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Retards dans la réforme bancaire et financière

mercredi 20 avril 2005, par Stanislas

Le Centre de presse d’El Moudjahid a reçu le docteur El Hachemi Siagh, pour s’exprimer sur la réforme bancaire et financière qu’entreprend le secteur.

Une réforme qui a valu quelques propos peu amènes du Président de la République ces derniers jours lors du discours prononcé devant les cadres de la Nation au Club des Pins. Le docteur El Hachemi Siagh a fait un état des lieux qui se voulait tout à fait objectif, œil en somme d’un expert toujours critique.`

Pour certains, la réforme bancaire et financière n’a rien donné. Elle est pourtant le signe d’une prise de conscience collective de l’urgence de réformer. Officiellement le gouvernement est sur cette ligne. Il serait donc en phase avec les partenaires, les professionnels du secteur. Les résultats jusqu’à présent sont pourtant en deçà de l’espoir placé dans cette mission.

La réforme, si elle a jusqu’à présent été productrice de certains résultats n’a pas avancé au rythme souhaité. Selon certains, la réforme bancaire n’a rien donné, s’interroge l’orateur qui note que les banques publiques sont, dans le flot de critiques, rendues responsables de cette situation.
Pour planter le décor, le docteur Lachemi Siagh relève qu’il existe 6 banques publiques et 17 banques privées ont été créées depuis 1998.

Pour 2003, le bilan des banques s’est élevé au total à 2500 milliards de DA. La part du secteur public est comprise à hauteur de 94 %. Les banques publiques ont fourni 93 % des prêts à l’économie soit 1378 milliards de dinars. Les banques privées ont contribué à 7 % du montant des crédits accordés. Pour l’orateur, le gros handicap pour les banques est constitué par les entreprises publiques déstructurées dont l’actif net (la valeur comptable) est négatif, par suite de pertes cumulées qui les placent en violation des dispositions du code de commerce et qui sont surtout inéligibles au crédit. Cela a fait de certaines banques, selon le terme employé par le docteur Siagh, des banques-hôpital vu qu’elles étaient dans l’obligation de maintenir en quasi-perfusion des entreprises déstructurées.

Une relation dénaturée

Dans un tel contexte on ne peut parler, affirme l’orateur, de relation de marché entre les banques et ces entreprises publiques. Il faut savoir que l’Etat a dépensé plus de 26 milliards de dollars dans différents plans d’assainissement de ces entreprises et s’apprête à en assainir encore pour un montant de 4 milliards de dollars. Les choses semblent cependant évoluer puisque, selon les dispositions de la loi de finances pour 2005, toute opération de financement de ces entreprises se fera à travers le budget et dans la transparence. C’est un grand acquis relève en mentionnant cela le Dr Lachemi Siagh.

Evoquant les liquidés détenues par les banques qui sont de l’ordre de 10 milliards de dollars, il faut savoir qu’il s’agit d’une épargne à court terme et de dépôts Sonatrach qui sont destinés au financement du projet de développement du groupe qui s’élève à 21 milliards de dollars. Des banques vendent une partie des bons du Trésor qu’elles détiennent pour assurer leur liquidité. Plus de 150 milliards de dinars d’obligations détenues par certaines banques au titre de la dette d’assainissement ont transité par le marché secondaire pour maintenir la liquidité de ces banques et pour octroyer de nouveaux crédits : Il faut savoir aussi que les banques obéissent à des ratios prudentiels fixés par la Banque d’Algérie et arrêtés par la Banque des règlements internationaux de Bâle.
Tout cela n’exclut pas aux yeux des opérateurs économiques, les longs parcours qu’ils doivent effectuer auprès des banques pour toute demande de crédit.

Une recapitalisation est en cours

Pour pallier les insuffisances, il faut souligner qu’une recapitalisation des banques algériennes est actuellement en cours dans le cadre de l’opération d’assainissement des créances sur les grandes entreprises.
La réforme même, si elle n’a pas avancé au rythme souhaité, ce qui a valu les mises en garde du Président de la République lors de son dernier discours devant les cadres de la nation, a connu quelques avancées avec la mise en place de systèmes d’information plus performants permettant la mise à disposition des décideurs d’informations actualisées et fiables.

Il y a eu assainissement de la comptabilité, l’établissement de plans stratégiques sur cinq ans donnant plus de visibilité aux banques, la signature de contrats de performance entre l’Etat propriétaire et les banques, des opérations de formation plus importantes que par le passé et le lancement du projet monétique. On note du retard dans l’exécution du projet relatif à la compensation des chèques, projet dont l’importance n’échappe pas aux professionnels du secteur comme aux opérateurs économiques.
De nouveaux produits financiers sont arrivés sur le marché, les entreprises sont mieux accompagnées sur les marchés des capitaux avec une meilleure qualité de crédit, de garanties.
Ainsi, 67 milliards de dinars ont été levés et 75 milliards sont en cours et seront levés d’ici à l’automne prochain. Les prévisions pour le marché obligataire donnent, d’ici à la deuxième moitié de 2006, une mobilisation de crédits de deux milliards de dollars.

Un marché obligataire naissant

Le développement récent du marché obligataire a des effets importants sur le marché financier. En dépit de ces progrès, certains spécialistes continuent pourtant à parler d’opacité du marché financier qui semble à leurs yeux constituer le handicap majeur de l’essor d’un établissement comme la Bourse d’Alger qui souffre d’un manque flagrant de sociétés cotées alors que les autorités concernées répètent à chaque occasion que les préparatifs nécessaires sont mis en place en vue de redynamiser le marché des capitaux à Alger.

Les pouvoirs publics sont même allés, disent toujours ces spécialistes, à arrêter une liste de 11 entreprises étatiques destinées à une privatisation partielle par le biais du marché boursier. Or, plus de cinq années après son démarrage, la Bourse ne compte que trois valeurs mobilières négociables : Eriad Sétif, El-Aurassi, Saïdal. Le P-DG de ce dernier groupe qui était l’invité, ces derniers jours du centre de presse d’El Moudjahid, se plaignait que la Bourse d’Alger ne reflète pas l’exacte évolution du groupe, son état économique.

Certains spécialistes en tirent la conclusion que ces entreprises ne récoltent que des moins-values.
L’explication donnée quant à cette situation, laisse à dire aux autorités boursières que le marché boursier passe actuellement par une période de transition en attendant que les banques publiques installent leurs services d’intermédiation boursière. Les analystes financiers estiment que la Bourse d’Alger ne connaîtra pas de réel démarrage avant que l’opacité qui caractérise le marché financier ne soit supprimée. Les faillites bancaires de Khalifa, la liquidation de la BCIA ont eu, disent-ils, des répercussions négatives à l’étranger.

La bourse, point noir de la réforme

Le point noir de la réforme reste la Bourse, confirme le Dr Lachemi Siagh qui parle d’avancées sur le plan de la réformes mais tempère aussitôt en soulignant qu’il reste beaucoup à faire. L’état de la Bourse d’Alger est dû, selon l’expert, à la structure de l’économie algérienne, car la Bourse ne peut être que le reflet d’une économie, non son moteur.

Dans les pays développés, selon le Dr Siagh, la Bourse ne représente que 15 à 20% des marchés financiers. La véritable assise, ce sont les marchés obligataires et hypothécaires. Là, réside le succès de la réforme.
Il faudrait aussi couper le cordon ombilical entre les banques et les entreprises publiques, accepter que les banques que l’on veut privatiser aient plus d’un propriétaire et que leur contrôle passe quasiment au privé.
Sans cela, conclut l’orateur, il n’y aura aucun repreneur d’envergure internationale et il n’y aura pas de mise à niveau des banques ni de réforme financière.

Concernant les entreprises, elles doivent être capables de produire des états financiers semestriellement.
Ailleurs, les bilans sont présentés trimestriellement.
Pour s’introduire à la Bourse, il faut montrer de la transparence. C’est une nouvelle culture qui reste à acquérir. Evoquant le marché hypothécaire, l’orateur relève qu’il ne fonctionne pas en Algérie, ça ne marche pas, dit-il. On veut construire un million de logements, on ne pourra y parvenir qu’en allant au crédit hypothécaire.
C’est cela le moteur de l’économie, affirme le Dr Lachemi Siagh.

Il reste beaucoup de choses à créer

Pour l’expert, dans notre système financier il reste beaucoup de chose à créer. L’absence de banques d’affaires se fait cruellement sentir sur le marché. Il y a aussi le développement de nouveaux métiers de la banque et de la finance qui reste à faire. Cela étant il faut bien convenir que l’existence de 6 banques commerciales ne permet pas de tout faire. Des nouveautés institutionnelles doivent être introduites pour que la réforme réussisse.

Encore une fois, puisqu’il a été décidé d’ouvrir les banques, il faut le faire. Aucun banquier d’envergure internationale ne peut s’investir s’il n’a pas le contrôle de gestion, sans qu’il ait son mot à dire. Les banques internationales ont des stratégies. Il faut qu’ils soient maîtres du jeu. Si des banques dans un pays ne rentrent pas dans leur stratégie, ils n’y viennent pas. Dans le débat, la compensation, les éléments de la réformes, la formation ont été au centre des questions. Concernant la compensation, il s’agit là, d’un problème majeur reconnaît l’orateur. Aujourd’hui, chez nous, il constitue un point noir.

Une réforme qui ne dépend pas seulement des banques

Mais il faut savoir que la réforme financière ne dépend pas uniquement des banques. Celles-ci sont dans un secteur important où grâce aux technologies nouvelles, elles ont pu évoluer. Le projet de la compensation sera réglé en 2006 avec l’introduction de la compensation électronique.
Il n’est pas normal, en effet, qu’un chèque mette quatre semaines pour être compensé, alors qu’un maximum de quatre jours est requis. Sur ce qui doit changer, le docteur Lachemi Siagh évoque celui des mentalités, c’est important. Aujourd’hui, l’Algérie ne fonctionne qu”à 10% de ses capacités, compte tenu de toutes les pesanteurs qui grèvent l’appareil productif, bureaucratie notamment.
A propos de la réforme, celle-ci est un processus continu, relève l’orateur.

La réforme c’est la capacité de s’adapter à un environnement local et extérieur en perpétuelle évolution.
Avoir un bon matelas financier dans une économie non performante produit de la gabegie.
Dans une économie assainie, un bon matelas financier sert notamment à amortir les chocs de toute nature (immobilier, etc.), à améliorer les capacités de gouvernance de l’économie.

Lutte contre la bureaucratie

Dans notre pays, les mentalités doivent, il faut le répéter, évoluer, lutter contre la bureaucratie, car on ne peut valablement réformer avec l’existence d’une bureaucratie qui s’est installée dès le lendemain de l’Indépendance. Créer des infrastructures, c’est bien, mais l’on doit songer à qui prendra en charge la question des ouvrages qui vont être créés. Il nous faut donc investir dans les capacités de réalisation, maintenance, etc., qui coûtent excessivement cher, sinon les ouvrages vont vite se déprécier.

Il faut créer les outils qui produisent de la richesse.
Le Dr Lachemi Siagh parle d’une croissance intensive à travers le développement de la PME, la création de centres de recherche, la formation de cadres, par opposition à la croissance extensive qui s’analyse par une addition de ressources. Au total, investissement et réformes sont intimement liés et s’accompagnent. A propos d’une question sur la formation, l’orateur relève l’existence de l’Ecole supérieure de banque qui forme dans les métiers traditionnels de la banque.
L’Institut de formation supérieure dans les métiers financiers et bancaires, nouvellement créé forme dans les nouveaux métiers (intervenants de marché, spécialistes en gestion de risques, produits dérivés, analystes financiers, etc.). Ce sont des formations destinées au secteur financier et bancaire.
Au fur et à mesure que les choses se développent, cette formation s’élargira à d’autres métiers. Il y a enfin une école des affaires qui vient d’ouvrir spécialisée dans la formation en management.

Le changement va libérer beaucoup d’opportunités

Ce qui est sûr, relève l’orateur, c’est que le changement va libérer beaucoup d’opportunités à l’avenir. Sur l’environnement bancaire, suite à une question dans ce sens, les banques travaillent dans un environnement difficile, où est exigée la transparence. Les propriétaires sont habilités à demander de la sorte des comptes aux banquiers. La performance, c’est cela.
En l’absence d’une bourse qui fonctionne réellement, c’est comme cela que se fait l’évaluation.
A l’étranger, les entreprises sont cotées et c’est comme cela que s’évaluent leurs performances. Intervenant dans le débat, le président-directeur général de la Banque algérienne de développement (BAD), M. Allilat, relève qu’il serait bon qu’une enquête au niveau national soit menée pour comparer les performances des différents secteurs de l’activité économique, on verra que les banques qui sont à présent l’objet de nombreuses critiques s’en sortent mieux que d’autres entreprises appartenant à d’autres secteurs et sont plus avancées.

Lui succédant, le P-DG de la banque de développement local (BDL), M. Daoudi, relève que pour les banques, la formation constitue une des grandes préoccupations, car elle est le garant de la pérennité des banques. C’est pour cela que la formation figure parmi les objectifs qualitatifs du plan de performance des banques. Il n’y a pas que l’ESB, les banques elles-mêmes assurent de la formation à travers une société interbancaire.

Il s’agit d’une formation qualifiante et diplomante. Il y a aussi l’Institut de formation en hautes études financières déjà cité. Il y a aussi l’ISGP, il y a l’Institut douanier algéro-tunisien dans lequel l’Algérie est actionnaire. Il y a enfin les séminaires qui sont organisés à travers le territoire national.
Quant à la réforme bancaire, le P-DG de la BDL souhaite que l’on distingue deux choses : la réforme bancaire au plan institutionnel et l’autre au plan organisationnel. En fait, la réforme a commencé depuis quelque temps déjà car il faut rappeler que les banques fonctionnent sous un statut d’entreprise privée.

Ce qu’il faut faire remarquer, c’est que la banque publique d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier. La banque a beaucoup évolué. Elle est soumise au contrôle prévu par la loi, celui de la commission bancaire. Pour la réforme bancaire, souligne encore le P-DG de la BDL, la réforme se pose en termes de modernisation et dans son acception la plus large (informatisation, système de paiement, etc.).

La banque se met à niveau

La banque publique est en train de se mettre à niveau de la même façon que le font les autres entreprises publiques dans le cadre d’un plan de développement à moyen et long terme. S’agissant du système de paiement, M. Daoudi affirme qu’il s’agit d’une préoccupation pour les banquiers. Il s’agit d’un chantier qui sera bouclé fin 2005, début 2006.
Les banques ne sont pas seules sur ce chantier.
Elles sont accompagnées par Algérie Télécom. Il y a aussi le chantier de la monétique, la modernisation de toutes les fonctions de la banque, la prise en charge des différents risques prévus par Bâle 1 et 2.
Ce qu’il faut relever, c’est que sans un système d’information fiable, il n’est pas possible d’évoluer. Concernant la surliquidité que présentent des banques, il faut savoir que la banque n’est pas autorisée à consentir de crédits comme elle veut (le crédit est, de plus, encadré par la Banque d’Algérie), surtout si son niveau de fonds propres ne le lui permet pas. La banque, c’est la sécurité, note M, Daoudi qui ajoute qu’il faut consentir du crédit sain.
ce sont des fonds qui n’appartiennent pas à la banque qui appartiennent aux déposants. il faut les gérer en bon père de famille. une banque doit être toujours “liquide”, avoir des crédits mobilisables.
Pour le P-DG de la BDL, une banque, c’est l’organisation, le personnel, la clientèle qui peut être bonne ou mauvaise.

La corruption, il faut la dénoncer

S’agissant de corruption, problème soulevé dans le débat, le P-DG affirme son souhait que les victimes de ces pratiques au niveau des guichets des banques ou au niveau d’autres structures de celles-ci signalent ces faits en nous écrivant. Il est évident que pour déclencher une action en justice, les lettres anonymes on le sait n’ont aucune valeur juridique. A propos toujours de réforme financière, c’est le Dr Lachemi Siagh qui, répondant à cette question, note que, pour aboutir, la réforme doit être adossée à des organisations performantes, des organisations qui savent allier efficacité et efficience, et qui répondent très vite à la demande des clients, enfin des entreprises qui fassent de bons choix.
Tout cela nécessite l’existence d’une culture d’entreprise. Ce sont là les éléments importants de la réforme. A propos du marché obligataire et des actions, l’orateur relève que l’emprunt obligataire est un moindre risque. Il est fondé sur la stabilité du capital. Le seul risque, c’est le taux d’intérêt. Quant à l’action, il s’agit là d’un balancier qui peut aller ainsi de droite à gauche. Ce balancier est fonction de la performance de l’entreprise, de l’état de l’économie, celui du marché.

En phase d’éducation

Aujourd’hui on est en phase d’éducation de tout ce que génère le marché financier souligne l’orateur. A propos d’une question sur le jumelage des banques, le Dr Lachemi Siagh, répond que chaque pays a réglé le problème à sa manière. Les pays du Golfe ont fait appel à des experts internationaux pour la mise à niveau de leurs banques. L’autre formule intéresse le partenariat. A propos des entreprises publiques et de l’enveloppe portant assainissement, l’Etat a libéré une enveloppe de 26 milliards de dollars et il y a 4 milliards qui vont suivre, c’est beaucoup, mais il ne s’agit pas là d’un phénomène propre à l’Algérie même si l’on ne peut comparer que ce qui peut l’être, il faut citer le cas de la Chine qui a dégagé 600 milliards d’euros pour l’assainissement des entreprises d’Etat. L’Allemagne, au lendemain de la réunification a dû injecter 300 milliards d’euros dans les entreprises de la partie est du pays (ex-RDA). La Corée du Sud a vendu des titres hypothécaires. Quant au Japon cela fait 15 ans que ce pays n’arrive pas à régler les problèmes nés de dysfonctionnements de son système financier et des banques. Entreprises et banques sont totalement imbriquées. En Algérie, les entreprises publiques continuent à peser sur les banques.

Protection des deniers publics

A propos d’une question sur la circulaire imposant aux entreprises publiques de verser leurs fonds dans des banques publiques, le Dr Lachemi Siagh, dira qu’après les faillites que l’on sait de Khalifa Bank, de la BCIA, de l’Union Bank, les responsables ont eu le réflexe de vouloir protéger les deniers publics.
Cela étant, il y a des techniques dans tous les pays pour se protéger de pareilles bourrasques, en négociant les garanties auprès des banques.

Par Mohamed Tahar El Anouar, elmoudjahid.com