Accueil > SANTE > Décès de 13 prématurés à l’hôpital de Djelfa

Décès de 13 prématurés à l’hôpital de Djelfa

lundi 10 mai 2004, par Hassiba

Que s’est-il passé à l’hôpital de Djelfa ? Il est un peu plus de 16 heures, le ministre de la Santé M. Redjimi suspend la séance. Il se lève et quitte la salle de réunion du bloc administratif de l’hôpital, suivi d’une foule de blouses blanches suspendue à ses pas, à ses lèvres. Que va-t-il décider ?

L’affaire qui l’a conduit à la hâte à Djelfa en ce dimanche 5 mai est si grave qu’il doit agir dans l’urgence. Les faits sont accablants. Autour de la grande table ovale, ou même le commandant de la Gendarmerie a été convié, les révélations du corps médical excédé ont valeur de déposition. Il est question de négligence mortelle. Les victimes sont des bébés prématurés, 13 au total, abrités dans une salle improvisée pour soins néonataux, ouverte aux quatre vents et infestée de bactéries.

Qui est responsable de cette impardonnable bévue. Les langues qui se sont déliées durant la rencontre avec le ministre ont toutes accablé le directeur de l’hôpital. Foudroyé par les accusations du corps médical, le premier responsable s’est tu. Les pièces à conviction retenues contre lui sont édifiantes. Elles résument à la fois son incompétence et son despotisme. “Il se permet de signer des autorisations de sortie de malades sans l’autorisation des médecins traitants” , s’éructe l’un des praticiens. Face au ministre embarrassé, un autre prend la parole pour stigmatiser davantage la gestion de l’hôpital. D’un bout à l’autre de la table, les reproches pleuvent. L’une des critiques agit comme une douche froide sur le représentant de l’Exécutif. ”Un décès ou 13, ça ne change rien. Des bébés sont morts”, rappelle un chef de service avec irritation.

Lancée comme un point d’ordre, sa mise au point recentre le débat autour du drame, cette goutte sanguinolente qui a fait déborder le vase. Que s’est-il passé au juste ? Projeté au-devant de cette affaire de bébés, le docteur Ikhinissa est mal à l’aise dans son rôle de procureur. En présence de la délégation venue d’Alger, il a peine à articuler ses phrases. Non qu’il ne soit pas courageux, mais ce chef du service pédiatrique, à l’apparence sceptique, craint que les choses ne se retournent contre lui. Pourtant que n’avait-il pas fait pour prévenir la bêtise et mettre en garde ses auteurs sur des répercussions. “J’ai adressé deux rapports, l’un à la direction de l’hôpital, l’autre au Conseil médical”, se défend-il. Ses missives sont restées sans suite. Les décès se sont succédé. Que s’est-il passé ? À la fois responsable de la pédiatrie et de la néonatalité, le Dr Ikhinissa est promu chef de service en novembre 2003. À sa prise de fonction, la situation n’est guère enviable. La vétusté des équipements, le manque de personnel augurent d’une tâche difficile. “Les couveuses sont si vieilles, qu’il est nécessaire de mettre une infirmière devant chacune d’elles pour parer aux changements brusques de température.

À son arrivée, les fameux berceaux étaient disposés dans les chambres des mamans, près de leur lit. Mais voilà que le directeur de l’hôpital décide de les transférer et de les regrouper dans une pièce. Ce transfert a eu lieu durant un week-end, au mois de janvier, le 17 plus exactement”, confie le pédiatre. Devant le ministre, il réitère ce qu’il considère comme un empiètement de ses prérogatives et une infraction grave de l’éthique. “Il a déplacé les couveuses alors que j’étais absent. À mon retour, je suis allé le voir pour l’avertir des conséquences dangereuses qui pourraient en découler. J’ai discuté avec lui pendant trois heures mais il a refusé de m’écouter”, révèle le médecin à M. Redjimi. Dans les jours qui ont suivi cette mise en garde, les premiers décès ont été enregistrés. En un mois, treize bébés trouvent la mort.

Les causes sont évidentes. Elles sont toutes en rapport avec l’inadaptation de la salle où il n’y a aucune norme d’isolement, d’aération et d’asepsie. Le 15 février, trois décès occasionnés par une septicémie font sortir le Dr Ikhanissa de ses gonds. Il n’en peut plus. Continuer à subir le diktat du directeur et son autoritarisme viendrait à cautionner de véritables homicides. Mais que faire sinon continuer à sensibiliser la hiérarchie médicale et administrative, le directeur local de la santé et de la population notamment. Si le Conseil médical est ignoré, la DSP obtient des assurances quant à l’ouverture imminente d’une salle de néonatalité adéquate et plus équipée.

En attendant, il fallait prendre son mal en patience, et les décès successifs comme des incidents de parcours ! En situation de transit vers l’au-delà, les nouveau-nés s’éteignaient ainsi dans l’anonymat absolu. “Déjà fragilisés par une naissance avant terme, ils étaient exposés à des conditions aggravantes”, note le pédiatre en chef avec dépit. “On appelait ça pompeusement une salle d’escale”, s’offusque un de ses collègues. Selon lui, si le Dr Ikhanissa a subi le fait accompli, c’est parce qu “’il a reçu des pressions”.

Le praticien s’est fait l’écho de cette énième révélation devant le ministre de plus en plus gêné par la tournure de la situation.

Assis à sa droite, le directeur incriminé continue à garder le silence. Il n’a rien à dire pour se défendre.
La réunion achevée, certains de ses collaborateurs ont tenté de le disculper en affirmant qu’il y a toujours eu des décès de bébés prématurés au niveau de l’hôpital et que ni sa venue - il y a une année -, ni la décision de transfert qu’il avait prise, n’avait changé quoi que ce soit à la situation. Sans abonder dans ce sens, le Dr Ikhanissa déplore quant à lui l’absence de conscience sanitaire chez les femmes enceintes, surtout en milieu rural. “Souvent elles ne sont pas suivies par des médecins et préfèrent accoucher à domicile. D’où la vulnérabilité des nouveau-nés”, explique-t-il. Pour autant, les conditions déplorables des infrastructures d’accueil et leur indigence sont un fait, le plus important à ses yeux. “Il n’était pas aussi propre comme vous venez de le voir”, s’est écrié un des chefs de service à l’adresse du ministre à la fin de la réunion. Le praticien parlait du nouveau service de néonatalité mis en fonction depuis le 18 avril. Une manière à lui de signifier au représentant de l’Exécutif que telle ou telle pièce aménagée importe peu tant que le minimum d’hygiène fait défaut.

Habillés de combinaisons obligatoires, nous suivons le Dr Ikhanissa dans ces lieux lavés à grande eau et aseptisés à l’eau de javel à l’occasion de la venue du ministre. À l’intérieur de couveuses datant d’un autre âge, des petits corps gigotent. Faisant l’énumération de toutes les insuffisances, notre accompagnateur cite des exemples à couper le souffle.

Son service n’a pas de quoi traiter une jaunisse. Il manque aussi de produits sanguins capitaux (les PFC) pour parer aux cas de septicémie, celle-là même qui a ravi la vie de trois nourrissons et provoqué le scandale. Un énième scandale.

À Mascara, il y a deux ans, sept bébés avaient trouvé la mort à cause d’une mauvaise manipulation d’un produit vaccinal. À qui le tour !

Négligence à l’hôpital

Ce que prévoit la loi

Selon Me Chorfi, lorsqu’il y a mort de personne dans une structure de santé, les parents de la victime doivent déposer plainte auprès du procureur territorialement compétent. “L’article 288 du Code pénal prévoit, en effet, la sanction des personnes responsables d’homicide par négligence”, explique l’homme de droit. La plainte devra être déposée contre l’hôpital. Le parquet déclenchera alors une enquête qui permettra de situer les responsabilités. Dans tous les cas, le directeur de la structure de santé est le premier responsable en sa qualité de représentant de la personne morale : il est civilement responsable. Par ailleurs, et pour plus de précision sur les procédures, nous avons tenté d’entrer en contact avec les élus du Conseil de l’Ordre national et de la section ordinale des médecins de Blida, mais en vain.

M. Redjimi : “Les responsabilités seront établies”

Le précédent de Mascara est encore vivace dans les mémoires si bien que l’nformation de 13 bébés décédés à l’hôpital de Djelfa, qui a fait la une de quelques journaux, hier, ne pouvait pas laisser les autorités indifférentes. En s’empressant de rallier Djelfa hier, le ministre de la Santé et de la Population voulait attester de son implication directe dans la gestion de cette nouvelle affaire. S’il a promis des sanctions contre les auteurs des graves négligences, M. Redjimi s’est montré également rassurant. Dans une déclaration à Liberté, il a indiqué que 10 sur les 13 décès relèvent de malformations congénitales et les autres sont dus à une septicémie. “Cela s’est fait dans une situation de transfert de service en janvier dernier”, a indiqué le ministre. Pour plus d’éclairage, le représentant du gouvernement attend les résultats de la commission d’enquête ministérielle qui est depuis hier à Djelfa.

Sur la base de ses conclusions, il entend prendre des mesures et “établir les responsabilités”. Pour l’heure, M. Redjimi entend renforcer l’hôpital de Djelfa en matière d’équipements. Il a admis, par ailleurs, l’existence d’un problème relationnel entre la direction et le corps médical.

Pourquoi cette affaire maintenant ?

Il est étonnant de constater que “la révélation” des décès ait lieu maintenant seulement alors que les faits remontent à au moins deux mois. L’affaire a été rendue publique hier, par le coordonnateur local de la Ligue algérienne des droits de l’Homme. De leur côté, les médecins de l’hôpital affirment avoir, à maintes reprises, attiré l’attention de leur tutelle directe. Sans succès. Ne sachant plus à quel saint se vouer, ils ont décidé en dernier recours d’observer une grève. “La sagesse a finalement prévalu. Nous ne voulions pas prendre en otages les patients ni les pénaliser.

D’un commun accord, nous avons alors décidé d’observer un sit-in dans la cour de l’établissement”, confie un délégué syndical. Au-delà de son caractère morbide, l’affaire des bébés décédés constitue, à ses yeux, un ultime SOS. “L’hôpital de Djelfa a une capacité totale de 360 lits. Mais ses médecins sont dans l’incapacité de soulager tous les malades. Il leur manque tout”, fait-il remarquer avec regrets. Arrivée en renfort depuis quelques mois, une praticienne travaille à mi-temps. Pour cause, elle devait assurer la gestion d’un service de réanimation qui n’existe pas.

Par Samia Lokmane, liberte-algerie.com