Accueil > ECONOMIE > Les trois grands reculs de l’économie algérienne 1983-2003

Les trois grands reculs de l’économie algérienne 1983-2003

vendredi 20 mai 2005, par Hassiba

En Algérie, l’économie affiche depuis quelques années des indicateurs macro-économiques positifs qui n’ont pas encore effacé les traces de la grave crise qu’elle n’a cessé de subir depuis une vingtaine d’années. Malgré des efforts d’investissement colossaux, cette crise a abouti à un recul important de l’économie algérienne et de sa place dans l’économie maghrébine.

Les efforts d’investissements ont été relativement très importants

L’Algérie a affiché l’un des taux d’investissement les plus élevés du monde avec une moyenne de 45,22 % du PIB (en dollars constants) sur les trente années (1970-1999) (1). Ce taux est certainement sans comparaison avec ceux des autres pays, comme le Maroc (24,60%), la Tunisie (29,30%) et même la Corée du Sud (30,80 %).

Ces taux ne sont peut-être pas très parlants des efforts consentis par les divers pays, étant donné des volumes de population différents.

Au cours de ces trente ans (1970-1999), l’Algérie a investi, en moyenne par tête d’habitant, deux fois et demie plus que le Maroc et une fois et demie plus que la Tunisie.

En effet, l’investissement moyen par tête d’habitant et par an sur cette période aura été de l’ordre de 679 dollars en Algérie, alors que pour le Maroc, il a été de 275 $ et pour la Tunisie, 505 $.

Les sommes globales d’investissement sur trente ans donnent le vertige : en dollars constants de 1995, l’Algérie a investi 466 milliards, le Maroc, 188,2 milliards et la Tunisie, 111,3 milliards.

Ces volumes d’investissement, aussi colossaux soient-ils pour les pays du Maghreb, sont relativement faibles à côté de ceux réalisés par la seule Corée. Elle a investi, au cours de la période étudiée, 2401 milliards $, soit l’équivalent de plus de trois fois la somme des investissements des trois pays du Maghreb réunis. En 1970, la Corée avait un nombre d’habitants et un PIB par tête égaux à ceux de l’Algérie de 2003 ! Pour atteindre son niveau actuel, elle a dû investir l’équivalent de 80 milliards de $ par an ($ constants de 1995) ! Mais un volume d’investissement aussi important assure-t-il automatiquement une forte croissance. L’expérience algérienne permet d’en douter.

Pourquoi toutes ces données relatives à l’investissement ? Naturellement, on est en droit d’attendre, au vu de la théorie économique qui établit une relation fondamentale entre le volume d’investissement et le taux de croissance, pour l’Algérie, des résultats supérieurs à ceux de ses deux voisins, d’autant plus que l’Algérie affichait, en 1970, une situation meilleure puisque son PIB par tête d’habitant dépassait de 50 % celui du Maroc et 28 % celui de la Tunisie. En 2003, malgré des recettes exceptionnelles d’hydrocarbures, l’Algérie enregistre un PIB par tête d’habitant à peine supérieur de 29 % à celui du Maroc et bien inférieur de 21 % à celui de la Tunisie !

Ces simples données montrent que malgré tous ses efforts, la performance de l’économie algérienne a été bien inférieure à celle de ses deux voisins qui ont enregistré des taux de croissance beaucoup plus élevés avec infiniment moins de moyens utilisés.

Trois indicateurs peuvent encore mieux étayer ces reculs de l’économie algérienne par rapport à ses voisins. Il s’agit de la production industrielle, de la production agricole et de la consommation des ménages.

Baisse importante de la production industrielle

Les données indiquent que l’industrie manufacturière a connu une quasi-stagnation entre 1983 et 1993 avec un taux de croissance annuel moyen de 0,1 %. En revanche, pour la période suivante, 1993-2003, elle a connu une chute annuelle moyenne de 1,1 %. Autrement dit, la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière affichée en 2003 est inférieure de plus de 10 % par rapport à celle de 1983. Mais cette chute est en réalité beaucoup plus importante, quand on la compare à d’autres paramètres et à celle des pays voisins.

En effet, en 1983, l’Algérie occupait la première place en matière de production industrielle par tête d’habitant loin devant le Maroc, la Tunisie et l’Egypte.

Elle produisait 280 $ par tête d’habitant, alors que le Maroc en produisait 123, la Tunisie, 177,5 et l’Egypte 84. En termes relatifs, l’Algérie produisait 2,28 fois plus que le Maroc, 1,58 fois plus que la Tunisie et 3,33 fois plus que l’Egypte.

Vingt ans après, la situation s’inverse totalement pour l’Algérie qui descend à la dernière place.

En 2003, elle n’a produit que 147 $ par tête d’habitant, alors que le Maroc en a produit, 242, la Tunisie, 449 et l’Egypte, 229. En vingt ans l’ordre entre les trois autres pays n’a pas changé. La Tunisie occupe la première place de tout le groupe en produisant dorénavant 3,1 fois plus que l’Algérie, 1,86 fois plus que le Maroc et enfin presque le double de l’Egypte.

Les réformes opérées dans ces pays ont donné des résultats très palpables au plan industriel. En Algérie, les multiples assainissements et restructurations du secteur industriel n’ont pas produit de résultats positifs puisque la production par tête d’habitant a chuté de 47,7 % au moment où elle double au Maroc et triple (presque) en Tunisie et en Egypte. Ces résultats sont d’autant plus importants qu’ils se réalisent par impulsion du marché mondial, puisque ces trois pays réalisent des exportations non négligeables.

Ces résultats montrent la faiblesse de performance de l’économie algérienne et particulièrement de son industrie dont le secteur public a subi pas moins de six restructurations en vingt ans sans aboutir à une forme de gestion cohérente. En vingt ans, ces réformes ont fini par produire, à la tête de l’économie et des entreprises, une bureaucratie pléthorique et incompétente dont le souci principal ne concerne que ses privilèges et sa reproduction. Il ne s’agit pas seulement de résistances au changement. En vingt ans, cette bureaucratie a pris les entreprises et l’économie tout entière en otage, en bloquant les privatisations, utilisant l’arme de souveraineté nationale et remettant sur le tapis l’éternel débat sur la réorganisation du secteur public. Pendant tout ce temps, l’Algérie perd sa place même au sein des pays en développement n’ayant pas son niveau de ressources.

Une croissance agricole relativement faible

En termes absolus, le secteur agricole est celui qui a connu la plus forte croissance réelle puisque sur vingt ans (1983-2003), il a enregistré un taux de croissance annuel moyen (4) de 4,95 %. Il s’agit là d’une performance non négligeable par rapport à tous les autres secteurs de l’économie nationale. D’autant plus qu’il s’agit également d’une croissance inégalée dans les autres pays de la région. La Tunisie a enregistré un taux légèrement inférieur avec 4,04 %, le Maroc, 2,95% et enfin l’Egypte 3,05 %. Mais la comparaison doit-elle se suffire d’un taux de croissance global ? Non, car l’agriculture est censée nourrir une population. Sa croissance doit au moins suivre celle de la population.

Ce qui nous ramène au calcul de la valeur ajoutée agricole par tête d’habitant.

Ce calcul permet de dire qu’en 1983, l’Algérie produisait une valeur ajoutée agricole par tête d’habitant largement supérieure à celle se ses voisins réputés pourtant à vocation plus agricole. En effet, elle produisait 183 $, alors que le Maroc ne dépassait pas 102 $, la Tunisie, 154 $ et l’Egypte 125 $. Contrairement à une idée répandue, l’Algérie était donc un pays plus agricole que ses voisins. La question qui se pose est de savoir si notre pays a gardé cette position, vingt ans après.

En 2003, et malgré un taux de croissance relativement élevé, le secteur agricole a perdu sa position face aux pays voisins et n’a pas enregistré les mêmes performances. Le même calcul pour 2003 donne des chiffres qui reclassent l’Algérie à l’avant-dernière place de ce groupe de pays. En effet, elle a produit une valeur ajoutée par tête d’habitant de 214 $, alors que le Maroc en a produit 271, la Tunisie 306 et l’Egypte 195. L’Algérie a connu donc une croissance de ce produit par tête d’habitant d’à peine 16,7 %, alors que le Maroc a enregistré une croissance de 165 %, la Tunisie 98% et l’Egypte 56 %.

Malgré les efforts et les progrès réalisés dans le secteur agricole au cours de ces deux dernières décennies, l’Algérie a perdu sa première place.

Dans ce secteur, comme dans l’industrie manufactu-rière, la performance algérienne a été notablement plus faible que celle de ses voisins et n’a pas suivi le rythme de croissance de sa population.

Une baisse importante de la consommation individuelle

Dans ce domaine également, les données globales indiquent que le volume de la consommation des ménages a augmenté, au cours de la période 1983-2003, de 10,5%. Ce qui est insignifiant en vingt ans puisqu’on aboutit à un taux annuel de 0,5%.

Les comparaisons montrent que le même indicateur a plus que doublé en Tunisie (+101%) et presque doublé au Maroc (+93%) ; l’Egypte ayant réalisé la croissance la plus élevée avec 117 %.

Mais dans ce domaine, plus encore que les deux précédents, la référence à la population est fondamentale. Ainsi, le calcul de la consommation par tête d’habitant est incontournable pour évaluer l’effort de développement et pour opérer des comparaisons entre différents pays.

L’Algérie occupait également la première place en 1983 avec 1048 $ de consommation par tête d’habitant, loin devant le Maroc (458$), la Tunisie (721$) et l’Egypte (414$).

Vingt ans après, la situation s’inverse totalement puisque notre pays enregistre en 2003 la dernière place avec seulement 861 $ soit une baisse de 18 %, alors que le Maroc enregistre 940 $ soit une croissance de 105 %, la Tunisie dépasse tous ces pays avec 1576 $ soit une croissance de 119 % et enfin l’Egypte qui dépasse notre pays avec 883 $ soit une croissance de 114%. Notons que tous les autres pays ont plus que doublé la consommation par tête d’habitant, ce qui signifie que la croissance enregistrée par leurs économies a eu des effets réels sur la population.

Evalué en dollars, le marché des biens et services en direction de la consommation des ménages est donc devenu relativement le plus faible par rapport aux autres pays. Comment expliquer cette baisse de la consommation individuelle en Algérie, pays qui a nettement plus investi que les autres pays de la région ?

Eléments de conclusion

1° L’Algérie, malgré ses crises successives n’a pas cessé d’investir au cours des vingt dernières années. Le taux d’investissement affiché est l’un des plus élevés du monde. Les investissements enregistrés sont colossaux en chiffres et sans commune mesure avec ceux de ses voisins.

2° En 1983, l’Algérie occupait paradoxalement la première place par rapport aux pays voisins dans le domaine de la production manufacturière, de la production agricole et de la consommation individuelle.

En 2003, elle redescend à la dernière place dans tous ces domaines et enregistre même des reculs importants.

3° les résultats enregistrés au cours de ces vingt dernières années sont donc sans commune mesure avec les efforts consentis en termes de volume d’investissement. Bien sûr, ces investissements n’ont pas concerné principalement les domaines analysés. Mais les retombées globales devaient concerner, en toute logique, tous les secteurs, comme dans les autres pays. La Banque mondiale estime que « le manque de croissance » s’élève au cours de cette période à 2,3% par an, « en raison principalement de la faible performance de la productivité totale des facteurs (5) ». Ce qui signifie que l’Algérie aurait dû avoir, au moins, un PIB par tête d’habitant de 3608 $ au lieu de 2094 $ en 2003.

4° En attendant de rechercher les vraies causes de ces reculs inquiétants, on peut d’ores et déjà affirmer que plusieurs facteurs sont en cause comme l’organisation de l’économie et le management des entreprises, l’affectation des ressources investies et le mode de réalisation et de contrôle de ces investissements. On en sait malheureusement quelque chose dans certaines localités où l’investissement public se réduit à la concrétisation de dizaines de kilomètres de trottoirs et l’embellissement des trajets officiels. Certes, ce sont des actions nécessaires, mais aucun citoyen ne les inscrirait en tête des priorités à un moment où la plupart des villes algériennes ne ressemblent plus qu’à des gros bourgs. Le Rapport Mondial sur la corruption fait ressortir, dans sa dernière livraison, que ce sont bien les secteurs de la construction, des bâtiments et travaux publics qui sont les plus minés par la corruption. L’Algérie y figure à la 88ème place sur 133 pays, par ordre croissant de corruption avec un indice de 2,6 sur 10 la plaçant parmi les pays les plus corrompus du monde (6) ! Par ailleurs, qui peut sérieusement affirmer que ces « consommations de budget » ont des effets positifs sur la production industrielle et agricole du pays et sur ses capacités compétitives ?

5° Tous ces éléments permettent de tirer une conclusion fondamentale. L’investissement ne saurait s’ériger en une simple consommation de crédits. Sa performance ne peut se mesurer, dans une économie moderne, par le simple taux de consommation des budgets alloués. Les résultats de ces vingt dernières années montrent bien que, sans une réforme profonde des institutions, l’investissement public, aussi colossal soit-il, risque encore une fois de ne servir que très faiblement le développement du pays.

Par Ahmed Bouyacoub : Professeur De Sciences Economiques - Université d’Oran , quotidien-oran.com

Notes :

1- Tous Les Chiffres Avancés Proviennent De Calculs Personnels Effectués A Partir

Des Données De La Banque Mondiale, World Development Indicators 2004.

2- Calculs Effectués A Partir Des Données Contenues Dans Les Tableaux Par Pays Comme « Algeria At A Glance » Septembre 2004, Site Www.Worldbank.Org

3- Calculs Effectués A Partir Des Données Contenues Dans Les Tableaux Par Pays Comme « Algeria At A Glance » Septembre 2004, Site Www.Worldbank.Org

4- Banque Mondiale, Algeria At A Glance, Septembre 2004

5-Banque Mondiale, Stratégie Macroéconomique A Moyen Terme Pour l’Algérie : Soutenir Une Croissance Plus Rapide Avec La Stabilité Economique Et Sociale, Rapport En 2 Volumes, Mai 2003.

6- Transparency International, Rapport Annuel 2003, La Coalition Contre La Corruption Avec Un Gros Plan Sur l’Afrique, 44 Pages.