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Sida : Essais contestés de trithérapies sur des orphelins malades

samedi 7 mai 2005, par Hassiba

Des essais d’adaptation des trithérapies adultes à des formes et des dosages pédiatriques ont été réalisés aux Etats-Unis pendant les années 90 dans des orphelinats sur des enfants contaminés.

Au-delà d’une polémique naissante sur le caractère éthique ou non de ces essais (une enquête fédérale est en cours), les pédiatres et les organisations gouvernementales dans le monde entier dénoncent depuis longtemps, en matière d’accès aux médicaments du sida, le « désert pharmacologique » qui entoure les enfants, premières victimes de la maladie.

Est-ce un autre scandale du sida ou une simple agitation médiatique ? L’enquête fédérale en cours le dira : mais la révélation hier, par l’agence Associated Press, que plusieurs Etats américains ont autorisé ou laissé organiser des essais thérapeutiques de médicaments du sida (dont la stavudine et la zidovudine) dans des orphelinats, sur des mineurs contaminés, a déclenché une forte émotion.

Pour avoir accès à des centaines d’orphelins contaminés par le VIH, dans les états de New York, d’Illinois, Louisiane, Maryland, Caroline du Nord, Colorado et Texas, des chercheurs recevant des subventions fédérales avaient fait la promesse écrite de fournir à ces enfants des avocats indépendants. En effet, pour obtenir le consentement éclairé du tuteur légal d’un mineur, et pour contrôler l’apparition chez certains d’entre eux d’effets secondaires redoutables des puissantes trithérapies du sida, il est absolument obligatoire qu’une protection spéciale de l’enfance et du patient soit respectée. La déclaration d’Helsinski dans son paragraphe 22 sur la recherche biomédicale et les lois de bioéthique des pays occidentaux réclament ce type de protection.

L’agence AP a découvert au moins une quarantaine d’études de médicaments du sida pour lesquelles cette disposition n’a jamais été respectée. Les sujets étudiés allaient du nourrisson à l’adolescence, avec une majorité d’enfants entre 5 et 10 ans. Les NIH (National Institutes of Health), Instituts nationaux de la santé, qui ont financé ces recherches ont estimé qu’entre 5 et 10% des 13 878 enfants enrôlés dans les essais pédiatriques en question étaient des orphelins en institution.

Plusieurs des essais thérapeutiques d’antirétroviraux sur des enfants orphelins rapportent des effets secondaires (rashs cutanés, vomissements, chute des globules blancs). Une des études montrait en particulier un taux de mortalité « inquiétant », plus élevé chez les enfants prenant les plus fortes doses, et n’a pu déterminer une dose à la fois sûre et efficace.

Selon les responsables de la santé de l’Illinois, aucun des deux cents orphelins des études des médicaments pédiatriques du sida n’a bénéficié de contrôle par un moniteur de recherche, et à New York seul un tiers des enfants (142 sur 465). A l’inverse, ni le Tennessee ni la Californie ou le Wisconsin n’ont jamais accepté de tels essais dans les orphelinats.

Pour ne pas avoir à respecter leurs obligations de contrôle indépendant, les chercheurs concluaient le plus souvent que les risques étaient minimes, voire identiques à ceux des essais adultes, et que les enfants tireraient un bénéfice direct de la mise au point des médicaments du sida, sous forme pédiatrique.

Car ces enfants orphelins misérables ou issus de minorités défavorisées ont bel et bien reçu comme traitement des protocoles de cocktails médicamenteux établis par des chercheurs de premier plan, financés par l’argent fédéral, et cela a pu ralentir le taux de progression de la maladie et améliorer leur taux de survie.

Arthur Caplan, éthicien à l’université de Pennsylvanie, considère que justement « des avocats des enfants auraient dû être engagés, parce que les chercheurs étaient sous la pression d’une crise médicale », du fait de l’absence, jusqu’à une période récente, de médicaments spécifiquement pédiatriques « et parce qu’ils savaient qu’il y avait une grande incertitude sur la manière dont les enfants réagiraient à des médicaments du sida » souvent toxiques chez l’adulte. Christian Courpotin, de l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida), est formel : « Il faut impérativement avoir le consentement du ou des tuteurs et, dans les conditions décrites, ces essais sont inacceptables. Les essais thérapeutiques ne sont pas des expérimentations, l’ANRS s’entoure d’un maximum de garanties, de l’avis de comités d’éthique, d’une série de garde-fous dont justement le consentement éclairé. »

Il est donc très important à la fois que les orphelins aient droit à la même protection que la loi accorde aux autres enfants mais aussi qu’ils puissent être inclus dans les essais.

« Dire que les orphelins devraient être exclus des essais cliniques, c’est les exclure des meilleurs traitements disponibles possibles, et cela n’est pas éthique », a conclu le Dr Mark Kline, expert pédiatrique du sida au Baylor College of Medicine (Texas).

Cette affaire qui intervient en pleines négociations des budgets du Fonds mondial contre le sida remet en lumière la cruelle pénurie de médicaments à des doses et sous des formes adaptées aux enfants. L’amidovudine, le 3TC, le Ritonavir, le Nelfinavir existent sous formes de sirops, mais il faut remplir un sac à dos pour un mois de traitement d’un enfant de deux ans. Et il est très difficile d’obtenir l’adhésion thérapeutique d’un enfant que l’on doit gaver de sirops trop sucrés voire alcoolisés ! Mais le sida pédiatrique n’est pas vraiment un marché pour Big Pharma dans les pays du Nord, du fait de la baisse de la transmission materno-foetale. Quant au Sud...

Par Jean-Michel Bader, lefigaro.fr