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L’OPEP et la stabilité du marché après 2004

mardi 21 septembre 2004, par Hassiba

En dépit de statistiques faisant apparaître un surplus de l’offre sur le marché pétrolier mondial de plus de 1 mb/j aux deuxième et troisième trimestres, les cours n’ont cessé de grimper en 2004. Le prix du brut de référence américain WTI a même frôlé les 50$/b au mois d’août.

Pourquoi de tels niveaux alors qu’apparemment il n’y a pas de pénurie, où disparaît « le pétrole manquant » si les stocks n’ont pas tellement augmenté ?

En 2004, les événements géopolitiques et les craintes qu’ils suscitent ont, certes, contribué à créer des tensions, provoquant de vives réactions des opérateurs, réactions jugées parfois disproportionnées par rapport à la réalité concrète du marché. Par ailleurs, on a vu que le comportement des diverses parties concernées a profondément évolué par rapport aux expériences de 1973 et 1979. Ainsi, l’OPEP n’est plus accusée de tous les maux, on ne la considère plus comme responsable de cette flambée des cours. Au contraire, sa contribution à la stabilité des marchés (approvisionnement et prix) est souvent sollicitée par les autres parties. Comment doit-on interpréter, également, certaines déclarations apparemment insolites où d’un côté, des responsables de l’OPEP craignent qu’un prix élevé n’affecte la croissance économique mondiale, alors que d’un autre côté, les cours actuels ne semblent pas émouvoir, outre mesure, les autorités monétaires, économiques voire politiques des pays développés ? Comment expliquer ces revirements même si parfois ils sont feints ? L’explication la plus plausible serait que le uns et les autres ont tiré les leçons des expériences passées. Les premiers, qui ont pourtant des besoins financiers pressants (et veulent de « bons prix »), craignent-ils réellement un dérapage trop fort qui finirait, à terme, par affecter substantiellement la demande ? Les seconds, qui n’ont pas intérêt à un nouveau choc, sont-ils vraiment insensibles à des niveaux de prix qui seuls seraient aptes à ralentir la consommation, encourager les économies d’énergie et le développement des autres sources de production, y compris celles des énergies alternatives ?

Que se passe-t-il donc sur le marché pétrolier ?
Deux explications sont possibles : soit cette situation résulte du risque géopolitique dans certaines régions productrices, soit ce sont des signaux précurseurs d’une lame de fond concernant les fondamentaux. Ce n’est pas la première fois que le marché pétrolier est confronté au risque géopolitique. En 1991 par exemple, lors de la première crise du Golfe, on avait déjà connu des pics de prix mais assez vite, le danger passé, la chute fut terrible et durable. Le surplus potentiel de l’offre mondiale qui prévalait alors avait été déterminant dans cette évolution. Dans le cas où la hausse des cours de 2004 serait un phénomène conjoncturel, amplifié artificiellement par la spéculation, il disparaîtra avec le retour au calme dans ces régions. Si en revanche, il s’agit d’un changement structurel, il ne s’estompera qu’avec la fin du cycle propre au marché pétrolier. Ou alors, et ce qui me semble le plus probable, les deux explications, qui ne sont pas exclusives, sont vraies et dans ce cas, on serait entré, pour une période qui reste à déterminer, dans une phase de fragilité des équilibres des fondamentaux du marché. Si, d’ailleurs, les cours ont pu atteindre le niveau de 50$/b pour le WTI, c’est précisément parce que ces deux explications coexistent. Pour les divers acteurs qui souhaitent assurer une relative stabilité au marché pétrolier, il ne faut pas se tromper sur le diagnostic.

La fiabilité des statistiques pétrolières remise en cause
L’expérience de 2004 nous montre quel peut être l’impact sur le marché de statistiques qui ne reflète pas la réalité. La plupart des opérateurs et des analystes ont, à cette occasion, pris conscience de la faiblesse et de la relativité des informations et des statistiques pétrolières. Ces statistiques, tant sur la demande, sur l’offre que sur l’état des stocks, se sont révélées souvent contradictoires et leur fiabilité a été remise en doute à plusieurs reprises car elles faussaient les anticipations des opérateurs, entraînant ainsi plus de volatilité non seulement sur les marchés futurs mais aussi sur les marchés physiques.

La demande pétrolière n’a pas été correctement évaluée
Ainsi, plusieurs fois au cours de cette année a-t-on assisté à des rectifications importantes (vers le haut) de la consommation et les prévisions de la demande pétrolière mondiale. Finalement, on a résolu le mystère du « pétrole manquant » : il a été tout simplement consommé ou stocké, surtout en Asie, mais le système statistique ne permet pas d’évaluer avec précision ces flux. Si, en général ces révisions sont de pratique courante, pourquoi ont-elles eu un tel impact cette fois-ci ? Pourquoi la hausse, plus forte que prévue cette année, de la demande de pétrole est-elle apparue comme une grosse surprise ? Alors que nous savons qu’elle est due, d’abord, à la reprise économique dans la zone OCDE, notamment aux Etats-Unis et ensuite, à la hausse des importations des pays émergents, en particulier de la Chine, de l’Inde et de quelques autres. Qu’y a-t-il là de surprenant sachant que la consommation est plus ou moins correlée à la croissance économique et que les importations pétrolières de la Chine ne pouvaient qu’augmenter fortement étant donné les limites de ses capacités de production pétrolière domestique ? En fait, la seule variable était et demeure le rythme de la constitution de stocks stratégiques de ces pays émergents, stocks dont ils ne pourront plus se passer avec l’accroissement de leur dépendance vis-à-vis du pétrole. Résultat : on peut d’ores et déjà annoncer qu’ils risquent même d’importer plus de pétrole que ne le nécessite leur stricte consommation.

On peut envisager de rationnaliser la consommation d’énergie dans les pays riches et il faudra certainement le faire très vite, ne serait-ce que pour des raisons environnementales, mais dans les conditions économiques et technologiques actuelles, je vois mal comment on pourrait demander aux pays en développement de ne pas utiliser le pétrole et les carburants. Ce ne serait, donc, pas faire preuve d’une grande capacité de prédiction que d’affirmer à moins d’une crise mondiale ou de réajustement structurel que les importations de ces pays devraient encore augmenter à des rythmes soutenus. Malgré quelques accélérations inattendues, l’évolution de la demande n’est pas la cause principale de l’ampleur de la flambée des cours de cet été. Ce n’est donc pas du côté de la demande mondiale que l’on pourra redresser les équilibres pétroliers, mais plutôt du côté de l’offre.

Et la capacité de production mondiale a été surestimée
Alors qu’il y a encore un an, la plupart des analyses traitaient des risques de surplus du fait de l’accroissement des capacités non OPEP, on craint aujourd’hui que l’offre globale ne soit pas suffisante pour le proche avenir. La géopolitique n’explique pas tout. En 2004, à la lueur des problèmes politiques dans certains pays producteurs, on a pris conscience et à mon avis, c’est l’information pétrolière la plus importante de l’année des limites de la capacité de production mondiale. Les capacités d’offre supposées être en réserve, et pas seulement celles de l’OPEP, étaient plus faibles que ne le laissaient croire les estimations antérieures.

Les informations contradictoires, voire les polémiques à ce sujet (ainsi qu’à propos des réserves) n’ont fait qu’accroître la confusion, surtout en l’absence d’une définition commune de la notion de capacité de production. Si on ajoute les tensions ressenties par les opérateurs sur les marchés physiques durant certaines périodes, on peut en conclure effectivement que les capacités de production existantes sont aujourd’hui fortement sollicitées et en déduire que l’équilibre offre/demande actuel est finalement fragile et pourrait se transformer en déséquilibre virtuel. C’est probablement ce raisonnement qui explique les réactions disproportionnées des opérateurs suite à des événements ou des informations qui n’auraient pas eu cet impact il y a quelque temps. Que quelques centaines de milliers de barils en moins pour l’offre ou une variation inattendue des stocks aux Etats-Unis soient source d’une forte volatilité montrent bien la fragilité des équilibres du marché. Voilà pourquoi les prix restent bien plus élevés que le haut de la fourchette OPEP. La capacité de production en réserve de celle-ci s’est considérablement restreinte au point où les opérateurs craignent que sa marge de manœuvre ne permette pas de gérer les dysfonctionnements éventuels dans l’approvisionnement mondial. Pour l’heure, au vu des estimations les plus crédibles, l’OPEP qui a produit près de 29,5 mb/j en juillet 2004 dispose encore de 1 à 1,5 mb/j et le problème ne se poserait donc pas pour les prochains mois, ce qui, a priori, devrait permettre de passer le test de l’hiver prochain puisque la production de l’OPEP sera, selon les prévisions, sollicitée au niveau de 30 mb/j, à peu près, au quatrième trimestre 2004. Par contre, cette nouvelle évaluation de ces capacités mondiales (environ 85 mb/j avec le NGL), couplée aux prévisions de la demande mondiale à partir de l’année 2005, pourrait effectivement, si de nouvelles capacités n’apparaissent pas d’ici là, devenir problématique (les capacités risquant d’être utilisées à 98%). Les contraintes virtuelles se situent donc plutôt du côté de l’offre. Ainsi, on peut s’attendre, pour la période à venir, à un approvisionnement en flux tendus qui permettra, certes, de couvrir la demande moyenne mais non les éventuels dysfonctionnements. Cela présume-t-il d’une accélération de la volatilité des cours et d’un intérêt encore plus suivi des stocks par les analystes et les opérateurs, alors que l’on connaît maintenant les difficultés objectives d’évaluation de cette variable ?

Que peut faire l’OPEP ?
Si elle ne dispose plus d’une capacité en réserve suffisante, l’OPEP ne pourra plus s’opposer aux éventuelles flambées des cours. On peut imaginer qu’elle pourrait, alors, se cantonner à un rôle de défense des prix avec la possibilité de réduire sa production. Dans de telles perspectives, quelles sont les questions qui se posent à l’OPEP ? Résumons la situation présente : la demande augmente plus vite que prévu, l’offre semble virtuellement contrainte, les prix sont plus élevés que 40 $/b, les raffineries fonctionnent à pleine capacité, les pays importateurs veulent accroître leurs stocks et les compagnies internationales recherchent avec insistance des opportunités d’investissement. Bref, à court terme, un contexte idéal pour l’OPEP. Mais que faire après ?

Il faudra apprendre à vivre avec une moindre capacité de production en réserve...
D’abord, je pense que l’OPEP ne pourra plus jouer seule le rôle de régulateur du marché, surtout si les investissements visant à accroître les capacités de production prennent du retard et qu’elle ne parvient pas à reconstituer une capacité de production en réserve substantielle (spare capacity). Reconstituer une telle marge de manœuvre impliquerait des décisions stratégiques coûteuses, car des capacités de production non utilisées (qu’il faut aussi entretenir) supposent de lourds investissements. Là se pose une question : des pays en voie de développement peuvent-ils se payer une telle stratégie ? Ne perdons pas de vue que la capacité supplémentaire en réserve de l’OPEP n’était pas le produit d’une politique volontaire mais la résultante d’une énorme perte de marché suite aux réajustements de la demande des années 1980, ni qu’elle a été, longtemps, l’une des causes principales de l’incapacité de l’organisation à faire appliquer la discipline des quotas de production. Il me paraît donc douteux que les pays de l’OPEP puissent investir lourdement dans des capacités destinées à la réserve alors que plane encore le risque de baisse des prix. Cela ne serait pas, contrairement à ce que d’aucuns peuvent penser, une stratégie délibérée pour s’assurer de bons prix dans le futur. En effet, compte tenu de leurs besoins financiers énormes, une telle option (celle de financer des capacités excédentaires) me paraît irréaliste pour la quasi-totalité d’entre eux ; quant aux autres, je suis convaincu qu’ils procéderont, préalablement, aux analyses coûts/bénéfices globaux de tels projets. Ainsi, je ne pense pas personnellement que l’industrie pétrolière mondiale puisse disposer, à l’avenir, d’une capacité en réserve équivalente à celle des années 1990. Le marché devra s’adapter à cette nouvelle donne qui implique, entre autres, comme nous l’avons rappelé plus haut, une plus grande volatilité des cours du pétrole brut. (A suivre)

Par Sadek Boussena
Expert, ancien ministre, El Watan