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Quand le Marché de la musique devient un bazar lucratif

jeudi 3 mars 2005, par Salim

Acheter une cassette audio ou un CD, rien de plus facile. Le produit est disponible, le choix varié et les prix abordables. Ce ne sont ni les disquaires qui manquent ni les vendeurs sur le marché parallèle. On peut trouver sur les étals, relativement, tout ce qu’on veut comme genre musical, algérien ou étranger, chanteurs ou groupes. Le consommateur, en bout de file, est gâté.

On ne peut pas en dire autant de l’amont. Car il en est tout autrement pour l’enregistrement, la production et la distribution d’un album qui devra, à chaque étape du cycle de fabrication, faire face à différentes difficultés avant d’arriver au consommateur. Le problème ne se pose évidemment pas pour ceux qu’on appellerait des « valeurs sûres » dans un genre porteur, le raï essentiellement, sur le marché et travaillant avec les « grosses pointures » de l’édition et de la distribution. Il est évident que, quand on parle de « valeurs sûres », on entend la valeur commerciale de tous ces chebs et chebbate qui, le temps d’une saison, alignent albums et succès sans trop s’inquiéter de l’art.

Musique électronique préenregistrée, textes d’une légèreté avérée et voix arrangée et travaillée au vodophone font de ces pseudo-albums de purs produits commerciaux où l’art a peu de place. Mais peu importe du moment que ça se vend. Et cette musique se vend comme des petits pains. Or, comme en économie, la mauvaise monnaie chasse la bonne, en culture, la musique commerciale chasse l’artistique. Aussi, éditeurs et producteurs hésitent à se lancer dans l’aventure de l’édition et la promotion d’un chanteur ou d’un groupe qui, en plus d’être inconnu, se spécialise dans un genre musical peu porteur. Nombreux sont ceux qui se retrouvent avec leur master en poche -pour l’enregistrement duquel ils ont souvent été obligés de casser leur tirelire- à courir les maisons de production et d’édition pour essayer de placer leurs créations. « L’éditeur le plus entreprenant est celui qui m’a produit le master. Mais il m’a clairement expliqué qu’il ne pouvait faire plus et que, si je voulais éditer l’album, je devais le faire à mon compte. Idem pour la distribution, diffusion et vente. Il m’a précisé que, pour la vente, je serais obligé d’opter pour le dépôt-vente. On ne veut pas prendre de risque. On l’aurait fait peut-être si c’était du raï que je proposais... », nous a dit Samir, un artiste qui, avec deux potes guitaristes comme lui, avait essayé de se lancer dans le classique. Les témoignages d’autres chanteurs ne différeront pas beaucoup. Producteurs et éditeurs, de leur côté, affirment qu’ils sont obligés, s’ils veulent durer dans le métier, de répondre à la demande du marché.

D’autant plus qu’ils doivent faire face à de nombreux aléas, dont la concurrence déloyale du marché informel qui, lui aussi, s’intéresse aux créneaux porteurs. Ce qui fait passer toute prospection et promotion de jeunes talents dans des genres musicaux autres que ceux commerciaux pour une opération plus casse-cou que promotionnelle. « Si la maison d’édition décide de prendre le risque de produire et d’éditer un chanteur ou un groupe qui n’est pas connu et qui chante un style pas très demandé, elle sera obligée d’accompagner l’album et de le soutenir jusqu’au bout. Car elle ne pourrait le commercialiser qu’en dépôt-vente. Il faut donc attendre longtemps pour amortir les frais, jusqu’à l’écoulement de tout le stock. Quant à la promotion, le marché étant orienté principalement sur la commercialité, donc la demande, elle ne peut qu’ajouter aux frais et dépenses, sans garantie de résultats qui plus est », nous explique un ingénieur du son travaillant pour un éditeur. Résultats : tout le monde, ou presque, travaille pour alimenter le marché lucratif et s’en alimenter. Et si le marché demande du « fast-food » musical, on lui en servira à satiété. Pour ce qui est des compostions musicales de bonne facture, des chansons à thèmes et de l’art, ils auront leur petite part. Car, après tout, même si ça ne se bouscule pas, là aussi il y a de la demande. Pas de quoi en faire un plat, mais cependant bon à prendre du moment que ça se vend.

Ainsi alimenté, le marché musical ne pouvait que confirmer ses tendances et asseoir les genres musicaux qui privilégient la commercialité au détriment de la qualité artistique. Et qui dit commerce, dit appétits mercantiles. Il n’en fallait pas plus pour attirer tous ces vampires tapis dans l’ombre de l’économie. L’informel investit le marché et chasse sur les terres des éditeurs et producteurs qui ont tant et si bien fait leur travail de promoteurs de la musique fast-food qu’ils ont fini par y attirer tous les aventuriers et clandestins de l’art. Dès lors, ils doivent faire face à cette concurrence déloyale que leur imposent les pirates et contrefacteurs qui ne connaissent aucune limite.

L’album d’un artiste qui vend beaucoup est à peine sorti qu’il est copié et diffusé. On a vu des copies pirates arriver sur des marchés locaux avant l’édition originale. Certains contrefacteurs sont allés jusqu’à copier le timbre fiscal de l’Office national de droits d’auteur et droits connexes (ONDA) pour en confectionner des copies qui « authentifient » les cassettes audio pirates qu’ils produisent. Pour les CD, il suffit de s’équiper d’un graveur et d’acheter le CD à copier ou tout simplement de télécharger les morceaux sur le Net. Le reste est un jeu d’enfant, peu scrupuleux. Les copies réalisées sont vendues aux disquaires qui avaient préalablement passé commande.

Evidement, les CD pirates sont vendus et acheter moins cher que les originaux. Ce qui permet aux vendeurs de gonfler leurs bénéfices sans rien payer au fisc. Quant au risque de se faire prendre, il est minimisé et minoré du fait que l’ONDA soit quasi démuni pour faire face à un fléau qui a pris une ampleur et une dimension dépassant de très loin les capacités d’un office, si bien équipé soit-il. Cette impunité de fait a d’ailleurs encouragé nombre d’éditeurs à prendre exemple sur les pirates et contrefacteurs. Ainsi, pour le commerce lucratif, le bénéfice, la légalité côtoie l’illégalité. Quant à l’art, on l’évoquera quand on parlera de « se faire de l’argent ».

Hassan Gherab - La Tribune