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Raffinerie de sucre de Sidi Lakhdar (Khemis)

vendredi 17 septembre 2004, par Hassiba

A la sortie du village Sidi Lakhdar (ex-Lavarande), à 7 km de la ville de Khemis, sur la route venant d’Alger, il faudrait encore continuer à ralentir et essayer de ne pas rater le bon tournant à droite qui mène à l’usine Sorasucre, filiale du groupe Enasucre.

C’est qu’aucune indication n’est là pour vous prévenir. Quant au traditionnel et géant panneau publicitaire que vous guettez désespérément, il faudra repasser un jour, lorsque l’entreprise sera en mesure d’inscrire pareille « folie » dans ses dépenses.

Pourtant, ici, tous les chemins semblent mener vers cet immense espace industriel, tellement l’histoire même de ce grand village Sidi Lakhdar est intimement liée à l’usine de l’Enasucre, née en 1965 pour être l’une des toutes premières réalisations d’une politique économique nationale nourrie de thèses socialistes érigées en industrie industrialisante grandeur nature. « C’est cette usine où vous êtes en ce moment qui a permis à ce village de voir le jour et de grandir pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. Les gens des petits douars sont venus y travailler avant d’élire domicile progressivement dans cette région », lance Chérif Ouzani, le responsable du département laboratoire et qui parle avec l’expérience en plus au sein d’une entreprise dont il donne l’impression de maîtriser l’histoire dans ses moindres détails. « Vous pouvez écrire qu’en 1965, c’était l’une des toutes premières usines construites par l’Algérie indépendante et que c’était un véritable joyau de notre industrie », se rappelle-t-il, mi-réjouit, mi-désespéré de voir la Sorasucre de Sidi Lakhdar pratiquement abandonnée à son sort d’outil de production en décalage parfait avec les usines modernes et laissée à l’opiniâtreté des travailleurs, sinon quelques-uns parmi eux, qui n’ont d’autre choix de conserver leur gagne-pain que de veiller sur ces équipements jamais rénovés depuis 40 années en usant de la seule force des jarrets. Et de la peur du chômage.

« Et en comptant aussi sur le génie des Algériens », comme le constate M. Dali, président du conseil d’administration, installé il y a à peine 2 mois et ayant déjà eu tout le temps et le désagrément d’analyser la situation d’une usine qui a assurément déjà consommé sa durée de vie légale. Et qui donne la nette impression de se battre dans une douleur insoutenable à vouloir résister à d’autres temps et autres mœurs technologiques. Comme cette région qui l’a vu naître aura tenté de résister aux affres du terrorisme qui y a planté ses lois destructrices de toute intention de vie une décennie durant. « Je parle de génie des Algériens parce que c’est une usine tellement vieille qu’on ne peut même pas trouver certaines pièces de rechange pour ses équipements. C’est pourquoi nos ingénieurs doivent inventer parfois leur propre solution et continuer à faire fonctionner l’usine », explique M. Dali, non sans revenir sur la l’état d’« équipements si usés qu’ils n’ont plus de raison de fonctionner et qui doivent impérativement être remplacés par des machines répondant aux normes en vigueur ».Autrement dit, « il faudra adapter l’usine à la technologie moderne », ajoute le président du conseil d’administration. Soit « un investissement de 150 millions de dinars », chiffre-t-il.

Et à M. Dali de rappeler qu’avant d’être réduite à l’activité de raffinage, depuis 1983, cette installation, étalée sur 25 hectares, dont 10 bâtis, « a été réalisée pour traiter 1 500 tonnes de betterave plantée à proximité de l’usine et 300 tonnes de sucre par 24 heures. Depuis 1983, on n’utilise plus la betterave, d’où la nécessité de reconnaître que pareille technologie est déjà dépassée depuis au moins 1983. Aujourd’hui, on utilise du sucre roux importé et qu’on doit transformer. Or, cela nécessite des machines adaptées à la situation ». C’est-à-dire adaptées à une usine de raffinage qu’il ne faut plus confondre avec la sucrerie d’avant 1983. Cela nécessite également une revue d’effectif et sa réduction, selon M. Dali. « Nous avons actuellement 380 employés dont au moins 80 sont en plus », note ce dernier, estimant qu’il s’agit de procéder à une réduction dans ce sens pour maintenir les équilibres budgétaires dans la situation actuelle.Plus de betteraves donc dans cette région pastorale et, pis, plus de possibilité d’importer le sucre roux. Et pour couronner le tout, une production qui atteint tout juste la moitié des capacités initiales de l’usine, estimées à 300 tonnes par jour.

Et pour cause, « en 1999, l’ancien PDG avait engagé l’entreprise Enasucre sur 240 000 tonnes de sucre roux sur le marché international du sucre. Engagement qui n’a jamais pu être honoré », fait remarquer le directeur financier et directeur général par intérim de Sorasucre, M. Hamdi Benyoucef. « D’autant qu’en parallèle, nous souffrions de plusieurs contentieux et que juste avant, c’est-à-dire entre 1998 et 1999, on était arrivé à consommer le capital de l’entreprise, ce qui est contraire au code de commerce. Certes, il y a eu un plan de redressement avec le concours de l’Etat, mais c’était insuffisant, sinon trop tard. L’Enasucre était inscrite sur la liste rouge au niveau du marché international », avoue M. Hamdi.Situation qui incitera alors l’Enasucre à passer par certains fournisseurs, sans pour autant pouvoir retrouver ses pleines potentialités, tournant tout juste à entre 20 et 30% de ses capacités. Parmi ces fournisseurs, le groupe privé Blanky, spécialisé dans l’activité du sucre et qui serait sur le point d’acquérir jusqu’à 70% du groupe Enasucre, « en contrepartie du paiement de la dette de 4 milliards de dinars, du maintien des effectifs sur place et de la conservation de l’activité pour au moins 5 années », nous avoue l’un des responsables de l’audit du groupe, croisé à l’usine de Khemis.

En attendant l’issue des négociations, Blanky utilise, seul, depuis septembre 2002, les raffineries de l’entreprise (Khemis, Guelma, Mostaganem) grâce à un contrat de prestation de services. En attendant l’acquisition d’une grande partie du capital de l’entreprise. Sauf que, dès qu’on évoque cette question devant quelques employés de l’usine de Sidi Lakhdar, ceux-ci n’hésitent pas à rétorquer que « Blanky a promis tellement de choses depuis 2 années, comme l’achat d’une ensacheuse ou la formation du personnel à l’étranger, mais sans suite aucune ».Cela dit, tout ou presque, dans ces décors d’une autre époque, s’étale comme un concentré d’arguments qui tendent à convaincre qu’une seule et unique solution s’offre désormais aux travailleurs : accepter l’option de l’ouverture du capital pour refuser la fermeture de leur usine. A moins que...

Par Lyès Ibalitène, La Tribune