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Amina Kouidri : « Les assassins doivent payer ! »

mercredi 23 février 2005, par Hassiba

« Qui se souvient de Nour El Houda aujourd’hui ? » s’interroge Amina Kouidri, 32 ans, cadre dans le centre de formation professionnelle de Larbaa, aînée d’une famille de 9 enfants. Amina est aussi l’un des symboles de la résistance aux terroristes dans sa ville, Larbaa.

Ses principes comme ses convictions n’ont pas bougé d’un iota : les criminels qui ont longtemps ensanglanté sa région doivent répondre de leurs crimes. Le 29 octobre prochain ce sera le dixième anniversaire de l’assassinat de sa petite sœur, Nour El Houda. Agée d’à peine 12 ans, enlevée de son école et retrouvée égorgée le même jour, la fillette sera enterrée dans la discrétion la plus totale, pour ne pas dire seule. « Les habitants de Larbaa étaient terrorisés. Ils avaient peur des représailles des hommes de Kertali », se souvient sa sœur. Amina, un petit bout de femme, un parcours peu commun et du courage à en revendre durant les années de feu.

Elle qui a bravé plus d’une fois l’« émir » de la région, peine aujourd’hui à retenir ses larmes. Des larmes qu’elle a toujours su cacher au fin fond de ses entrailles pour ne pas fléchir face à la cruauté des assaillants. « Ils nous ont écrasés [...] Ils nous ont piétinés », dit-elle en parlant des pouvoirs publics.« Nos blessures n’ont pas été pansées. Mais ça ne les a pas empêchés de décréter la loi sur la concorde civile. » Une loi qui a permis, selon notre interlocutrice, à tous les terroristes de la région, y compris l’« emir », de revenir chez eux et de reprendre une vie normale sinon meilleure. « Nous côtoyons quotidiennement les assassins de nos proches, nos voisins ou amis. Nous les croisons dans les artères de la ville. Ils possèdent des commerces aujourd’hui. Leurs enfants ont repris le chemin des écoles qu’ils avaient brûlées quelques années auparavant », raconte-t-elle, avant de s’interroger : « Et nous dans tout cela ? » Elle marque un petit moment d’arrêt avant d’enchaîner : « A-t-on jamais demandé - passez-moi l’expression - aux chiens que nous sommes si nous avions ou si nous pouvions pardonner un jour ? »Que revendique-t-elle aujourd’hui ?

Ancienne membre de l’association Djazaïrouna, elle s’est démarquée de la démarche de l’association. De toutes les associations des victimes du terrorisme. « Je ne me reconnais plus dans ces associations. Leurs visées ne sont pas compatibles avec mes principes. » Afin d’être plus utile à ceux qui souffrent comme elle, elle a tenté de mettre en place des actions de soutien scolaire et psychologique aux orphelins, très nombreux dans sa région et dans toute la Mitidja. Pour ce faire, elle n’a pas hésité à demander assistance, notamment à l’étranger. Elle s’est déplacée régulièrement à l’étranger au début des années 2000. Elle a sillonné presque toute l’Europe pour témoigner de l’horreur vécue par les Algériens et pour demander une assistance psychique et matérielle au profit de ceux qui l’ont subie.

Elle reste convaincue que l’Algérie, à travers les victimes du terrorisme, doit sortir de ce drame incroyable via la solidarité internationale. L’ONG française Terre des Hommes lui a même permis de rencontrer le pape Jean-Paul II au Vatican. Et c’est à l’invitation du Mouvement de la paix qu’elle a sillonné la Bretagne en avril 2001. Elle s’y était rendue pour développer son projet consistant à offrir des vacances en France à des centaines d’orphelins du terrorisme et elle en est revenue avec le projet d’une association internationale pour les victimes du terrorisme en Algérie. Un projet, dit-elle, avorté par certains membres des associations des victimes du terrorisme en Algérie. « Ils se sont dressés contre le projet et s’y sont opposés de toutes leurs forces et n’ont pas manqué de le qualifier au passage d’appel à l’ingérence ; mais ils n’ont toutefois manifesté aucune volonté d’assurer la moindre prise en charge pour les victimes, notamment les enfants. »

Elle « ne marchande pas » le sang des siens. « Je ne cherche aucun statut. Juste un peu de considération pour moi, pour ma famille et pour tous ceux qui ont perdu un être cher. » Par considération, elle entend une écoute. Précisément l’écoute du gouvernement. Amina demeure intriguée par l’attitude « méprisante » des autorités du pays. Elle s’interroge sur les raisons qui poussent le gouvernement de son pays à négliger sinon ignorer les victimes du terrorisme. « Ils nous connaissent. Ils savent où nous trouver. Pourquoi ne nous demande-t-on pas notre avis ? Nous sommes les victimes de cette tragédie. Nous sommes les premiers concernés. »

Meurtrie dans sa chair, elle se dit pourtant pour la paix civile. « Bien sûr que je ne suis pas contre la paix [...] mais pas à n’importe quel prix. »Amina Kouidri affirme, dix ans après l’assassinat de sa sœur : « Je suis traumatisée, ma mère pleure encore sa fille. Mes sœurs sont toujours choquées. » Sa douleur et sa détresse, elle les résume en cette petite déclaration : « Nour El Houda n’a pas été tuée dans une déflagration. On n’a même pas tiré sur elle. Le petit ange a été égorgé. Vous comprenez ce que c’est que d’être égorgé ? Comment mesurer une telle peine ? Comment peut-on pardonner cela ? C’est tout simplement surhumain ! » Le surhumain... Elle le vit pourtant au quotidien chaque fois qu’elle croise ceux qu’elle a identifiés il y a quelques années comme les assassins de sa sœur. On avait dit que la loi sur la concorde civile ne s’appliquerait pas à ceux qui avaient du sang sur les mains. Pourtant, « H. Z. et B. sont là pour prouver le contraire ». Les individus désignés par Amina Kouidri, proches collaborateurs de l’ancien « émir » de la région, « se baladent en toute quiétude et sans la moindre crainte ». Amina se souvient également des assassins de son amie Nadia Tchouk, tuée devant elle à l’arrêt de bus en 1994. « Nadia était la première d’une longue liste de femmes assassinées à Larbaa. »

Pour parler d’amnistie, Amina remonte le fil des années et rappelle « à ceux qui ont la mémoire courte que, la veille du Mouloud de cette même année 1994, 36 bombes ont explosé en différents endroits de Larbaa, détruisant des écoles, des lycées, le palais de justice, le siège de la daïra, les banques et le CFPA. Les gens ont été terrorisés. Certains ont bradé leur appartement et leur villa avant de quitter la ville. Ces actes ont été revendiqués par Kertali. Ses hommes l’ont affiché partout dans la ville le lendemain. » De tout cela, elle a été le témoin. « Aujourd’hui, le fils du commanditaire de ces attentats, notamment celui contre le CFPA de la ville, étudie dans le centre que son père avait détruit. » Elle dit qu’elle évite de le croiser et qu’elle n’imagine même pas, un jour, écrire son nom.« Le fils de Kertali étudie dans le centre qui m’emploie.Nour El Houda serait aujourd’hui étudiante à l’université », soupire-t-elle.L’amnistie une fois de plus ? Elle n’est pas amnésique, rétorque-t-elle. Et quand bien même le voudrait-elle, le champ de bataille que fut chaque parcelle de Larbaa ne peut que lui rappeler l’injustice dont sont victimes des milliers de familles en Algérie.

« Bien sûr qu’il faut que les tueries cessent, bien sûr que la vie doit reprendre son cours normal, dit-elle, mais il faut que la justice s’applique à ceux qui ont commis des crimes. Je ne pardonnerai jamais aux assassins de ma sœur. L’amnistie ne doit pas être utilisée pour absoudre les criminels de leurs crimes. L’amnistie ne doit pas approfondir le sentiment d’injustice qui nous hante depuis l’assassinat des nôtres. L’amnistie ne doit pas dérouler le tapis rouge à nos bourreaux et leur permettre de revenir comme si de rien n’était. » Amina reconnaît cependant que le président de la République, initiateur du projet de loi sur l’amnistie, est fort des voix de la majorité des Algériens qui lui ont offert un second quinquennat, mais cela ne l’empêche pas de dire : « Tant qu’on ne nous a pas rendu justice, nous serons incapables de retrouver la paix. La transition est déjà très difficile à vivre et l’injustice la rend insupportable. » Et de conclure : « Sans justice, il n’y aura jamais de paix. Du moins pas dans nos cœurs. »

Par Ghada Hamrouche, La Tribune