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Importation de la pièce de rechange : “La contrefaçon, 90% du marché”

jeudi 27 janvier 2005, par Hassiba

Des éléments de voiture dangereux tels que des plaquettes de freins fabriquées avec de l’amiante sont introduits sur le territoire national. Les chemins de ce trafic mènent à l’Asie du sud. C’est de là que partent les circuits de ce commerce illégal qui a pris de l’ampleur en Algérie.

La contrefaçon de la pièce de rechange a vu le jour en Algérie à la suite de l’ouverture du marché extérieur au secteur privé. À partir de 1995, les opérateurs importaient des pièces, parfois de qualité, mais le professionnalisme manquait. Ces nouveaux importateurs se rabattaient forcément sur des pays où la pièce est contrefaite tels que ceux du sud-est asiatique notamment la Chine... Parfois, la pièce de rechange contrefaite est importée des pays européens.

C’est vers les années 1998 et 2000 qu’on a commencé à parler de la contrefaçon dans le domaine de la pièce de rechange en Algérie. Le fléau a été constaté par les professionnels qui importaient des produits de qualité, autrement dit d’origine. Ils se sont rendu compte que les pièces qu’ils commercialisaient sur le marché national ont été vendues moins cher. D’apparence, il s’agit du même produit, mais les prix pratiqués sont plus bas par rapport à ceux des importateurs professionnels. Après vérification, ils ont pu constaté que ces produits sont faux. c’était de la fausse marchandise. Et la contrefaçon a pris de l’ampleur depuis. Il convient de signaler, toutefois, que durant la période du monopole exercé par l’entreprise Sonacom (DVP) à l’époque, de 1974 à 1994, la pièce détachée était importée suivant les normes requises en la matière. C’était un produit d’une qualité irréprochable et d’origine. Car, la DVP ne négociait pas la qualité du produit. Pour ce type d’opérateurs, dépourvus de toute moralité et d’éthique, c’est tout simplement du business. Importer des produits de textiles ou des pièces de rechange, pour eux, c’est la même activité. Or, il se trouve que certains produits peuvent porter atteinte à la sécurité voire mettre en danger le consommateur.

Un danger de mort pour le consommateur
La pièce de rechange automobile est comme un produit alimentaire, si elle est contrefaite, elle peut tuer. Abstraction faite des éléments accessoires, certaines pièces telles que les freins, les amortisseurs... peuvent provoquer des accidents mortels. Par ailleurs, certaines pièces, notamment celles dites de friction (plaquettes de freins, disques d’embrayage, mâchoires de freins...) a-t-on appris, sont cancérigènes, car fabriquées à partir d’amiante. Le danger est d’autant plus grand puisque le consommateur n’est pas informé ou ignore l’existence de produits contrefaits en Algérie. Au lieu de parler de contrefaçon, les spécialistes préfèrent utiliser le mot “copie” de produit dont la qualité a nettement régressé. Les conséquences d’un tel phénomène sur les entreprises travaillant légalement sont, déplorent les professionnels, désastreuses.

Conséquence de la concurrence déloyale des produits contrefaits : des projets d’investissement abandonnés
“Nous sommes freinés dans la concrétisation de nos objectifs. Le projet d’investissement pour la production envisagée de quelques pièces est remis en cause par la contrefaçon”, regrettera M. Siad, l’un des professionnels de longue date et connu sur le marché national. Selon lui, la valeur ajoutée de ces sociétés est insignifiante. Elles sont dans l’obligation de revoir à la baisse leur marge afin de faire face à cette concurrence déloyale. “Nous commercialisons des pièces de qualité, d’origine, mais nous sommes concurrencés d’une manière déloyale - du point de vue du prix et paiement des taxes - par des opérateurs qui vendent des pièces contrefaites”, soulignera M. Siad. La logique voudrait que toute pièce de rechange, qui n’est pas normalisée, testée et non agréée par le fabricant ne doit aucunement être introduite en Algérie. La réalité du terrain est malheureusement tout autre. Pis, des produits algériens contrefaits à l’étranger sont introduits de nouveau en Algérie puis commercialisés à des prix trop bas pour être enfin consommés ! Décidément, les opérateurs malveillants utilisent tous les moyens aussi illégaux soient-ils, pour faire de bonnes affaires !

L’une des raisons de l’apparition de ce phénomène a essentiellement trait à l’érosion du pouvoir d’achat du citoyen. L’Algérie est paradoxalement passée d’un marché de qualité à un marché de prix. Un marché où les opérateurs non professionnels dament le pion aux professionnels. “Sur le marché de la pièce de rechange algérien, n’importe qui peut faire n’importe quoi !” lancera un investisseur. Les pouvoirs publics doivent se pencher sérieusement sur le problème car il existe des métiers qui ne doivent être exercés que par de véritables professionnels. “Nous n’avons pas le droit de banaliser les professions nobles”, relèvera un autre opérateur économique. Un investisseur qui se lance dans la pièce de rechange doit, selon lui, être du métier. C’est à partir de là que commencera l’organisation du marché qui encouragera les véritables professionnels et sanctionnera les “trabendistes”.

Des produits algériens contrefaits et réintroduits en Algérie
Mieux, si le marché devenait plus organisé, les constructeurs mondiaux viendraient à coup sûr investir en Algérie. Les fabricants constatent qu’ils ne sont pas compétitifs sur le marché algérien quand la pièce de rechange (qu’ils fabriquent eux-mêmes) est exportée via le circuit officiel en payant les droits de douane et les taxes. Ils se déclarent compétitifs, en revanche, lorsque leurs pièces sont vendues à des exportateurs qui les introduisent en Algérie. Ce qui renseigne davantage sur l’existence d’opérateurs malintentionnés qui refusent de s’acquitter des taxes et font de fausses déclarations aux douaniers au détriment du trésor public. Ce sont des réseaux internationaux bien organisés qui disposent de relais à travers plusieurs pays du monde. La démarche est très simple : il suffit qu’un opérateur, y compris algérien, prenne avec lui un échantillon d’une pièce de rechange à destination de l’Asie, par exemple, et exige du fabricant une copie qui doit être la moins chère possible. Il ne tient pas compte de la qualité ou de la conformité du produit. Sans aucune moralité ni conscience, il introduit la pièce de rechange sur le marché algérien. Pourtant, la réglementation est claire. C’est l’application de la réglementation qui, selon les observateurs, fait défaut.

La contrefaçon est un fléau qui touche, notamment les constructeurs français classiques, en l’occurrence Peugeot et Renault. Pour ce dernier, il s’agit d’une cohabitation de longue date sur le marché mondial. En Algérie, ce phénomène est favorisé, estime M. Claude Greslebin, directeur après-vente chez Renault, par l’émergence du marché parallèle de la réparation qui s’est installé dans le pays surtout avant la venue des constructeurs automobile. Les réparateurs indépendants représentent plus de 80%, alors que les constructeurs ne détiennent que 20% dans le domaine de l’après-vente. Ces réparateurs sont approvisionnés en pièces d’origine multiples. Ce responsable n’hésite pas à parler de marché “sauvage” concernant la pièce de rechange automobile. Seul le consommateur, avouera M. Greslebin, saura faire la différence. Il a la conscience de la valeur que représente la pièce de rechange d’origine.

Ce sont des pièces, précisera M. Greslebin, qui ne répondent pas aux règles des cahiers des charges très strictes du constructeur. Avec la présence des constructeurs automobile en Algérie, reconnaît notre interlocuteur, la pièce de rechange d’origine prend de la valeur. L’État algérien doit, selon le directeur d’après-vente, faire le ménage au niveau du marché en instaurant des procédures administratives les plus fines possibles. Pour le DG de Hyundai Motor Algérie (HMA), M. Rebrab Omar, la défaillance du contrôle est à l’origine de ce fléau. Si la pièce de rechange d’origine représente, selon lui, quelque 5%, celle venue de Taïwan, pour ne citer que cet exemple, est estimée à plus de 90%. Ce sont des pièces achetées en deuxième main. Or, les constructeurs comme HMA achètent à la source chez la maison mère. La douane, suggérera M. Rebrab, devra contrôler la qualité et le certificat d’origine de la maison mère.

Le marché en chiffres
 Selon d’autres statistiques fournies par des opérateurs, plus de 50% de la pièce de rechange sont importés dans un cadre non professionnel.
 Plus de 99% des pièces de rechange commercialisées en Algérie sont importés.
 Le fléau de la contrefaçon représente, selon les mêmes statistiques, plus de 50% du commerce de la pièce de rechange en Algérie.
 Pour l’importation des pièces de rechange automobile, l’opérateur doit s’acquitter des droits de douanes qui sont de 15%.

Classification de la pièce de rechange
Il existe, selon les observateurs, quatre grandes catégories de pièces de rechange :
 pièces de rechange garanties d’origine par les constructeurs ;
 celles approvisionnées par les grands fournisseurs de pièces automobile telle que Valéo ;
 la pièce adaptable de qualité “équivalente” fabriquée par des fournisseurs autres que les constructeurs ;
 la pièce de rechange contrefaite qui est une copie, plus ou moins bonne, dans sa forme et ses fonctionnalités.

L’avis des opérateurs
Dans la commercialisation de la pièce de rechange, il y a lieu, selon les opérateurs, de distinguer la copie intégrale de la contrefaçon technique. Imiter un produit, affirment des observateurs, c’est lui réduire sa qualité. Ce n’est pas de la contrefaçon, reconnaissent-ils, mais de la tricherie, de la tromperie. Il existe des pièces produites en Asie, mais commercialisées dans des emballages portant le sigle et l’estampillage de marques connues, comme Renault par exemple. Cela est aussi de la tromperie. Il y a également des pièces adaptables qui posent le problème de sécurité, de fiabilité et de longévité du véhicule.

Les remèdes
 Il faut d’abord sensibiliser le consommateur pour qu’il opte pour le produit de qualité et d’origine ;
 attirer l’attention des pouvoirs publics sur ce fléau ;
 inciter les fabricants et les constructeurs à venir défendre leurs différentes marques en Algérie et aider le client à pouvoir distinguer le vrai du faux produit ;
 instaurer un système de facturation pour les produits techniques. À ce propos, le consommateur doit être vigilant et réclamer, à chaque fois, la garantie, la facture et l’origine du produit. Il faut que le citoyen soit sûr de l’origine du produit. La vente au détail de produits techniques doit être soumise à facturation. Une disposition à introduire, peut-être, dans le code du commerce, pour peu que cela puisse être conforme aux règlements de l’OMC ;
 il faut prioriser les créneaux d’activité dans le processus de règlement de ce problème suivant le degré d’importance et de la sécurité du consommateur ;
 il faut créer une synergie et une consultation mutuelle en permanence entre les opérateurs et les services des douanes.

Par Badreddine Khris, Liberté