en Europe, notamment en Allemagne).
La privatisation du service public à travers une cession pure et simple des actifs au secteur privé est écartée en Algérie. Le gouvernement veut une action énergique dans le domaine de la distribution en faisant appel à l’expertise extérieure qui consiste en un appui au management et à la remise à niveau des systèmes, préalable à la concession envisagée pour les partenaires nationaux et étrangers.
L’intervention des partenaires étrangers est justifiée par la situation critique de l’Algérie en matière d’eau exprimée par le ratio établi entre les ressources renouvelables et la consommation : 500 m3/hab/an. Les spécialistes estiment que si la ressource naturelle en eau tombe à moins de 1000 m3/hab. en année moyenne, elle devient une ressource rare. En 2020, on prévoit qu’il descendra à 420 m3/hab/an et en 2025 à 300 m3/hab/an (si on ne compte qu’avec les eaux de surface, ce ratio sera de 200 m3/hab/an). Cette tendance s’appuie sur un facteur objectif, l’Algérie est un pays semi-aride, et sur des données liées à la croissance démographique et au développement économique et social, qui entraînent de plus grands besoins en eau et une demande plus forte, alors que les ressources en eau sont limitées et de faible qualité. Les experts de la Banque mondiale considèrent que la tarification inadaptée ne favorise pas la gestion de la demande, et, en conséquence, c’est l’offre qui domine. D’autre part, la gestion irrationnelle des infrastructures engendre d’importantes déperditions de ressources (taux de fuite atteignant 50%). Enfin, des quantités abondantes d’eaux sont rejetées non traitées. Tout cela conduit directement, selon les mêmes experts, à une grave crise de l’eau.

La seule vraie solution consistant à économiser l’eau est rarement évoquée. Elle signifie : résorption des fuites dans les villes, réduction de la demande par les consommateurs, éco-efficacité dans l’industrie, efficacité de l’irrigation. Nous en sommes très loin. Aucune norme n’impose l’installation d’équipements sanitaires - robinet, chasse, douche - ou d’appareils ménagers, à faible consommation d’eau qui répondent aux critères d’efficacité et d’économie et il est très rare que les programmes d’habitat intègrent la contrainte de la rareté de l’eau en prévoyant, de façon volontaire, ce type d’équipements. Pire : les réparations et l’entretien domestiques des installations et canalisations sont toujours négligés, même quand les pertes d’eau sont très importantes.

Dans l’agriculture, la pratique de cultures et l’utilisation de techniques d’irrigation qui consomment peu d’eau ne sont pas entrées dans les habitudes. Le prix du m3 d’eau distribuée aux agriculteurs n’incite pas à l’économie de cette ressource. Dans l’industrie, enfin, le recyclage des eaux n’est pas généralisé. Plus généralement, les projets de développement ne prennent pas en compte les risques de pollution des réserves d’eau, en particulier dans les zones de champs captants.

Par M’hamed Rebah, La Nouvelle République