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Fatia : les Algériens y ont cru

samedi 11 septembre 2004, par Hassiba

Juste devant le portail d’accès à la zone industrielle de Aïn Bouchekif, à 2 km de l’aéroport international de Tiaret, se dresse la belle usine où devait naître Fatia.

Construite sur une superficie de 45 hectares, l’imposante structure accroche le regard par son architecture moderne et ses façades flambant neuf.

Mais ceci pour le côté jardin. Car côté cour, il n’y a strictement rien à voir. À l’intérieur de l’usine, la Fatia nationale est toujours au stade embryonnaire. Elle n’existe que dans les croquis de ses concepteurs. Point d’équipements de process.
Seules les machines basiques de l’énergie et des fluides meublent le décor. L’espoir de voir la carcasse Fatia suspendue un jour dans le hall de cette usine s’est effiloché après le départ en 1998 du partenaire italien Fiat. Un départ qui, à ce jour, n’a pas encore livré tous ses secrets si ce n’est la dégradation de la sécurité mise en avant. Du coup, cet immense investissement de 12 milliards de DA cherche désespérément une relance pour pallier la défection des Italiens. Le projet est donc à l’arrêt. Et Fatia est “décédée” avant de naître.

Seuls les quelque 60 employés rescapés des compressions consécutives au départ des Italiens s’accrochent encore à l’espoir de voir, un jour, la voiture-arlésienne réanimée. Maigre consolation pour des travailleurs qui passent le plus clair de leur temps à justement tuer... le temps !

Fiat-Fatia : un mariage à blanc !
Tous les jours, la petite corporation composée essentiellement des éléments de la sécurité s’ennuie à attendre et attendre que les bruits de l’usine vrombissent. Au poste de police situé juste à l’entrée du bloc administratif, ces malheureux travailleurs causent nonchalamment pour oublier un tant soit peu leur frustration et entretenir un brin d’illusion. Ils sont presque convaincus que le projet relève à présent de la gageure mais ils ne désespèrent pas pour autant. “On ne sait jamais, le ministre a clairement affirmé à la télévision que le projet Fatia sera relancé ; on prend donc acte de cette déclaration officielle”, dit simplement un agent de sécurité, talkie-walkie à la main. Il faut dire que la déclaration de Hachemi Djaboub, ministre de l’Industrie, récemment à la télévision semble avoir remis du baume au cœur de ces 60 employés. Désormais, ils y croient plus que par le passé. Mais jusqu’ à quand ?

Parce que l’attente est déjà très longue. Djamel, Rachid, Ouahid et les autres, comptabilisent au moins huit ans de service dans cette usine qui a du mal à démarrer.
Nassima est sans doute la plus touchée de tous. Ingénieur en maintenance de son état, elle se morfond depuis 1996 à dépoussiérer chaque matin des machines qui n’ont jamais servi et qui risquent de ne pas servir avant longtemps. “Çà c’est un travail d’un technicien, mais comme il n’y a rien à faire, je suis obligée de faire ce contrôle tous les matins pour éviter la rouille”, dit-elle. Nassima est peut-être la personne la plus utile dans cette usine, mais aussi la plus malheureuse. “Ce n’est pas normal, je ne ressens aucune satisfaction qu’elle soit intellectuelle, professionnelle, morale ou psychologique de vivre ce calvaire, d’attendre indéfiniment.” En fait, le terrible ennui qui ronge les travailleurs de l’usine Fatia traduit fidèlement les péripéties de ce projet suspendu entre la vie et la mort.

En plus de subir depuis de longues années l’incertitude du lendemain quant à la concrétisation du projet, ils se lamentent sur leur sort tout aussi incertain. Il faut savoir, en effet, que le personnel de Fatia travaille par contrat renouvelable de trois mois. “Figurez-vous que j’ai quitté une entreprise nationale en étant permanente pour rejoindre Fatia, croyant à tort que mon contrat n’allait pas tarder à être suivi d’un recrutement en bonne et due forme.” Finalement... la voix presque éteinte, Nassima baisse la tête et lâche un soupir qui en dit long sur son état d’esprit et celui de ses collègues : “Nous avons cru naïvement qu’on pouvait fabriquer cette voiture.”

“Mazal kayen l’espoir...”
Entre deux virées à l’intérieur de l’usine, notre vaillant ingénieur met la main à la pâte... administrative, tentant de régler les dossiers litigieux avec les entreprises qui ont quitté le projet. “Je préfère faire ce boulot que de rester les bras croisés”, dit- elle, presque résignée. Nassima est aussi appelée à d’autres fonctions autrement plus délicates : la réception des jeunes qui viennent demander du travail et la classification de leurs dossiers de recrutement. “Vous savez, c’est tellement dur de recevoir des gens qui espèrent décrocher un boulot chez nous, alors que vous-même n’êtes pas confirmé dans votre poste.” Il faut savoir en effet que, quotidiennement, les employés-précaires de Fatia reçoivent au moins deux demandeurs de travail, des jeunes pour la plupart. Lors de notre passage à l’usine, deux jeunes hommes âgés de 23 et 30 ans, une pile de documents administratifs dans les mains, sont arrivés de la ville de Tiaret située à une vingtaine de kilomètres pour tenter leur “chance”. Nabil, peintre de profession, croit sérieusement avoir trouvé la chance de sa vie : exercer son talent chez un constructeur automobile. “On a entendu à Tiaret que vous recrutez ; tenez, tous les papiers son là et prenez-en soin SVP.” Le préposé esquisse un sourire devant l’air soulagé de Nabil.
L’autre n’a aucun diplôme mais il dit pouvoir faire n’importe quoi. “Je n’ai pas de qualification mais je peux faire tout ce que vous me demanderez”, déclare-t-il. L’agent, qui ne voulait visiblement pas décevoir ses hôtes, leur explique qu’il y a déjà plus de 10 000 demandes mais il a tout de même enregistré leurs dossiers.
Ce sont des cortèges de jeunes chômeurs qui se bousculent devant le portail de l’usine depuis la fameuse déclaration du ministre et même avant. Ayant eu vent d’une possible relance du projet, la jeunesse de Tiaret dans le désoeuvrement et au stade épidémique s’est ruée vers Fatia.
Il y a quelques semaines, des émeutes ont failli éclater quand un bataillon de plus de 300 jeunes hommes a pris d’assaut l’administration de l’usine réclamant un recrutement immédiat.

D’après nos interlocuteurs, il s’en est fallu d’un cheveu pour que la situation ne dégénère. Depuis, ce sont des centaines et des centaines de demandes qui parviennent à l’administration via la poste. “Nous recevons des dizaines de sacs de courrier de toutes les contrées de la wilaya de Tiaret”, atteste Nassima, pour qui ce mouvement procure un peu d’espoir, que cela peut être un indice d’une relance. “Je me remets à y croire, il n’y a pas de fumée sans feu !”, lance-t-elle, un tantinet confiante.
Elle doit donc attendre, vainement, de voir enfin la mythique Fatia sortir de l’usine de Aïn Bouchekif. En fer et en tôle...

Fatia est morte, vive... Saada !
Le diagnostic est sans appel : le projet Fatia est mort de sa belle mort. Fabrication automobile de Tiaret (Fatia) issue de la restructuration de l’ex-Sonacome n’est qu’un beau souvenir d’un rêve fou qui n’a pas résisté à l’épreuve de la réalité économique.

Après la défection du partenaire italien Fiat qui détenait 36% des actions de cette société mixte, Fatia est devenue cette veuve qui ne trouve plus preneur. Quinze années de labeur et douze milliards de DA d‘investissements ne peuvent pourtant être effacés comme cela. Même si les responsables semblent avoir fait définitivement le deuil de Fatia, ils ne s’accrochent pas moins à l’idée de rentabiliser l’usine de Tiaret, quitte à recentrer sa vocation sur un autre segment de l’industrie automobile que celui de la fabrication de voitures.

Pour se faire, la procédure de résiliation du contrat de partenariat avec les Italiens est déjà engagée, précise le PDG de SPA Saada qui vient de naître sur les décombres de Fatia en instance de liquidation judiciaire.
La Société algérienne de l’automobile et du développement des activités connexes (Saada) est une entreprise publique économique à capitaux 100% algériens, qui reprend le projet mort-né de Fatia. Elle est dotée d’un capitale social de 792 millions de DA équivalent à 8 millions d’euros. Comme l’indique si bien son sigle, cette SPA entend relancer le projet mais pas nécessairement dans la fabrication de l’automobile.

Saada veut se lancer dans l’industrie liée à l’automobile comme la fabrication des pièces détachées et autres organes, mais aussi, si possible, dans d’autres secteurs. Pour ce faire, cette EPE a lancé récemment un appel à manifestation d’intérêt via son site Internet dans l’espoir d’intéresser des constructeurs automobiles étrangers pour un partenariat. Pour l’heure, aucune firme ne s’est manifestée comme nous l’a indiqué son PDG M. Benchikh, qui demeure tout de même confiant de pouvoir trouver un partenaire.

La formule semble toutefois très aléatoire maintenant que ce secteur est ouvert à la concurrence en Algérie.
C’est d’ailleurs l’une des principales raisons qui poussent les Italiens à quitter le projet Fatia qui s’est avéré être un investissement à haut risque dans le contexte d’ouverture du marché national aux géants mondiaux de l’industrie automobile.

Saada va-t-elle donc réussir là où Fatia a lamentablement échoué ?

Par Hassan Moali, Liberté