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L’agroalimentaire : appétit du privé et déconfiture du public

jeudi 23 décembre 2004, par Hassiba

Dans le discours qu’il a prononcé à l’ouverture des travaux de la 25e session du Conseil national économique et social (CNES), tenue début décembre, le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, a mis l’accent sur la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui le secteur public de l’agroalimentaire : 70% de ses branches n’accaparent que 1% du marché.

En Algérie, l’agroalimentaire évolue dans un marché marqué par une distorsion dans la concurrence. Dans pareille situation, les gestionnaires des entreprises publiques agroalimentaires négocient la survie des sociétés dont ils ont la charge non sans contorsion. Pendant ce temps, le privé, versé en partie dans l’importation, s’étend dans un marché en expansion, notamment sur les segments des produits alimentaires dont l’importation concerne les grains, les produits agroalimentaires, les matières premières ainsi que les biens de production et de consommation.

Un marché en expansion
C’est un créneau qui évolue toujours dans une proportion à la hausse. En valeur et par les chiffres, les produits alimentaires sont passés de 1,9 milliard de dollars en 1995 à 2,8 milliards de dollars en 1999. Les produits qui revenaient souvent dans les importations entre 1990 et 1999 sont les céréales (23,2%), suivis des laits et produits laitiers avec 21,7%, des huiles et graisses avec 11,9% et des produits de la minoterie avec 11,2%. Aussi paradoxale que cela puisse paraître, dans cette structuration des importations, le sucre occupe une proportion baissière : l’Algérie en importait en 2001 un peu plus de sept cent mille tonnes par an. Ce volume a été ramené actuellement à environ cinq cent mille. Aujourd’hui, la demande nationale en sucre blanc est estimée à 1,2 million de tonnes par an dont la moitié est assurée par la production de Blanky, un groupe industriel connu qui a des ramifications dans le bâtiment et la pharmacie, entre autres, et par Cevital, une entreprise qui a pignon sur rue dans la filière agroalimentaire.

Ouverture économique à la hussarde
La production de Blanky provient de l’Enasucre, une société publique à laquelle il est lié par un contrat de processing. Parce qu’elle est caractérisée par une forte importation, la filière agroalimentaire n’est pas aussi florissante que le laisse entrevoir le marché, constatent certains. Des économistes n’en font pas mystère : ils estiment ainsi que ce qui se passe dans la filière agroalimentaire n’est pas atypique et que le déclin concerne la grande partie des entreprises publiques qui n’ont pas été préparées à une ouverture économique faite à la hussarde.

Les sociétés publiques structurant cette filière n’ont pas su, de ce fait, passer la main au privé, même s’il y a des privés qui ont réussi dans la filière, soit en montant des entreprises en partenariat avec des étrangers (c’est le cas de Djurdjura avec Danone), soit en s’associant à des entreprises locales (c’est le cas de Blanky). La filière laitière a produit des effets positifs sur le marché. Pas celle du sucre, même s’il n’y a pas de tension sur cette matière, y compris durant le mois de ramadhan. Ces économistes grossissent également le trait sur l’importation d’autres produits comme le blé dont la facture est établie annuellement à près de six cent millions de dollars. Si l’Algérie y recourt, c’est parce qu’elle a remis au lendemain le développement du secteur agricole dont la production est d’évidence, aléatoire. Par la bonne grâce du ciel, la production céréalière a évolué ces deux dernières années dans des proportions jugées appréciables, atteignant 42,7 millions de quintaux, dont sept millions en blé tendre en 2002-2003, et 40 millions de quintaux, dont 7,9 millions en blé tendre, en 2003-2004.

Les céréales et les besoins de consommation
La production locale en blé tourne aujourd’hui autour de 30 millions de quintaux en moyenne annuellement. Pas assez pour couvrir tous les besoins de consommation nationaux. Autrefois sous le monopole de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC), le marché des céréales a été ouvert aux privés à la fin des années quatre-vingt. Le privé négocie ses prix à l’importation des céréales, comme le fait l’OAIC, sur les marchés internationaux, mais avec une marge non négligeable et dont ne dispose pas l’Office interprofessionnel, celle de pouvoir se soustraire à certaines conjonctures défavorables, comme c’était le cas l’année dernière. Le privé s’est, en effet, soustrait aux pressions sur le blé tendre affecté par la rouille jaune. Résultat, des importations en moins en la matière et une envolée des prix de la farine panifiable, indique-t-on.

Cette défection, conjuguée à d’autres facteurs, est ainsi à l’origine de la levée de boucliers provoquée par les boulangers, ces dernières années. Ceux-ci estiment qu’ils ne rentrent pas dans leurs frais, le coût de revient de la baguette du pain ayant substantiellement augmenté. Et l’augmentation des prix qu’ils revendiquent, ils ne l’auront pas, le chef de l’Exécutif y a opposé encore une fois un niet à l’occasion des travaux de cette 25ème session du CNES. Outre l’importation, il y a les entreprises de transformation qui ne suivent pas le mouvement de réformes.

Les Eriad, en l’occurrence, n’ont pas été suffisamment préparées à l’ouverture du marché, à la nouvelle conjoncture, même si Eriad Sétif en est sortie revigorée, un cas de réussite, estiment certains. De peur qu’elle disparaisse du secteur de l’agroalimentaire, selon l’avis des autorités chargées de la privatisation, la branche des Eriad, on s’en souvient, a été proposée à la vente, en 2001, dans un vaste programme de restructuration du secteur public. En tout, cinq entreprises régionales de produits alimentaires ont été promises à la liquidation. Le programme élaboré du temps de Noureddine Boukrouh, alors ministre de la Participation et de la Coordination des réformes, s’étend à d’autres sociétés dans l’agroalimentaire comme le groupe GIPLAIT, l’ENCG (corps gras), l’Enasucre (raffinage de sucre) et l’ensemble boissons-jus-conserves. Il était question que toutes ces entités passent sous contrôle privé. L’opération a tourné court.

Les observateurs au fait de ce qui se passe dans le secteur public notent que la faiblesse de la céréaliculture algérienne pose la problématique de l’intégration au sein de la filière « blés ». En effet, dans une économie administrée, les entreprises de transformation, les ERIAD, ne jouent aucun rôle dans la diffusion du progrès technique, la promotion de la qualité et l’intégration agro-industrielle qui auraient pu accroître la productivité dans cette filière et, partant, abaisser les coûts de production. Parce qu’il y a eu des politiques d’approvisionnement alimentaire basées sur le recours systématique aux marchés mondiaux, les exploitations céréalières se retrouvent déconnectées de ces entreprises censées les stimuler en répercutant sur elles l’accroissement de la demande du marché interne ; car confrontées à une crise profonde. Les ERIAD, estiment les spécialistes, auraient intérêt à assurer un approvisionnement à partir de la production locale de grains, spécialement quand il s’agit du blé dur pour lequel le marché mondial reste étroit.

Par Youcef Salami, La Tribune