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Amnistie en Algérie : Une quête de vérité et de justice

mercredi 9 mars 2005, par Hassiba

Le projet d’amnistie en Algérie peut tenir autant de l’auberge espagnole où chacun trouve ce qu’il veut bien y mettre que de l’embrayeur sémantique libérant les paroles des uns et les calculs des autres.

En soi, le résultat peut paraître appréciable qui n’engage, pour l’heure, en rien le chef de l’Etat, promoteur de l’idée, qui s’autorise même la licence d’un recul critique sur les conditions d’une mise en œuvre que ni ses contempteurs ni ses critiques -à dire vrai très discrets- n’ont réellement mis en question. Dans ses interventions sur le sujet, le président de la République s’en est systématiquement remis à la « décision du peuple souverain » dont il est, à tout le moins, acquis, qu’il sera, en temps voulu, consulté par voie référendaire. Cette volonté politique d’en appeler à l’arbitrage populaire -puisse-t-elle aussi encourir la suspicion d’une quête plébiscitaire- ne peut de toutes les manières s’entendre et se concrétiser que dans le cadre des dispositions pertinentes de la Constitution.

Les dispositions de la Constitution

Celle de février 1983 dispose, en effet, dans l’alinéa 9 de l’article 74 que le président de la République « peut, sur toute question d’importance nationale, saisir le peuple par voie de référendum », alors que « l’amnistie » est dévolue à la loi aux termes de l’alinéa 7 de l’article 115. Le précédent de la fameuse « grâce amnistiante » de janvier 2000 peut, bien sûr, prévenir contre les illusions du formalisme juridique alors que, a contrario, tout dans l’ordre politique actuel devrait plutôt plaider en faveur du respect des normes, étant entendu qu’en tout état de cause, il reviendra nécessairement à la loi de fixer le contenu et les modalités de l’amnistie. Dit autrement, le président de la République -de toutes les manières, à l’initiative de la loi par l’intermédiaire du gouvernement- peut tout aussi bien, à l’inverse de la loi sur la concorde civile, anticiper sur l’élaboration législative et solliciter l’opinion sur le principe même de cette amnistie et quel que soit son choix final -visiblement, il n’est pas encore à l’ordre du jour- sur le terrain, c’est l’institution judiciaire qui finalement en établira le champ d’application. Faut-il alors préciser qu’à l’encontre de la loi portant concorde civile qui visait essentiellement, dans l’esprit et la continuité de la trêve/reddition de l’AIS, à conforter la réduction du niveau de la violence terroriste et à gérer conséquemment le sort des hommes et des armes, une loi portant amnistie concernerait plus spécifiquement les actes délictueux et criminels et leurs auteurs poursuivis, jugés ou en passe de l’être, condamnés présents ou contumaces.

Une question préjudicielle

Sous réserve d’inventaire, c’est le domaine même d’application d’une éventuelle loi d’amnistie qui sera au centre des enjeux et des surenchères comme l’indiquent déjà des lectures partisanes comme celle d’El Islah. Le bilan macabre du terrorisme islamiste -en particulier en pertes humaines-rappelé par ailleurs par le chef de l’Etat dans son intervention au siège de l’UGTA, repose objectivement la question de la responsabilité politique et morale des responsables de l’ex-FIS dans la politique de terreur délibérément préparée et engagée et qui avait su instrumentaliser les faiblesses et les calculs des cercles dirigeants du pouvoir. Cette question peut paraître tout à fait préjudicielle pour autant qu’une amnistie, disposition d’abord légale, ne prend de sens politique et de profondeur sociale et morale qu’à l’expresse condition qu’elle ne délite pas en banal procès de lampistes.

L’effacement légal des sanctions auquel peut viser l’amnistie est-il imaginable uniquement sous le seul angle de la responsabilité limitée d’éléments effectivement impliqués dans les actes criminels et peut-il faire l’impasse sur tous ceux qui, avant même d’armer les bras, avaient mis en condition psychologiquement et préparé politiquement les esprits, notamment des plus jeunes acteurs ? Les témoignages et les documents abondent, qui attestent, sans doute aucun, des choix de la direction de l’ex-FIS et de la préparation à ce qui était abusivement présenté comme « djihad ».Concrètement, l’amnistie a toutes les chances de signifier que Abassi et Belhadj, condamnés et ayant purgé leurs peines, pourraient aussi être éligibles aux éventuelles dispositions d’une loi d’amnistie, notamment en ce qui concerne les droits civiques et politiques et que Layada, Haddam et Kebir, qui avaient ordonné ou à tout le moins endossé les actes terroristes au nom de l’ex-FIS, pourraient aussi recevoir une forme d’absolution.

A bien y regarder, c’est de cela aussi qu’il s’agit et les parents de victimes du terrorisme ne s’y trompent pas, qui ont confié aux reporters de la Tribune leur colère et leur désarroi. Le décor, comme l’enjeu, n’est plus, en effet, celui de la concorde civile et, de toute évidence, le crédit -y compris sinon surtout à l’extérieur- d’une politique d’amnistie s’appréciera au poids des charges symboliques qui la soutiendra et il est difficile d’imaginer que ce poids n’aura que la seule vertu comptable des hommes effectivement arrêtés, déférés devant la justice et éventuellement formellement condamnés.

Une justice discrète

La justice aura été relativement discrète sur tout ce contentieux sanglant qui, sans doute, n’en pouvait mais, liée qu’elle avait pu être par des considérations politiques conjoncturelles. Aujourd’hui encore, la chronique judiciaire, à l’heure où d’anciens responsables de groupes armés jouissent de toutes les libertés, continue d’être celle de « réseaux de soutien » sans doute désormais trop décalés pour susciter de l’intérêt politique ou médiatique. L’Algérie n’aura ainsi pas connu de procès exemplaire de la séquence terroriste qui aurait permis l’exorcisme des peurs, la pédagogie de la sanction et, avant tout, l’établissement indubitable des responsabilités.

Le procès de Tayeb El Afghani -alors dûment couvert par les médias lourds- n’aura eu ni de suite ni d’équivalent et on ne manquera pas de relever, le moment venu, la disproportion entre l’ampleur reconnue des drames et leur prise en charge par les procédures judiciaires, eussent-elles été d’exception. Et ce ne fut pas le cas. Il sera difficile de ne pas mettre, d’une manière ou d’une autre, en question le fait que les principaux chefs terroristes aient alors plus facilement eu le destin de cadavres médiatiques que de prévenus répondant de leurs crimes devant la loi. La problématique de l’amnistie, on peut le constater, ne pourra prendre que peu d’appui sur ce qui aurait dû constituer son terrain de référence, celui de la vérité reconnue, de la chose jugée, de la responsabilité établie.

Que cette situation puisse procéder de choix d’abord politiques ne fait pas de doute et engage les pouvoirs publics et leur gestion, notamment de ce qu’il était convenu de nommer « la donne sécuritaire ».Les actes délictueux commis au nom de la puissance publique font tout autant partie de l’enjeu de la démarche d’amnistie, qui doivent être établis, et se défausser, à ce propos, sur les Patriotes et les formes de résistance civile restera toujours un peu court. De ce point de vue, autant la proximité prudente de la Ligue algérienne que le philo-islamisme de la Ligue de défense des droits de l’Homme privent l’espace public national de l’apport d’outils partout ailleurs efficients. Jamais, à dire vrai, chantier n’aura paru aussi improbable et aussi incontournable que celui de l’amnistie et l’inconnue d’aujourd’hui reste de savoir si le répit concédé sera plus mis à profit par la société pour tenter de décrypter ses douleurs ou par les appareils soucieux de manifester leur allégeance.

Par Chaffik Benhacene, latribune-online.com