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Pourquoi les investissements pétroliers restent-ils aussi faibles ?

jeudi 17 mars 2005, par Hassiba

Mais que fait donc l’Opep ? Sur le modèle du célèbre « que fait donc la police ? » lorsque surgit une vague de criminalité, la question revient sans cesse depuis deux ans. Depuis que les cours pétroliers caracolent aux sommets.

Pourquoi l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses onze membres (1), qui possèdent dans leurs sous-sols 80 % des réserves prouvées en or noir de la planète, n’ouvrent-ils pas plus grand les vannes pour éponger notre soif de carburants ?

On soupçonne le cartel d’intentions machiavéliques pour faire grimper les prix. On lui prête des arrière-pensées politiques. La vérité est plus banale : l’ensemble des pays de la planète, et pas seulement ceux de l’Opep qui contribuent pour leur part à 38 % de la production mondiale, ne sont tout simplement pas capables d’extraire plus de brut. Et pour une raison simple, l’insuffisance des investissements lancés depuis une dizaine d’années. Qu’il s’agisse des compagnies nationales du Moyen-Orient ou des multinationales américaines et européennes, la faiblesse des projets de développement est quasi générale. Le paradoxe est d’autant plus notable que les prix sont élevés.

L’Agence internationale de l’énergie créée en 1974 au moment du premier choc pétrolier par les pays industrialisés de l’OCDE, le reconnaît en toute objectivité dans ses bilans mensuels : jamais depuis trente-cinq ans la production effective de l’Opep n’a été aussi proche de ses capacités, qui s’élèvent actuellement à un peu moins de 35 millions de barils jour (mbj). L’écart entre les deux était à la fin 2004 de moins de 1,5 million de mbj. Pas de quoi faire face à un surcroît de la demande, laquelle a progressé de 2,7 millions de mbj, battant un record annuel d’augmentation depuis 1976.

Plus éloquent encore, les capacités actuelles de production de l’Opep sont inférieures à ce qu’elles étaient à la fin des années 80. Voilà bien la preuve d’un relâchement des efforts d’exploitation, qui n’est d’ailleurs nullement spécifique à l’Opep. Selon les décomptes effectués par Baker Hugues, leader de la géophysique et du forage, le nombre total de derricks qui servent au creusement des nouveaux puits est passé de plus de 6 000 au début des années 80, dans le monde, à un peu moins de 3 000 aujourd’hui.

Une note remise le mois dernier au conseil d’administration du Fonds monétaire internationale (FMI) s’efforce d’élucider le mystère : « Qu’est ce qui empêche les investissements dans le secteur pétrolier ? », demandent les économistes du FMI. Le premier obstacle qu’ils mettent en avant tient aux incertitudes des prix et de la demande : voilà qui rend aléatoires les projets de développement. En 1999, les cours du baril se traînaient aux alentours de 10 dollars. Les prix s’étaient effondrés à la suite de la crise financière asiatique de 1997, plongeant dans la récession l’ensemble des pays d’Asie à l’exception de la Chine.

Les experts du FMI rappellent quelques particularités propres aux pays de l’Opep. Leurs compagnies pétrolières nationales, loin d’être autonomes, sont obligées de transférer leurs revenus aux gouvernements (en Arabie saoudite notamment, depuis 1983). L’arbitrage des dividendes du pétrole se fait alors souvent au profit des budgets sociaux les plus immédiats et aux dépens de l’investissement. Ces sociétés nationales sont en outre peu ouvertes aux investissements étrangers, voire totalement fermées dans le cas de l’Arabie saoudite, de l’Iran et du Mexique (non Opep). Elles ne peuvent donc compter sur l’apport de capitaux extérieurs.

Autre facteur défavorable aux projets d’investissement des sociétés internationales occidentales cette fois : les régimes de taxes et de royalties sont très variables d’un pays à l’autre. Pis, ils font parfois l’objet de révisions après la signature des contrats, comme le Venezuela, la Russie et le Kazakhstan en ont offert des exemples récents.
Last but not least, la note du FMI rappelle cette évidence : « Les participations étrangères ont également été affectées par des éléments géopolitiques qui ont accru la perception des risques (pour les investisseurs, NDLR), en particulier les tensions politiques en Irak au Venezuela et au Nigeria, et les sanctions économiques vis-à-vis de l’Iran, de la Libye et de l’Irak. »

La faiblesse générale des investissements s’observe non seulement au stade de la production, mais aussi en aval, au niveau du raffinage et de la distribution. Il en résulte des goulets d’étranglement et des déséquilibres régionaux difficiles à résorber et propices à des flambées de prix. L’étude remarque que les capacités mondiales de raffinage sont aujourd’hui à peine supérieures à leur niveau de la fin des années 80. Dans les pays les plus avancés, les considérations environnementales constituent le frein principal. Les États-Unis n’ont pas construit de nouvelle raffinerie depuis 1976.

Et pourtant il faudra bien que les investissements pétroliers reprennent. Sans préjuger du problème des réserves - quarante années de consommation à ce jour, sans tenir compte des sables bitumineux du Canada - la demande de pétrole va inévitablement augmenter. Dans son scénario plutôt conservateur à l’échéance 2030, l’Agence internationale de l’énergie considère qu’il faudra investir 90 milliards de dollars chaque année. Compte tenu de l’état des réserves globales, l’Opep devra plus que doubler sa production de brut, et sa part dans l’offre mondiale passera de 38 %, à 53 % en 2030.

La conclusion va de soi : les obstacles actuels de toute nature qui entravent les investissements pétroliers devront être levés d’une façon ou d’une autre. La note du FMI fait sien le conseil que le laboureur de La Fontaine faisait à ses enfants : « Remuez votre champ... un trésor est caché dedans ». Cela vaut pour l’Opep et les autres pays, dont les ressources énergétiques deviendront d’autant plus exploitables et rentables que les prix du pétrole seront stables et élevés.

 (1) Algérie, Arabie saoudite, Indonésie, Iran, Irak, Qatar, Koweït, Libye, Nigeria, Émirats arabes unis, Venezuela.

Par Jean-Pierre Robin, www.lefigaro.fr