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Marché du médicament en Algérie
samedi 4 décembre 2004, par
Objet de nombreuses convoitises, pour être un créneau porteur, le marché du médicament reste l’otage de groupes de pression qui défient et violent les règles édictées par l’Etat. Parfois, en toute impunité. Ces lobbies organisent des ruptures de stock en fonction de leurs intérêts. Près d’une centaine de médicaments essentiels et vitaux sont ainsi soumis à une insupportable spéculation de la part de certains grossistes.
L’obligation faite aux importateurs d’investir dans le pays au bout de deux ans fonctionne également comme une simple barrière bureaucratique. Près de 60% des importateurs ne respectent pas cet engagement. Une fois le délai fixé arrivé à expiration, certaines firmes ferment et renaissent sous un autre nom. Au moment où les pouvoirs publics parlent d’encourager la production locale et celle du générique, la facture d’importation du médicament ne cesse d’augmenter. Au niveau des officines, des médicaments génériques sont plus chers que le princeps. Autant d’incohérences et de monopoles qui laminent le secteur de la santé aux dépens du malade.
700 millions de dollars pour l’année 2004, la facture du médicament est lourde pour un Etat qui œuvre à réduire ses dépenses sociales et s’orienter vers l’investissement productif. En dépit de l’existence de textes encourageant la production, 80% des produits pharmaceutiques sont importés. Anarchique est la gestion de ce marché juteux, souvent sous contrôle de groupes de pression. Beaucoup de médicaments indispensables pour le traitement de certaines pathologies et maladies chroniques à l’instar de la sclérose en plaques, la paraplégie ou la maladie d’Alzheimer ne figurent pas dans la nomenclature actuelle.
Au moment où, en dépit des mesures dissuasives, de nombreux produits fabriqués localement sont importés. Le ministère de la Santé vient de publier une liste de 129 médicaments interdits à l’importation. Cette règle est souvent transgressée, parfois en toute impunité. Les rares producteurs se plaignent d’une concurrence déloyale. Le directeur de marketing du Laboratoire pharmaceutique algérien (LPA) estime qu’il faut impérativement stopper l’importation des médicaments produits localement : « Si on importe les produits déjà existants dans le pays, cela freine l’élan des investisseurs et les décourage ». Créé en 1991, LPA est l’une des premières entreprises privées à avoir réalisé la transition de l’importation à la fabrication des produits pharmaceutiques. Propriété de Aït Adjedjou Mustapha, ce laboratoire travaille avec des entreprises de renommée internationale telles que Sanofi, Biochémie et SmithKline. Pour le docteur Harchaoui, manager général des Laboratoires Pierre Fabre dans leur représentation en Algérie, « si les lois ne sont pas respectées c’est qu’il y a une faille dans le système. Si on veut produire localement, il faut être strict par rapport à cette question ».
Il y a deux ans, les laboratoires Pierre Fabre sont tombés sous le coup de la loi. Associé à l’époque à Aldaph, à son tour composé de deux autres actionnaires, le laboratoire danois Novo Nordisk et Saidal, ses activités sont suspendues par la tutelle. Ces opérateurs étaient présents en Algérie depuis deux ans sans avoir investi dans la création d’un projet industriel. Après le retrait des deux autres, le laboratoire danois a pu convaincre le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière de l’époque de sa volonté d’investir. La firme a acheté une assiette de terrain dans la zone industrielle de Oued Aïssi, fournit la garantie de l’existence des fonds propres en banque et a promis de fournir mensuellement des informations sur l’état d’avancement des travaux sur chantier. Ainsi, le terrain est, selon le PDG d’Aldaph, M. Abane, d’ores et déjà viabilisé et aménagé, l’installation du chantier effectuée et le permis de construire demandé. Les dirigeants de cette société viennent d’entamer une série de consultations pour le démarrage des travaux. Le coût de l’investissement est estimé à 700 millions de dinars. Dès le mois de septembre 2005, l’usine fabriquera la gamme des antidiabétiques oraux sous le label et la garantie de Novo Nordisk. Progressivement, d’autres gammes d’antihypertenseurs, d’anticholestérol viendront enrichir la production d’Aldaph.
Certains importateurs passent outre la loi
Les Laboratoires Pierre Fabre qui, depuis cette malheureuse expérience, travaillent en partenariat avec la société Biopharm, préparent à leur tour, un projet d’investissement. « Si on ne le fait pas d’ici quelques mois, on risque la suspension. On projette d’investir dans les pommades, gélules et comprimés et fabriquer des antibiotiques et des traitements de la gastro. » C’est un projet qui coûtera à la firme française, à la recherche encore d’une assiette de terrain, d’un partenaire et d’un personnel qualifié, 6 à 7 millions de dollars.
Investir dans le pays présente, selon le Dr Harchaoui, l’avantage d’une exonération d’impôts pour quelques années, une main- d’œuvre locale moins chère et une réduction des coûts à l’importation. Les contraintes sont les tracasseries administratives, la difficulté à trouver un personnel compétent et la validation des machines aux normes de bonnes pratiques de fabrication. Si beaucoup de firmes font part de leur intention de se conformer à la réglementation algérienne en la matière, la réalité est tout autre. Selon certaines sources, 60% des importateurs passent outre leurs engagements. Dès que le délai fixé par des pouvoirs publics expire, ces firmes ferment et renaissent sous un autre nom. Saïdal, qui participe à hauteur de 85% à la production nationale du médicament est la première entreprise à relever ces anomalies. Créée en avril 1983, l’entreprise devient autonome en février 1989 et donne naissance au groupe Saidal. Après l’application de son plan de redressement en 1994/1995, Saidal, leader de la fabrication des médicaments et des produits assimilés sur le marché, élabore un programme de partenariat industriel dans le cadre de son plan de développement. Celui-ci vise essentiellement à la conclusion d’accords avec les laboratoires pharmaceutiques de renommée mondiale pour augmenter ses capacités de production, à l’instar de Pfizer et Eli Lilly (USA), Aventis (Allemagne/France), Novo Nordisk (Danemark), Dar Eddawa et Ram Pharma (Jordanie). Il s’agit, d’une part, d’accords de façonnage qui portent sur la fabrication des produits des partenaires, pour leur compte, dans les ateliers de Saidal et, d’autre part, d’accords industriels qui visent à la réalisation, en commun, avec des laboratoires étrangers (Pfizer, Aventis Pharma, Groupement pharmaceutique européen, Novo Nordisk/Pierre Fabre, Spimaco/JPM/Acdima, Dar Al Dawa), d’usines pour la fabrication des médicaments de leur gamme, en Algérie.
Les dirigeants d’Aventis en Algérie ont réussi à transformer le bureau de liaison composé de trois personnes en une entreprise qui emploie 350 salariés. Objectif : obtenir au moins 30% des parts de marché du médicament et de constituer un groupe privé très important aux côtés du groupe public Saidal, d’encourager la production locale et la formation proposée aux professionnels de la santé en diabétologie et oncologie (médecins, pharmaciens, spécialistes). Mais est-ce suffisant pour libérer le secteur des tentacules de l’importation ?
S’orienter exclusivement vers la production en 2011 : un pari risqué
Le pari du gouvernement de réduire considérablement, en 2011, la facture du médicament et de s’orienter vers la production locale est-il raisonnable sachant qu’il faut au moins quatre ans pour qu’une usine en voie de construction devienne opérationnelle ? « Pour l’instant, il n’y a pas beaucoup de producteurs, à part Saidal, Aventis ou Pfizer », note le manager des Laboratoires Fabres. Il ajoute : « Je démarre à zéro et il faut 3 à 4 ans pour que le premier produit sorte. Mon but, depuis que je suis à la tête de la firme, est d’effacer les erreurs et de repartir sur de bonnes bases vers l’avant. » Réduire les importations des médicaments d’ici à 2011 est faisable « à condition que les opérateurs jouent le jeu et s’attellent à le faire », pense Karim Harchaoui. Pour réduire le prix du médicament d’environ 30%, les pouvoirs publics prévoient d’importer en vrac et diminuer ainsi les frais de transport, de négociation et économiser ceux de l’emballage. Il est également prévu de réduire la marge bénéficiaire à l’importation et l’augmenter à la fabrication pour encourager la production locale. La nouvelle politique en matière de médicament devra, en outre, s’orienter vers le générique. Le ministre de la Santé espère présenter rapidement à l’Assemblée nationale un projet de loi sanitaire consacrant une partie au médicament générique.
Pour l’instant, la question du générique n’est gérée par aucun texte clair et précis. « Il faut ainsi établir un statut du médicament générique et imposer des fourchettes de prix par rapport aux médicaments princeps et déterminer précisément dans quelles proportions le prix du générique sera fixé par rapport aux princeps. En bref, il ne s’agit pas seulement de définir le générique par rapport à ses qualités de bioéquivalence, mais aussi de le définir économiquement », explique le président du Syndicat national algérien des pharmaciens d’officines, Messaoud Belambri. Dans ce sens, le Forum des chefs d’entreprise relève que l’obligation faite aux importateurs d’initier un projet d’investissement n’a pas non plus donné de résultat : « Au contraire, tous les chiffres tendent à montrer que le volume des importations augmente irrésistiblement. » Il est temps, note cette organisation, de songer à remettre en question ce mode d’organisation. L’encadrement administratif actuel sur les importations, qui fonctionne comme une simple barrière bureaucratique, gagnerait à être revu en profondeur aussi rapidement que possible.
Des génériques plus chers que les princeps
La généralisation du générique requiert une « stratégie complexe et une instrumentation sophistiquée de mise en œuvre qui ne sauraient être traduites au travers d’une instruction ministérielle sommaire », estime le Forum des chefs d’entreprise. Le Pr Amalou, représentant de la CNAS, a lui aussi, à maintes reprises, plaidé pour l’utilisation du produit générique qui constitue, selon lui, la meilleure solution pour réduire la facture du médicament. Tout en relevant les écarts de prix pour les différents médicaments, il a mis l’accent sur le remboursement des médicaments. Il a signalé que 52 millions d’ordonnances sont remboursées par an et 20% des médicaments consomment 80% des remboursements. « Les vignettes ne sont conformes que dans 50% de cas. » Au niveau des officines, certains médicaments génériques sont plus chers que le princeps.
Des opérateurs organisent des ruptures de stock en fonction de leurs intérêts. Près d’une centaine de médicaments essentiels et vitaux sont ainsi soumis à une insupportable spéculation de la part de certains grossistes. Des incohérences et des monopoles qui laminent le secteur de la santé aux dépens du malade. Le directeur de marketing de LPA revient sur la désorganisation qui caractérise le marché du médicament : « Il existe des opérateurs qui importent de Jordanie, de l’Inde le même générique fabriqué localement. Nous avons posé le problème à la tutelle en insistant sur le fait qu’il y a des importateurs qui ne respectent pas le cahier des charges qui stipule que chaque intervenant doit, au bout de deux ans, s’installer en Algérie. Cela stabilisera les prix et créera des emplois. Si chacun se spécialise dans la fabrication d’un ou deux produits, nous pourrons à ce moment-la couvrir les besoins nationaux. » Au Laboratoire pharmaceutique algérien, on prétend que les projets d’expansion dépendent de la volonté de l’Etat de réguler ou non le marché du médicament. LPA a connu une croissance et une évolution du chiffre d’affaires de l’ordre de 60% entre 2002 et 2003. Ce qui lui a permis de développer sa production locale et de lancer quelques projets d’investissement. Ce laboratoire détient 20% de parts du marché pharmaceutique algérien et compte, à partir de 2005, se lancer dans la production des antibiotiques. Pour peu que les pouvoirs publics mettent d’ici la de l’ordre dans le marché du médicament.
Par Nissa Hammadi, La Tribune