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Alger : Les racines d’une ville ancienne

Une réalité de tous les jours

dimanche 28 mars 2004, par Hassiba

Le vieillissement du patrimoine à Alger est une réalité indéniable. Et pour cause, une massive et violente opération de démolition de quartiers entiers est actuellement de mise dans plusieurs endroits de la capitale.

Déclarés insalubres par les experts du CTC, ces espaces d’Alger qu’il faudrait aujourd’hui complètement effleurer devront interpeller la conscience des dirigeants (et pourquoi pas celle du futur président de la République !) sur l’urgence d’une mise en oeuvre d’un plan d’« urbanisme novateur ». La plupart des immeubles de la métropole algéroise sont dans un état de délabrement avancé par notamment, leur vétusté avérée.

Ce fait parle de lui-même en beaucoup d’endroits à Alger. une réalité visible dans plusieurs quartiers. On peut citer ceux des Annassers, Belcourt, Hassiba Ben Bouali, Meissonnier, Bab El Oued, La Casbah...etc. Littéralement, ce sont tous les immeubles du Front de mer qui nécessitent une politique de réaménagement et d’urbanisme. Alger, la ville symbole d’une société qui a su résister pendant 130 ans au colonialisme, sauvegardant jalousement sa propre personnalité, ses moeurs et son indépendance, exprime aujourd’hui le besoin de voir son patrimoine immobilier rénové et réhabilité dans les plus brefs délais. Elle parle à la place de sa population qui assiste anesthésiée à une triste réalité de tous les jours.

Un patrimoine historique, architectural et urbain

Alger est surtout le témoin et le cadre physique d’une culture et d’une manière de vivre. Le propos n’est pas ici de faire une histoire événementielle de la capitale, mais de souligner à quel point son histoire urbaine, sa vie sociale nous sont encore mal connues. Or, c’est précisément l’évolution de la ville, de son tissu urbain, de son architecture et de son organisation qui peuvent servir de support à un projet de sauvegarde.

La mainmise sur la ville d’Alger en 1830 d’un pouvoir colonial, à la culture et aux intérêts différents, marque l’arrêt de l’évolution propre de la ville musulmane. Les modifications et transformations qu’elle va subir seront autant de rupture brutale et ce, jusqu’au début du 20e siècle, lorsque les investisseurs opteront pour presque exclusivement pour de nouvelles extensions. Commence alors pour l’ancienne cité le long processus de dégradation, un phénomène qui se traduira par un surpeuplement et une ségrégation sociale des plus manifestes.

Le territoire de la ville ancienne est alors partagé en trois arrondissements administratifs :

 Au premier arrondissement est attribué le quartier de la Marine (17,4 ha) dit aussi de l’ancienne Préfecture. Dans ce quartier au tissu ancien avec quelques voies élargies et bordées de hauts immeubles européens, une forte proportion de maisons anciennes subsistaient. Sa population fut européenne jusqu’au début du siècle dernier, puis remplacée petit à petit par des ruraux demandeurs d’emploi.

 Au second arrondissement dit de « La Casbah » est attribué le « Djebel » soit la ville haute. D’un tissu urbain et d’une architecture peu modifiés, ce quartier a été progressivement réapproprié par la population musulmane qui s’y replie jusqu’à l’indépendance.

 Au troisième arrondissement, le reste de la Médina, zone commerciale par excellence, malgré les grandes percées de la rue de la Marine, Bab-Azzoun, de Chartres, de la Lyre, Randon, de la place de Chartres et du Gouvernement, cette zone garde beaucoup de son parcellaire et de ses structures porteuses d’origine. Les Israélites s’y maintiendront, les Européens étant depuis 1900 progressivement remplacés par des ruraux.

Ces trois arrondissements sont en 1926 les plus surpeuplés d’Alger. Et les seuls investissements qui y seront faits à partir du début du siècle dernier seront uniquement des investissements municipaux : écoles, habitations bon marché... C’est avec le « plan d’embellissement de la ville d’Alger » commencé vers 1926-30, que la ville ancienne connaîtra ses derniers rebondissements. Ce dont nous héritons aujourd’hui.

S’il est vrai que la ville d’Alger a subi de fortes agressions externes, l’identité de la vieille ville est toujours bien reconnaissable. De sa silhouette, de son portrait toujours si important pour les villes maritimes, elle a gardé les grandes masses. Il y a aussi, et surtout, toutes ces maisons inscrites dans leur contexte d’origine qui, malgré les phénomènes de dégradation, représentent un formidable patrimoine architectural.

De la qualité de leur construction, de l’ingéniosité des solutions trouvées aux contraintes (de site, de climat, d’hygrométrie, de matériaux, de technologies, d’exiguïté) de leur adaptation à un certain mode de vie, de l’art de leurs constructeurs qui ne réside pas que dans le décor, des leçons restent à tirer pour l’avenir.

Les grands projets européens

Le plan d’embellissement de la ville d’Alger élaboré en 1926 avait pour principal raison d’être la commémoration du « centenaire de la colonisation ». Pour sa conception, il a été fait appel à d’imminents architectes européens d’une grande renommée en cette époque, comme le fut le célèbre architecte Le Corbusier. Il était question dans le plan d’embellissement d’une démolition massive allant du quartier de la Marine jusqu’à l’actuelle Place des Martyrs.
Aujourd’hui, la majorité des immeubles bâtis dans cet espace (NDLR, la Place des Martyrs), tels le Trésor public, la Casoral, les PTT, trouvent leur conception première dans ce plan qui remonte au début du siècle dernier. Le plan d’embellissement de la ville d’Alger n’a pas été mis en oeuvre dans sa totalité, en raison, croit-on savoir, de « la vision futuriste » de son initiateur, en l’occurrence l’architecte Le Corbusier. Ce dernier était militant de l’Unité populaire, un mouvement communiste, qui a connu son triomphe en France en 1926-30. Le Corbusier n’a pas achevé la réalisation du plan d’embellissement de la ville d’Alger du fait de son engagement anti-colonialiste.

En 1948, un autre plan d’urbanisme et d’aménagement de la ville d’Alger a été initié par l’architecte Pouillon. Dans le cadre de ce plan, plusieurs cités ont été réalisées. L’on peut citer entre autres, la cité Diar El Mahçoul, Diar Essaâda, la cité Concorde de Bir Mourad Raïs et le quartier Climat de France à Bab El Oued. Le plan d’urbanisme élaboré (en 1948) pour le gouverneur général de l’Algérie coloniale a réuni tous les éléments nécessaires pour la création d’une capitale.

Le retour du général De Gaule au pouvoir de la France en 1958 a renvoyé aux calendes grecques le « plan d’urbanisme » car le général avait lui aussi un plan d’aménagement dans sa tête. C’était le fameux plan de Constantine de 1958 qui avait prévu pour Alger, la réalisation de grandes cités d’habitation destinées aux « indigènes ». Le plan de Constantine a été réalisé dans la précipitation. Et dans la foulée, on a assisté à la naissance de plusieurs cités telles que Diar El Afia (Les Annassers), Diar Echems, El Bahia (Kouba). Beaucoup de ces cités ont été réalisées dans l’urgence au profit des populations « indigènes ». L’objectif de De Gaulle à travers le plan de Constantine était d’affaiblir le FLN de l’époque via notamment des actions économiques et sociales.

Au lendemain de l’indépendance

A la veille de l’indépendance, la population d’Alger était approximativement de l’ordre de 400.000 habitants. Au lendemain du départ des colons, les Algérois habitant la Casbah ont occupé les logements laissés vides par les Européens. Le premier gouvernement de l’Algérie indépendante n’a pas jugé utile d’adopter une politique de construction d’habitations dans la capitale. Sa préoccupation première en la matière, c’était de rebâtir les villages ruraux détruits par la guerre.

C’est l’équipe du Comidor (le Comité permanent d’études, de développement, d’organisation et d’aménagement) qui, au cours des années 1970-72, a pour la première fois, posé les bases d’une action visant à sauvegarder l’ensemble de la Médina en tenant compte de tous les problèmes socio-économiques de l’intégration dans la ville contemporaine, de l’objectif d’une mise en valeur globale et en inscrivant cette action dans la problématique du développement et de l’aménagement d’Alger. Ce travail s’acheva par un séminaire sur « la rénovation des quartiers historiques au Maghreb », organisé en 1972 sous la tutelle du défunt président, Houari Boumediène.

Le discours d’ouverture du séminaire prononcé par le Dr Ammimour, en sa qualité de secrétaire général de la présidence et président du Comidor à cette époque, soulignait l’importance que revêt pour la vie d’une nation « la sauvegarde consciente de son patrimoine historique tant pour les populations qui y habitent que pour les générations futures ». Le Comidor a, en effet, élaboré une stratégie pour le développement d’Alger aux horizons de l’année 2000. Cette stratégie a donné naissance au plan d’orientation général (POG). Ce plan a pris en considération la construction d’une capitale d’environ trois millions d’habitants. Les concepteurs du POG qui ont accordé la primauté à la construction de logements ont aussi pris en considération la nécessité d’une stratégie d’équipements. Parmi ces derniers réalisés dans le cadre du POG, la modernisation du réseau routier, notamment la Rocade sud reliant Ben Aknoun à Dar El Beïda, l’autoroute de l’Est (El Hamiz - Bab El Oued), la réalisation du complexe du 5-Juillet ainsi que plusieurs pénétrantes à Oued Ouchayeh, les Annassers, Champ de Manoeuvres et Frais-Vallon. A noter au passage que les réalisations attribuées au Comidor ont rencontré un grand nombre de difficultés opérationnelles.

Les ateliers du Comidor n’ont pu être nantis ni de personnel, ni de moyens matériels, ni de statut autonome qu’une entreprise de cette envergure nécessite. Les autorités étaient conscientes de la complexité de l’opération et du grand nombre de difficultés rencontrées. Ces mêmes autorités, en tenant compte de l’aggravation de la situation, sollicitèrent par la suite, l’assistance de l’Unesco. En revanche, les obstacles d’ordre juridique et organisationnel n’ont pu être écartés. L’assistance de l’Unesco ne s’appuyant pas sur un dispositif légal et administratif cohérent, presque toutes les actions souhaitées ont été rendues inopérantes. La crise du logement était en cette fin des années 70 particulièrement aiguë dans la capitale. La création en 1977 du ministère de l’Habitat a abouti pour la première fois en Algérie à la reconnaissance du droit au citoyen d’avoir un logement conformément aux orientations de la Charte nationale de l’année d’avant (1976). La première préoccupation du ministère de l’Habitat a été la réalisation de quelque 100.000 logements en l’espace d’une année dont 15.000 dans plusieurs périphéries d’Alger, Bab Ezzouar, Garidi, Mohammadia et Château- Neuf.

A l’orée des années 80, plus précisément en 1984, le plan d’urbanisme directeur (PUD) élaboré sous le gouvernement de Chadli, a opéré la reconversion des terrains agricoles en des lots de construction. « Le PUD a permis toutes les déviations ainsi que l’accaparement des terrains », témoigne aujourd’hui un architecte universitaire. Il ajoute que jusqu’à présent, « les autorités ont du mal à mettre en place une politique censée organiser le cadre de vie et non pas uniquement assurer le gîte ».
« L’aspect gestion, entretien et confort sont totalement exclus de la démarche des autorités », a-t-il expliqué.

Délabrement

La cause fondamentale du délabrement des habitations à Alger est l’absence totale d’une prise en charge du patrimoine immobilier. La loi 81-01 portant cession du patrimoine immobilier a vu la disparition de la fonction de concierge et autres syndics d’immeubles. Cette loi n’a pas permis la poursuite des actions élémentaires d’entretien. Ajoutez à cela, la faculté d’user et d’abuser de tout type de transformation que le citoyen a apporté au patrimoine devenu une propriété privée en l’absence totale des autorités. Le patrimoine immobilier d’Alger est en danger.
Ce patrimoine se trouve actuellement dans une fragilité qui risque, à la moindre secousse tellurique, de connaître une catastrophe.

Ameziane Mokrane, L’expression