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Expertise : Le bilan de la mandature de Bouteflika

lundi 29 mars 2004, par Hassiba

Des experts algériens se sont penchés sur le bilan de la mandature de Bouteflika en utilisant une méthode très simple : se référer à son programme et comparer ses engagements avec ce qui a été réellement et concrètement réalisé

En partant du programme, les promesses du candidat de 1999 seront abordées en premier lieu, avec leurs références, afin de faciliter un retour au texte original.

La démocratie, la violence et les partis.

 1 « L’approfondissement et la défense du pluripartisme et de la démocratie doivent être des priorités essentielles. » p. 9

Le refus d’agréer des partis ayant tenu des congrès constitutifs dans le strict respect des dispositions de la loi sur les partis, comme Wafa de Taleb Ibrahimi et le Front démocratique de Sid Ahmed Ghozali, est là pour prouver le contraire. Mieux, les deux leaders ont vu leur dossier de candidature à l’élection présidentielle rejeté. De plus, comment considérer les multiples entraves apportées à la liberté d’expression citoyenne par le refus des marches et autres manifestations. Ne parlons pas du harcèlement de la presse qui a dépassé toutes limites.

 2 « Mettre fin à la violence et œuvrer au dépassement des antagonismes... » p.11

Le terrorisme est toujours présent, en dépit de la concorde civile que l’on veut transformer en concorde nationale. Une nouvelle crise est née en Kabylie : 124 morts dues à une gestion irresponsable de la crise dans cette région. Pour ce qui est des antagonismes, le pouvoir s’est ingénié à en créer partout : au sein des partis, des associations et des institutions.

 3 « Les partis politiques devront bénéficier d’un soutien matériel. » p.16

Aucune aide ni soutien matériel. En outre, le rôle des partis a été minoré par l’interdiction d’accès aux médias lourds.

La justice

  4 « Indépendance effective du juge et de sa subordination totale et exclusive à la loi... » « La protection du magistrat de toute pression d’où qu’elle vienne est une exigence absolue. » p.18.

Au lieu de cela, on a eu droit à la justice de nuit, à la révocation des juges aspirant à être indépendants, au coup de force contre un syndicat de magistrats, au harcèlement des hommes de justice.

Les médias audiovisuels

 5 « Les médias audiovisuels publics devront être dotés d’un statut qui leur assure une large autonomie et une information objective. » p. 29

Les médias publics lourds ont toujours été au service exclusif du président de la République et sous son contrôle direct. Ils n’ont de publics que le nom, car le président-candidat l’a réaffirmé, le 15 mars, lors de l’émission « Baramidj » : « Les médias publics resteront du ressort de l’Etat. » « Que moi je paie pour que toi tu danses, je n’admets pas cela. »

 6 « Il devra être institué un organisme regroupant des représentants du monde de l’information et chargé d’élaborer les règles relatives à la déontologie et à l’éthique professionnelle. » p.30

Aucune mesure d’application n’a été prise en ce sens.

  7 « L’élargissement et l’ouverture du champ des médias audiovisuels devront favoriser son enrichissement et sa diversité. » p. 30

Le champ audiovisuel est fermé plus que jamais et aucun nouveau média audiovisuel n’a vu le jour et ce ne sont pas les demandes de création qui ont manqué.

Enseignement supérieur

 8 « Redéfinir et réorganiser les grandes écoles et les instituts supérieurs pour les faire évoluer vers leur érection en centre d’excellence. » p. 47

Aucun chantier de réforme n’a été impulsé.

Économie

 9 « Les actions et les priorités devront viser la restructuration et la relance du secteur économique public. » p.64

A son arrivée au pouvoir, le président trouve en vigueur la formule des holdings. Il en existait onze. Il donne instruction pour qu’on les supprime. Devant la résistance justifiée du Premier ministre, ils sont réduits à cinq. Au départ de Benbitour, qui considérait les holdings comme la juste formule, on remplace ceux-ci par les Sociétés de gestion des participations (SGP) et on en crée vingt-huit (28). Le secteur public n’ayant enregistré que des aménagements au sommet, sans que les entreprises, qui en constituent l’essentiel, soient touchées par la restructuration ou la relance, se meurt progressivement. Economie de marché ou économie administrée ?

  10 « La transformation du système bancaire s’impose comme une autre priorité... » p. 67

Cette réforme sera différée sine die.

 11 « Le statut, les missions et les moyens de l’Office national des statistiques (ONS) devront être redéfinis en même temps que sera impulsée ou encouragée la création de banques de données spécialisées. » p.68

A cause de la fuite des cadres et du manque de moyens d’action, l’ONS est sous-encadré et déstructuré.

 12 « La privatisation devra être envisagée comme une des modalités de restructuration du secteur public. » p. 73

Le bilan de la privatisation est considéré par nos experts comme insignifiant. Quant au cas d’Ispat, il faut souligner que l’opération était en maturation du temps des holdings.

II - Les engagements lourds du mandat Plus que les promesses figurant dans son programme, le candidat Bouteflika a pris en 1999 un certain nombre d’engagements, définissant les contours significatifs de sa politique.

Le retour à la paix

Si l’insécurité a sensiblement diminué, les Algériens le doivent à l’ANP, ainsi qu’aux services de sécurité et aux Patriotes et à leur grande détermination dans leur lutte contre le terrorisme. La résistance des Algériens y est aussi pour beaucoup. De plus, il ne faut pas oublier que la concorde civile est une opération qui couronnait l’accord de paix signé avec l’AIS, sur initiative de l’ANP.
Les réformes

Le président sortant se prévaut de trois réformes qu’il aurait initiées et engagées : la justice, l’éducation, l’Etat et ses institutions. Des commissions ont été installées en grande pompe ; elles ont travaillé, puis produit des rapports, dont les acteurs et opérateurs des secteurs concernés n’ont jamais pris connaissance tout autant que l’opinion publique qui en ignore le contenu, alors que ce sont les citoyens algériens qui sont les premiers intéressés. Aucune suite n’a été donnée aux travaux de ces commissions.

Les réformes économiques

Elles sont à l’arrêt. Trois ministres chargés de la privatisation se sont succédé, sans qu’aucune privatisation ait lieu, à l’exception de la cession du complexe sidérurgique de Annaba au groupe Ispat, dont il est question plus haut. La réforme du système bancaire est toujours en panne. Les exportations hors hydrocarbures plafonnent à cinq cents (500) millions de dollars américains ; celles des produits manufacturés ne dépassent pas deux cents (200) millions de dollars, soit 1 % des exportations du pays. Notre économie est toujours peu performante et peu compétitive. Notre productivité est la plus faible du bassin méditerranéen. Elle est de plus en plus dépendante des hydrocarbures. En 1998, le pétrole et le gaz représentaient 30 % de la richesse nationale. En 2002, 42 %. Dans le même temps, l’industrie, qui représentait 10 % de la richesse du pays, n’en représente plus que 7,5 %.

La relance de l’économie

Il faut d’abord relever que le président-candidat, malgré une situation financière favorable dès fin 1999, a attendu deux ans et demi après son élection, soit juin 2001, pour mettre en œuvre le Plan de soutien à la relance économique (PSRE). Le président n’a bougé que sous la pression des institutions (CNES, UGTA, etc.), qui ne comprenaient pas pourquoi l’Etat, disposant des ressources financières suffisantes, ne relançait pas la machine économique. Il faut ensuite constater que ce plan a été mis en œuvre sans stratégie claire et cohérente et sans aucun débat préalable. Une série d’enveloppes financières a été allouée à des projets, qui, pour la plupart anciens, étaient à l’arrêt. Le bilan de ce PSRE n’a jamais été réalisé ni présenté à l’APN pour évaluation. Le chômage aurait baissé. En 1999, il était de 29 % et en 2003 de 23 %. Pour maintenir le chômage au taux de 1999 (29 %), il aurait fallu créer 250 000 postes de travail par an, pour absorber les nouvelles demandes d’emploi. Pour diminuer le chômage de 6 %, comme le prétend le président sortant, et passer de 29 à 23 %, il aurait fallu créer chaque année près de deux millions d’emplois, durant ces quatre dernières années. Nous sommes loin du compte.

La croissance économique

La croissance économique de 4 % en 2002 et de 6,8 % en 2003 est due à une injection massive d’argent (environ 800 milliards de dinars algériens), à une bonne pluviosité et, surtout, à un marché pétrolier mondial favorable. Une telle croissance présente les caractéristiques suivantes : Elle est coûteuse, puisque reposant sur une injection d’argent et non sur une amélioration de la productivité, soit une meilleure manière de travailler. Elle est éphémère du fait qu’elle cessera dès que baisseront les prix du pétrole. Enfin, elle est extensive, ne reposant pas sur des actions structurelles qui viseraient à améliorer les performances de l’économie. Il faut en outre préciser que, durant la période allant de 1995 à 1998, la croissance annuelle fut de 3,6% en moyenne. Pour la période 1999-2002, la croissance annuelle moyenne s’est située à 3,8%. Nous constatons que, structurellement, nous en sommes au même taux depuis dix ans. En annonçant le taux de 6,8% de 2003, il ne faut pas omettre d’annoncer les chiffres médiocres de 2000, 2001 et 2002.

S. M. B., El Watan