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Prestations de soins ou prestations de services ?

lundi 25 octobre 2004, par Hassiba

L’Algérie est un pays à l’histoire millénaire, intimement liée à celle de la Méditerranée. Déjà en l’an 46 avant J.-C., la médecine y était pratiquée, et Juba 1er alors roi de Numidie, avait pour médecin Euphorbe, d’où la dénomination de certaines plantes médicinales, les euphorbiacées.

L’avènement de l’Islam en Afrique du Nord a enrichi la pratique médicale par des soins non encore hiérarchisés, et ce n’est que durant la colonisation française que fut créé le service médical de colonisation, le 21 janvier 1853 par le maréchal De Saint Arnaud, ministre de la Guerre de Napoléon III, chargé des affaires de l’Algérie. Les médecins de l’époque avaient constaté la présence de plusieurs fléaux tels la tuberculose, le paludisme, l’hydatidose, maladies, malheureusement encore d’actualité chez nous en l’an 2004.

En 1835, on ne comptait que 81 médecins civils en Algérie. En 1855, ils n’étaient encore que 85. En 1901, il y a eu la création du corps des auxiliaires médicaux indigènes, recrutés notamment parmi les diplômés des médersas. Lesquels auxiliaires sont affectés auprès des médecins de colonisation, après deux années d’études pratiques dans une école spécialisée, et fonctionnent dans les services de l’hôpital Mustapha à Alger. A l’aube du XXe siècle, le service médical était assuré par une centaine de médecins isolés, livrés à eux-mêmes, disposant de moyens réduits, dans des circonscriptions étendues. En 1907, Alphonse Laveran, bactériologiste à Constantine, obtient le prix Nobel de médecine en récompense à ses recherches sur le paludisme. En 1911, nomination des premiers médecins inspecteurs départementaux. En 1920, le service médical de colonisation est placé sous l’autorité directe du gouverneur général, subordonné aux préfets. En 1923, la faculté de médecine d’Alger crée un institut d’hygiène et de médecine d’outre-mer.

En 1926, le gouverneur général Violette crée le service d’assistance aux mères et nourrissons. En 1931, le corps des auxiliaires médicaux indigènes est transformé en celui des adjoints techniques de la santé, dont la durée des études est de trois ans. A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, une circonscription type comporte un hôpital auxiliaire de 40 à 50 lits installé au chef-lieu, plusieurs salles de consultations réparties dans les villages avec des visites périodiques de l’infirmière ou du médecin.

Ensuite, il y a eu la création des dispensaires ophtalmologiques appelés maisons des yeux ou biout el aïnin, dans les zones d’endémie des affections oculaires. On compte alors 151 circonscriptions médicales en Algérie dont 53 pour le département d’Alger, 41 pour le département d’Oran, 57 pour le département de Constantine. En 1951, le gouverneur général prononce, par voie d’arrêtés, la division en deux du corps des médecins de la santé : les médecins de l’inspection de la santé et leurs adjoints, et les médecins de circonscription appelés médecins de l’assistance médico-sociale en Algérie ou AMS.

Un prix Nobel constantinois

En janvier 1955, s’est tenu le Congrès médical à Alger, célébrant le centenaire de la médecine de colonisation. Le 19 mai 1956, la plupart des étudiants en médecine ont répondu à l’appel de la patrie pour participer à la guerre de Libération nationale et dont plusieurs d’entre eux sont tombés au champ d’honneur, tels Benbadis et Benzerdjeb. En 1962, l’Algérie avait à peine 2000 étudiants en formation, toutes filières confondues. Après l’indépendance, l’Algérie a hérité d’un système de santé basé sur la hiérarchisation des soins et sur la départementalisation qui, quelques années plus tard, ont fait du système de santé français l’un des plus performants au monde.

Par la suite, le peu de médecins algériens installés en privé ont répondu à l’appel du devoir national pour rejoindre l’université et contribuer, avec leurs collègues français et autres, à la formation de médecins et auxquels il faut rendre un vibrant hommage. Au lieu de renforcer notre système de santé, nous avons estimé que l’Algérie devait élaborer son propre système qui aille avec la bipolarisation de l’époque et, c’est à ce moment-là que nous avons déjà politisé la santé en l’extrayant de son cadre universel. Le médecin algérien, qui a non seulement combattu pour sa patrie, mais surtout continué à prodiguer les soins et à former des médecins et des infirmiers, afin de consolider notre école de médecine, a été cyniquement traité de potentiel bourgeois, donc de réactionnaire. Ce vecteur des sciences médicales a été assimilé au colon, et il fallait à tout prix l’utiliser et le combattre à la fois.

Il a été contraint de commettre des erreurs fatales, par peur ou par faiblesse, parfois par ambition politique et, au lieu de croire en un savoir universel, il a cru en des planificateurs qui se sont trompés d’époque pour nous entraîner inéluctablement vers une médecine au rabais pour des médecins au rabais. Les compétences qui étaient jusque-là pleines d’enthousiasme, se sentant exclues par cette infernale complicité qui les a appauvries financièrement et scientifiquement, ont décidé de fuir le secteur public, renonçant non sans douleur à leur rêve d’hospitaliers et d’enseignants. Au lieu d’être basé sur les compétences et le savoir, notre système de santé a été détourné de sa vocation première et de prestataire de soins, on l’a transformé en prestataire de services.

Notre école de médecine qui a formé des centaines de médecins généraliste et spécialistes, parmi eux, des Tunisiens, des Syriens, des Libanais, des Français et d’autres pays de l’Est et d’Afrique, se trouve montrée du doigt par ces mêmes pays qui spéculent sur nos diplômes, pour ne pas dire qu’ils ne veulent plus les reconnaître. Nous sommes donc passés d’un système de santé acquis, basé sur la prévention et les soins à plusieurs niveaux, à des politiques de santé expérimentalistes dont les promoteurs ont utilisé à la fois leurs relations conjoncturelles, tout leur savoir-faire et toute leur intelligence pour parvenir à extraire de l’éprouvette deux spécialités, à savoir l’anesthésie-réanimation et les urgences médicochirurgicales, et les ériger en un système de santé en soi, reléguant de fait les autres disciplines au stade de sous-spécialités.

Le bradage de la santé publique a fait naître beaucoup de tentations et les citoyens qui ont amassé des fortunes au noir ont voulu faire dans la médecine et surtout dans la pharmacie en ouvrant des cliniques et des sociétés fantômes d’importation de médicaments défiant toutes normes. Le comble a été d’avoir jeté en pâture les praticiens hospitalo-universitaires et les spécialistes de santé publique à exercer une médecine à deux vitesses, les poussant vers le rabattage et toutes formes de tentations inélégantes et contraires aux principes de déontologie, pour la seule raison que l’Etat n’est pas en mesure de les payer décemment. Cela nous a fait entrer directement dans l’ère de l’incohérence, du bricolage et de l’improvisation, où il est demandé aux gestionnaires de servir mais jamais de gérer et aux universitaires, de toujours se chercher, sans jamais pouvoir faire de recherche.

Voici, en quelques phrases, le constat que nous faisons, non sans amertume, de notre système de santé et de la façon dont il a été géré. Le redressement de notre système de santé ne peut être possible qu’à condition de normaliser, de moraliser les professions médicales, par la définition d’une politique nationale de santé, qui ne peut en aucune manière sortir du cadre universel, car la médecine ne peut être qu’universelle, et surtout par la réhabilitation et l’utilisation rationnelle de toutes les compétences nationales sans exclusive, et pourquoi pas étrangères. Nous avons constaté que pour une population d’environ 32 millions, l’Algérie dispose de 27 000 médecins, 8000 dentistes, 4000 pharmaciens, 70 000 paramédicaux, et 70 000 administratifs, soit 1 médecin/1200 habitants, 1 dentiste/4000 hab, 1 pharmacien/8000 hab.

Déséquilibre dans la répartition

Vous remarquerez que sur le plan du nombre, notre pays n’a rien à envier aux pays développés, mais dès lors qu’il s’agit de répartition, nous constatons qu’il existe un déséquilibre flagrant entre la capitale qui dispose à elle seule de 55%, l’Est de 22%, l’Ouest de 20%, le Sud-Est de 2% et le Sud-Ouest de 1%. Les centres hospitalo-universitaires, classiquement réservés aux praticiens recrutés selon des normes scientifiques universelles, lors de concours ouverts à toutes les compétences, se sont vus recruter des praticiens non universitaires, en nombre impressionnant, reléguant de fait les CHU au rang d’hôpitaux de campagne, soit environ 2104 non-universitaires pour 1688 universitaires. Ce procédé de recrutement n’est pas spécifique aux hospitalo-universitaires, il concerne malheureusement beaucoup d’institutions de notre pays, et c’est ce qui nous a fait penser à un indicateur épidémiologique que nous avons dénommé indice de destruction de l’intelligence nationale, pour ne pas dire indice de médiocrité. Cet indice, égal ou inférieur à 1, est calculé selon le rapport entre les personnels recrutés selon des normes universelles et le reste.

Pour les hospitalo-universitaires, cet indicateur est malheureusement de 0,8. Il faudrait donc réhabiliter les CHU originels et revoir le fonctionnement des CHU politiques dont la genèse ressemble beaucoup à celle des aéroports et des universités, car les prestations de soins et la formation qui sont dispensées en dehors des anciens CHU restent des plus aléatoires. Si nous devions nous intéresser au taux d’occupation des lits d’hôpital, nous allons retrouver qu’il n’atteint pas les 50%, et qu’il est même en dessous du 1% dans certains hôpitaux comme Kaïs, Reggane ou Oued Zenati. Les compétences nationales sont agglutinées au nord, plus particulièrement au centre du pays (55%), faisant des autres régions des zones sinistrées. Même si l’Algérie a dépassé tous les objectifs inscrits dans ses différents plans en termes de quantité (1 médecin/3000 hab.), personne n’est satisfait de la qualité des soins, et encore moins de l’équité dans l’accès aux soins.

Comment se fait-il qu’au Sud, zone d’endémicité des affections oculaires, il n’existe pratiquement aucun ophtalmologue. Les compétences médicales étant recensées, il va falloir procéder à la codification des actes qu’elles sont en mesure d’accomplir en soins primaires, en soins spécialisés et en soins hautement spécialisés, puis les intéresser sérieusement par la mise en place d’un programme spécial de réhabilitation et non par des mesures coercitives telles le service civil.

La solution réside dans l’implication de tout un chacun, surtout des pouvoirs publics, lors d’une conférence nationale sur la santé, et dont l’objectif serait la réforme de l’organisation administrative et la mise en place d’une institution qui coordonnerait entre la santé, l’enseignement supérieur et les affaires sociales, afin de parvenir dans les plus brefs délais à réformer l’organisation administrative interne du ministère de la Santé en faisant appel aux compétences sous forme de staffs dynamiques au niveau de chaque direction, avec des relais au niveau de chaque région ; entrevoir une procédure de rééxamen des schémas régionaux d’organisation sanitaire afin de définir la répartition optimale des activités et des hommes dans chaque région et y résorber les inégalités sanitaires ; réfléchir à des schémas axés sur la départementalisation, car nos régions sont immenses, et il serait humainement impossible de les couvrir avec les schémas actuels ; redéfinir le rôle des directions de la santé qui doivent être des lieux de conception, de proposition et de coordination départementale et nationale ; revoir les modalités de recrutement des directeurs de la santé et de leur staff ; il faudrait que les futurs directeurs de la santé jouent un véritable rôle de promoteurs d’une politique de santé préalablement définie par les pouvoirs publics.

Ils doivent donc être évalués au même titre que tous les autres professionnels de la santé ; rééquilibrer progressivement les dotations budgétaires au profit des régions les plus méritantes sur le plan du travail et qui peuvent être parfois les plus défavorisées, après bien sûr, une évaluation objective des structures et des hommes - nous citerons au passage les merveilleuses structures sanitaires construites en devises fortes à Collo, Aïn M’lila, Kaïs et autres régions et qui sont pratiquement fermées par manque de compétences ; harmonisation des financements publics et privés sur la base des coûts par pathologie, qui refléteraient mieux l’activité réelle des établissements ; baser notre système de santé sur le binôme mode de financement/compétence. ( A suivre)

Par Hocine Benkadri, elwatan.com