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Gazoduc Algérie-Espagne : Va-t-on enterrer le projet ?

lundi 10 mai 2004, par Hassiba

L’Union européenne donnera t-elle son aval pour le financement du projet Medgaz ? Medgaz, ambitieux projet qui devrait rapporter à l’Algérie entre un et deux milliards par an, est toujours à la recherche d’argent frais. La Banque européenne d’investissement aurait donné son aval, après le refus de l’Espagne de financer le tronçon marin.

A quelques mois de la date officielle du démarrage du projet, rien ne filtre sur l’état d’avancement des négociations entre les deux parties.

Les conditions de l’Espagne

Ce recours au financement par l’Union européenne est devenu incontournable après le refus de la partie espagnole de financer le tronçon marin. Une position que des experts considèrent comme « légitime ». Ils estiment que consentir un pareil investissement serait suicidaire aussi bien pour la partie algérienne qu’ibérique. L’Algérie s’endetterait un peu plus et l’Espagne se trouverait « inutilement liée » à son partenaire algérien alors que la réglementation européenne lui interdit de s’approvisionner à plus de 60% à partir d’un seul fournisseur. L’Espagne a en outre posé une autre condition ; à savoir la garantie de voir le gazoduc interconnecté au réseau français. C’est ce qui a été clairement dit à Chakib Khelil lors de son déplacement à Madrid. Ces mêmes spécialistes s’interrogent sur la pertinence de l’augmentation des exportations algériennes en gaz, considérant que le développement durable préconiserait plutôt de préserver les ressources gazières.

En 2000, un rapport établissait que le plafond de production à ne pas dépasser est de l’ordre de 85 milliards de mètres cube - un volume qui devrait être atteint à l’horizon 2010 - considérant que depuis le début des années 1990, aucune découverte significative n’avait été faite. Actuellement, le marché local est estimé à 76 milliards de mètres cube. 90% des exportations de Sonatrach sont destinées au marché européen, l’Espagne venant en tête avec pas moins de 67% du total, dépassant de loin les 60% réglementaires. Avec la mise en service du gazoduc, Medgaz, pas moins de 8 milliards de mètres cube par an seront exportés, dont 4 destinés au partenaire espagnol.
Un investissement de 1,3 milliard de dollars

Le gazoduc, dont la longueur du tronçon sous-marin est de 200 kilomètres nécessitera un investissement de 1,3 milliard de dollars. Il est le fruit d’une association entre l’algérienne Sonatrach, l’italienne ENI, la britannique BP, les françaises TotalFinaElf et Gaz de France et les espagnoles CEPSA et ENDESA. Il est prévu que les travaux démarrent dès le mois de juillet à partir des côtes oranaises pour rejoindre Almeria au sud-est de l’Espagne. La signature d’un protocole d’accord entre SONATRACH et CEPSA a eu lieu le 19 août 2000 pour la création d’une Société d’étude et de promotion du gazoduc Algérie Europe via l’Espagne. L’acte de naissance de la société d’étude et de promotion du gazoduc a été signé deux mois plus tard. C’est le 15 janvier 2001, que la société par actions « MEDGAZ », à laquelle se sont associés, GDF, TotalFinaElf, BP, Endesa et ENI a vu le jour. En visite en Espagne, dans le courant du mois de janvier dernier, Chakib Khelil, ministre de l’Energie et des Mines, avait rencontré le secrétaire d’Etat espagnol à l’Energie, M. Jose Fogado et le Premier vice-président du gouvernement et ministre de l’Economie, M.Rodrigo Rato. Au centre des entretiens : le projet Medgaz qui reliera directement l’Algérie à l’Espagne. Classé initialement dans la « catégorie C », celui des projets d’importance relative qui pourront être inscrits sur le long terme, Medgaz est passé à la « catégorie A » et revêt ainsi un caractère prioritaire dans la planification espagnole. Un groupe mixte algéroespagnol sur l’énergie, créé en juillet 2001, s’était alors penché sur les aspects technique, juridique et autres, relatifs à la réalisation du projet. C’est en 2007 que Medgaz devrait être opérationnel, ses initiateurs veulent en faire la preuve tangible de la place de l’Algérie dans la région et de l’excellence des relations entre Alger et Madrid.

Lune de miel entre Alger et Madrid ?

Le ballet diplomatique entre Alger et Madrid s’est intensifié. Après Aznar, c’était au tour du ministre espagnol des Affaires étrangères Miguel Angel Moratinos de faire le déplacement à Alger. Une visite qui s’inscrit dans le prolongement du traité d’amitié ratifié lors de la visite d’Etat de Bouteflika en Espagne. Un traité qui a tracé « le cadre d’une coopération stratégique privilégiée » et qui recommande « le renforcement du dialogue politique entre les deux pays, le développement de la coopération dans les domaines économique, financier, éducatif et de la défense. » Le volet économique est au centre de ce traité : les échanges économiques entre l’Algérie et l’Espagne ont atteint plus de 3 milliards de dollars. L’Algérie est le premier partenaire économique de l’Espagne dans le monde arabe et le dixième dans le monde. Elle fournit plus de 60% de la consommation énergétique de l’Espagne. Un premier gazoduc, le Gazoduc Maghreb-Europe (GME), relie déjà le champ gazier de Hassi M’mel à l’Espagne, ainsi que d’autres pays européens, via le Maroc et le détroit de Gibraltar.
Le malaise du Maroc

Cette embellie des relations met le voisin marocain dans une situation de malaise. Le royaume chérifien se sent à l’écart et observe prudemment le rapprochement entre les deux capitales. Un journal gouvernemental écrivait à ce sujet que « Depuis que nos relations se compliquent avec l’Espagne, c’est le grand amour, le coup de foudre entre Madrid et Alger. Un axe de coopération tous azimuts est en train de prendre forme entre les deux alliés. Va-et-vient incessant des officiels et signatures d’accords multiformes ». Un commentaire qui met à nu l’agacement du Maroc qui voit d’un mauvais œil « la dépendance énergétique de l’Espagne ». L’annonce de la mise sur pied du Gazoduc Medgaz n’a pas laissé nos voisins indifférents. Dès l’annonce officielle de l’accord entre Alger et Madrid, le royaume a déterré un vieux projet : le gazoduc transmaghrébin, qui devrait partir de l’Algérie et traverser le Maroc pour acheminer le gaz algérien vers l’Europe. C’est à peine s’il n’a pas été reproché à l’Algérie de le mettre au placard au profit de Medgaz ! « Il faut le considérer comme mort et enterré. Et que vive l’Union du Maghreb arabe ! » Disait-on au Maroc... Des inquiétudes et appréciations qui n’altèrent en rien la détermination d’Alger et de Madrid...

La communication version Sonatrach

Sollicitée mardi dernier, pour de plus amples informations au sujet de Medgaz, la direction de la communication de Sonatrach nous a imposé un réel parcours du combattant : joint au téléphone, le responsable du TRC nous a orienté vers la communication. Les responsables de ce département nous ont alors demandé un écrit. Le fax a été transmis une demie heure plus tard. Et ce n’est que dimanche qu’on apprendra le fin mot de l’histoire : tout entretien avec un responsable de Sonatrach doit préalablement recevoir l’aval du PDG. Ce dernier absent, les chargés de la communication nous demanderons de patienter encore...

Par Nawal Imès, Le Soir d’Algérie