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Le business de la campagne

jeudi 25 mars 2004, par Hassiba

Location de permanences, collage d’affiches, animation... tout a un prix

La campagne électorale bat son plein à Annaba. Elle est rythmée par les chants “des sirènes” qui ont échoué depuis quelques jours sur son rivage pour faire la pêche aux voix.

Ce grand show résonne également aux cliquetis des dinars sonores et trébuchants, jetés dans la foule des groupies et autres soutiens attendus dans l’objectif d’agrandir le fan club et anticiper le résultat des urnes. De cet argent fou profitent aussi des animateurs logistiques insoupçonnables qui se recrutent au coin d’une rue, dans une échoppe misérable ou un magasin rutilant afin de promouvoir l’image des candidats et réfléchir comme dans un miroir leur scintillement. Le résultat est époustouflant. Réputée coquette, Annaba a revêtu d’autres atours qui découpent son tissu urbain en costume d’Arlequin. Toutes les couleurs sont autant d’alignements à tel ou tel prétendant à la magistrature suprême.

Les adversaires se disputent les devantures et la chaussée. Ils vendent “leurs candidats” à la criée, les uns au prix fort, d’autres au rabais, selon la contribution et la générosité des différents états-majors et de donateurs occultes. Appâtés, plutôt séduits par ce commerce lucratif que par les prêches des candidats, “les démarcheurs” de la hamla prolifèrent dans l’ancienne Hippone. L’argent n’a pas d’odeur politique. Mais la politique rapporte de l’argent. Regard.

“Le loyer est fixé entre 10 000 et 20 000 DA jour. Tout dépend du lieu où se trouve le local. Plus il est prêt du centre-ville, plus il rapporte”, confie-t-on çà et là autour du célèbre Cours de la révolution. Mythique, cette place est incontournable. Elle est le centre d’attraction des Annabis qui aiment y flâner et s’attabler dans l’un de ses cafés. à ce titre, le Cours est convoité par les différents QG pour être au cœur de leur campagne publicitaire.

Tentations inassouvies puisque aucun des cafetiers des lieux n’a cédé à leurs caprices. Si bien que la plupart se sont rabattus sur les rues des alentours. à quelques mètres les unes des autres, les permanences des six protagonistes occupent les principales artères commerçantes. Souvent, la confrontation se réduit en un duel entre le président de la république sortant et son ex-chef du gouvernement. Eux, plus que les autres ont davantage de moyens pour louer les services de sous-traitants. Grandes affiches à l’effigie des postulants, fanions, lampions...le décor inspire le folklore primaire.

Place à la musique

Néanmoins, à la place du karkabou, un habillage musical plus moderne fait office de fond sonore. Entrant dans l’arsenal de guerre psychologique, les poèmes enflammés distillés dans un air raï, chaâbi ou hawzi servent surtout à attirer l’ouïe des passants. Pizzeria d’hier, QG d’aujourd’hui. En une semaine de campagne, des locaux commerciaux ayant reconverti leurs activités sont légion.

“Tout le monde ne l’a pas fait que pour l’argent. Certains ont de véritables sympathies pour des candidats. Ils leur font campagne. C’est normal”, se défend un commerçant croisé à l’aéroport de Annaba. Ce dernier s’apprêtait à rallier Alger pour faire le plein d’énergie auprès des animateurs de la direction nationale de campagne de Ali Benflis. Pour autant, il n’a pas perdu le sens des réalités, dans la mesure où son magasin est resté ouvert. Transformé en permanence, il lui rapporte quotidiennement 15 000 DA, soit un peu plus qu’il ne percevait il y a une semaine, quand il était encore cafetier.

Nadjib a également tiré profit de la campagne. Vendeur de légumes à temps plein au marché communal, il a trouvé moyen de remplir sa bourse en monnayant son talent de tambourin pour les besoins des kermesses électorales du candidat Bouteflika. “Je suis payé 2000 DA à chaque sortie”, révèle “l’artiste”. Cependant, avant de pouvoir caresser les billets roses, il devait faire valoir son soutien franc au chef de l’état.

Cet appui est stipulé noir sur blanc dans un document que Nadjib exhibe avec fièrement. Il s’agit “d’une carte de partisan” qui lui a été délivrée par “la commission de wilaya de la gestion de la campagne” du président. Portant différentes mentions se référant à son identité, son âge et sa profession, cette carte lui a valu 50 DA, le prix à payer pour gagner le grand lot. “De toute façon, j’aurai joué pour le Président même gratuitement”, soutient Nadjib. Il en veut pour preuve qu’il peut quitter sa maison à Ben-M’hidi -dans la wilaya limitrophe d’El Tarf- très tôt dans la journée, sans craindre pour sa vie. “Grâce à Bouteflika, la paix est revenue”, lance-t-il sur un ton de défi.

Qui finance quoi ?

Habitant dans l’un des vieux quartiers surplombant la Place d’armes, une vieille dame, ne compte pas grand-chose pour sa part, dans le bilan du président. Ses deux fils ont certes, obtenu la carte militaire, mais ne travaillent pas. Trabendistes occasionnels, ils viennent de trouver un nouveau filon en dirigeant une petite équipe de colleurs d’affiches électorales sur les murs de la ville. Chaque affiche coûte 50 DA. Qui finance ce trafic ? Le milliard et demi alloué par l’état dans le cadre de la campagne électorale suffit-il à la prise en charge de toutes ces dépenses - location de permanences, de troupes folkloriques, embauche de colleurs d’affiches... sans compter la réquisition de bus privés pour l’acheminement des supporters lors des meetings et l’achat de sandwichs à ces derniers en guise de rétribution ?

La réponse est évidente. Divisés en pauvres et riches, les candidats à la présidentielle sont partis sur des bases inégales. Certains n’ont que leur discours pour convaincre l’électorat alors que d’autres sous-traitent l’achat des voix. À y voir de près, l’élection arrange beaucoup plus le business que la démocratie.

Samia Lokmane , Liberté