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L’OPEP et la stabilité du marché après 2004 (Suite et fin)

mercredi 22 septembre 2004, par Hassiba

Ensuite, si l’OPEP ne veut pas devenir un simple « price taker » et si elle souhaite encore réguler l’offre de pétrole, elle doit disposer d’une politique clairement définie, adaptée aux conditions réelles du marché et soutenue à l’unanimité par ses membres.

C’était le cas des quatre dernières années avec « le mécanisme de prix » mis en place et qui est devenu la « raison d’être » de l’OPEP. Or, depuis plus d’un an, elle n’a pas eu besoin de le mettre en œuvre, notamment pour ce qui est de l’application stricte des quotas. L’organisation a su gérer cette phase avec pragmatisme, ne pas se laisser enfermer dans un mécanisme automatique et réagir en fonction d’évènements dont elle n’avait, de toute façon, pas la maîtrise.

Les conditions du marché ont permis aux pays membres de produire pratiquement à pleine capacité, permettant ainsi de reporter les négociations internes mais, en même temps, cela jette un doute sur la pertinence des décisions chiffrées relatives aux quotas de chaque pays, au plafond de production et à la fourchette de prix actuelle. n Toutefois, le système des quotas et de la fourchette des prix est indispensable, mais doit être, comme tout mécanisme pour être efficace, régulièrement actualisé au fur et à mesure des développements réels du marché. Se pose, alors, la question de la redistribution des quotas qu’il vaut mieux actualiser en position confortable plutôt que dans l’urgence. La situation actuelle où semble-t-il la quasi-totalité des pays membres produit à pleine capacité pourrait servir de base de référence à une redistribution crédible de la production au sein de l’OPEP.

Poursuivre un objectif de prix d’équilibre
Plus particulièrement, la fourchette de prix devrait, si nécessaire, être régulièrement révisée, afin de prendre en compte les contraintes ou les opportunités du moment et maintenir sa crédibilité. Car, en effet, le principe économique que l’OPEP a appris à ses dépens par le passé est que le commerce du pétrole, même si ce dernier est une marchandise stratégique, n’échappe pas aux règles du marché et de ses cycles. Du fait de l’élasticité, des prix relativement élevés entraînent une contraction de la demande et vice-versa. Nous ne sommes pas encore à la fin de l’histoire du pétrole, et je ne crois pas que ce mouvement ait cessé. L’expérience des deux dernières années, positive d’ailleurs pour tous les producteurs, ne doit pas faire oublier ce principe. Outre leur impact sur la croissance économique, des prix durablement élevés (par exemple de l’ordre de 50 à 60 $/b dès aujourd’hui) revigoreraient les politiques d’économie d’énergies et freineraient la croissance de la consommation mondiale, car ils rendraient le pétrole inaccessible à de larges pans de l’humanité, particulièrement dans les pays en développement, alors que le pétrole sera pour, eux aussi, un produit essentiel pour leur développement.

Ces niveaux des prix attireraient (trop vite) aussi d’autres offreurs (et d’autres énergies de substitution) attisant encore plus la concurrence et le repli des cours. C’est le fonctionnement de ces règles que craignent, à juste titre, les responsables de l’OPEP : celles des cycles de prix qui, lorsqu’ils sont amplifiés par une forte volatilité, peuvent faire redescendre les niveaux très bas (18 ou 20 $/b ?). Certes, compte tenu des capacités de production actuelles, un tel scénario ne semble pas prévisible à court terme, mais si les investissements sont relancés et si la situation géopolitique se détend, il n’est pas à exclure pour la période qui suivra. L’OPEP doit, donc, poursuivre sa quête d’un prix optimum acceptable par le marché, autant dire un objectif virtuel qui implique une veille stratégique continue et des adaptations régulières qui peuvent, d’ailleurs, se concevoir dans les deux sens. Cela relance, en tous cas, le débat sur le prix d’équilibre souhaitable pour les producteurs et les importateurs.

L’expérience de la fourchette de prix 22/28 $/b qui semblait satisfaire les principales parties jusqu’à fin 2003 est un bon exemple. Pour l’instant, les signaux du marché poussent à une révision vers le haut de cette fourchette (à l’intérieur d’une large bande de 25 à 35 $/b ?) sans pour autant s’interdire de la réajuster vers le bas, à nouveau ultérieurement, si nécessaire.

La stabilité du marché implique une coopération avec les autres acteurs du marché
Sous bien des angles, l’avenir du marché pétrolier reste incertain. Nul ne peut donc donner de garantie à l’OPEP quant à l’évolution des prix. Peut-elle, alors, financer seule, la construction de capacités de production supérieures à la satisfaction de la pointe saisonnière de la demande, condition nécessaire pour une stabilité du marché ? Il me semble, également, que l’OPEP devra, à terme, se doter d’un outil, pour suivre avec précision la programmation de l’entrée en production des nouvelles capacités des pays membres et au niveau mondial pour un minimum de concertation afin d’éviter (ou du moins réduire) les effets des brusques surplus de l’offre sur le marché. Au demeurant, pourquoi les pays de l’OPEP resteraient-ils seuls à vouloir de meilleurs prix, se distinguant durablement des autres exportateurs, des autres producteurs que sont les compagnies pétrolières ou même des pays importateurs qui souhaitent rationaliser l’usage du pétrole ? Pourquoi ne seraient-ils pas soutenus dans cette responsabilité ? L’OPEP revendique, déjà, le soutien des autres exportateurs lorsqu’il faut enrayer les chutes des cours. L’expérience de ces derniers mois indique qu’il lui faudra aussi recourir à la coopération d’autres parties pour stabiliser le marché.

En effet, pour stabiliser le marché, ces dernières ne peuvent plus s’autoriser de rester passives. Par exemple, les autorités des grands pays importateurs peuvent apporter leur contribution, car elles détiennent des outils pour réguler l’offre et la demande sur leurs marchés domestiques à travers les politiques de stockage, les taxes et la réglementation. Ainsi, pour empêcher les flambées incontrôlées des cours, si la production ne suffit pas, on pourrait recourir à l’utilisation partielle des stocks stratégiques. Il en est de même pour les grandes compagnies pétrolières dont la discrétion ne doit pas faire oublier qu’elles sont aussi des producteurs non OPEP. Un échange d’informations sur les plannings de mise en production des nouvelles capacités de production pourrait réduire les tensions ou les surplus sur les marchés. Bien que les législations de leurs pays leur interdisent strictement toute pratique de cartel et qu’on ne demande pas aux compagnies de s’associer à l’OPEP, on peut imaginer (tout en respectant ces contraintes légales) qu’elles puissent procéder à la publication régulière d’informations crédibles sur leurs plans de développement, à charge pour leurs compétiteurs d’y croire et d’en faire de même.

La nécessité de relancer les investissements pétroliers
Les réserves mondiales de pétrole peuvent largement couvrir les besoins pendant encore plusieurs décades. Sans sous-estimer l’intérêt du débat sur le « peak oil », l’inquiétude réelle concerne, à des horizons plus rapprochés, le futur des capacités de production et le risque qu’elles ne soient pas suffisantes. Il faut surtout ne pas oublier que la situation dans laquelle se retrouve aujourd’hui le marché avec des capacités de production relativement restreintes est d’abord la conséquence des prix bas de la période 1986 - 2000 et du processus plus long (depuis 1973), qui privilégiait systématiquement la production hors OPEP. Ce qui est problématique, ce sont surtout la distribution géographique et la rapidité avec laquelle des investissements seront faits. Dès lors, le défi consiste d’abord à créer les bonnes conditions pour ces investissements. Les prévisions, par exemple, indiquent qu’il serait indispensable de doubler la production dans les pays de l’OPEP et notamment dans les quinze prochaines années. Est-ce possible ? Est-ce faisable ?

Permettez-moi de vous rappeler, encore, ce que j’estimais être les principales conditions d’une telle perspective :
La première est, bien entendu, le niveau des prix qui doit attirer puis conforter les investisseurs. Des prix durablement entre 30 et 35 $/b seront certainement le meilleur des arguments pour encourager les pays producteurs à accroître encore plus leur capacité de production. La seconde consiste à créer les conditions pour la rentabilité des investissements, car, encore une fois, comment peut-on croire que les pays exportateurs rééditent certaines erreurs du passé en prenant seuls en charge le financement de toutes ces installations avec le risque que ces capacités soient excédentaires, qu’ils se concurrencent et que les prix baissent. Ces conditions constitueront, indéniablement, déjà de bonnes réponses pour préparer de meilleurs équilibres du marché, mais il faut aussi s’assurer d’autres types de relations entre les compagnies internationales et les compagnies publiques des pays exportateurs. La troisième condition réside dans les efforts de tous pour la paix, la sécurité et la stabilité de ces régions : les pays exportateurs ne sont plus dans les mêmes conditions qu’il y a trente ans, leurs populations ont de nouvelles exigences. Leur problématique ne se pose plus seulement en termes de volume des revenus extérieurs, mais aussi de leurs conditions d’utilisation. Ils leur faut éviter les erreurs du passé, les recettes supplémentaires que procurent les prix actuels doivent être consacrées aux réformes et au développement durable, condition indispensable pour leur stabilité politique et sociale. Parce que cela risque de contraindre l’offre, les équilibres pétroliers futurs et la stabilité du marché dépendront aussi de cette variable. Ce qui se passe en Irak est instructif à plus d’un titre : il ne s’agit pas uniquement de régler les problèmes de paix mais aussi ceux de développement, de démocratie et de participation des populations concernées.

Sous des formes certes complexes et variées, des exigences de démocratie et de justice se posent dans beaucoup de pays exportateurs, et pas uniquement dans ceux de l’OPEP. Meilleure répartition des richesses, contrôle des revenus, contrôle de leur usage, tel est l’avenir de ces pays, même si le cheminement est difficile et qu’il ne peut être imposé de l’extérieur.

Par Sadek Boussena
Expert, ancien ministre, El Watan