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Ces immigrés ruinés par Khalifa

lundi 18 avril 2005, par Stanislas

Des milliers de petits épargnants d’origine algérienne avaient fait confiance à l’homme d’affaires. Lors de la faillite, une partie de leurs avoirs se sont volatilisés et certains ont tout perdu.

Envolés. Plus de 80 000 €. Toutes les économies de la famille Yacine,

Rafik Khalifa.

neuf frères et sœurs, amassées année après année, pour construire la grande maison de leurs rêves en Kabylie. Toute une vie à épargner, pour rien. C’est l’aîné de cette famille d’origine algérienne qui leur avait conseillé d’ouvrir un compte dans une agence de la Khalifa Bank, à Alger, le premier réseau bancaire privé. Ce commercial de 48 ans avait « été impressionné par le sérieux et la modernité de la banque privée, raconte-t-il, la voix étranglée par les larmes. Rien à voir avec la bureaucratie des banques nationales algériennes. Là, on nous proposait une carte de retrait et la possibilité d’effectuer des transferts d’argent vers la France ». Comble de malchance, il a poussé la porte de l’établissement quelques mois avant la faillite retentissante de l’empire Khalifa, le 29 juin 2003.

Une perte moyenne de 50 000 à 60 000 €

Des milliers d’immigrés en France avaient fait confiance au médiatique tycoon algérien Rafik Khalifa et placé tous leurs avoirs en Algérie. « Ils auraient perdu en moyenne entre 50 000 et 60 000 €, chacun, voire dix fois plus pour certains d’entre eux », selon le Collectif des épargnants immigrés, créé en mars dernier. Difficile de recenser la totalité des sommes perdues : peur du fisc, honte, gêne... « On ne comprend pas, alors qu’en décembre 2002 la Banque d’Algérie avait annoncé le gel des avoirs de la banque Khalifa pour cause d’irrégularités comptables, que la surveillance n’ait pas été plus rigoureuse », s’exclame Rachid Rabhi, président du collectif.

Trahis, ces « chibanis » (vieux immigrés) qui avaient écouté l’appel des pouvoirs publics à « revenir investir dans le pays » se trouvent aujourd’hui ruinés : Tahar, qui, lui, avait vendu voiture et appartement pour faire soigner une épouse malade, a perdu ses 16 000 €, déposés dans une banque Khalifa.

Nommé par l’Etat algérien en juin 2003, le liquidateur, a promis de dédommager en... dinars près de 250 000 petits épargnants dont les dépôts ne dépassaient pas 6 000 €. Une misère par rapport aux sommes totales déposées par 1 million de clients.

« Où sont donc passés nos sous ? s’interroge Djamel, un commerçant franco-algérien. J’ai déposé en mars 2003 un chèque certifié de 17 000 € dans une agence Khalifa, qui l’a crédité sur mon compte en une semaine. Quand j’ai voulu récupérer la somme, on m’a dit que l’argent n’était plus dans les caisses. » Pierre Malet, son avocat, découvre avec stupeur que « ce chèque avait été endossé au nom d’une banque française à Paris, avant d’être encaissé à Francfort par la Deutsche Bank ».

Deux poids, deux mesures

Difficile de comprendre comment des avoirs gelés peuvent continuer à circuler. C’est pourtant le cas : selon les bilans comptables de la banque, un document exclusif que L’Express a pu se procurer, sur les 6,5 milliards de dinars (65 millions d’euros) de comptes en devises déposés par la clientèle privée entre le 31 décembre 2002 et le 31 avril 2003, près de 800 millions se sont volatilisés. Certains ont donc pu récupérer leur argent. D’autres, non. Deux poids, deux mesures. Par ailleurs, le même document montre que, durant cette même période, la trésorerie a fondu de 57 milliards de dinars (570 millions d’euros) à 9,9 milliards de dinars (99 millions d’euros).

Enfin, plus étonnant encore, un document confidentiel intitulé « Processus global de la liquidation du groupe », rédigé par l’administrateur, indique que d’anciens cadres dirigeants de Khalifa ont été chargés de gérer la « cellule des liquidations d’actifs ». Peut-on être juge et partie ? Interrogé par L’Express le 5 avril dernier, lors de son séjour à Paris, sur le sort des épargnants immigrés floués, le président algérien Abdelaziz Bouteflika leur a « conseillé de s’adresser à la justice algérienne ».

Aujourd’hui, le collectif demande à l’Etat algérien de les aider et « à Catherine Deneuve, Gérard Depardieu et aux autres stars françaises bénéficiaires des largesses de Rafik Khalifa de les épauler pour qu’ils puissent récupérer une vie de labeur ».

Par Besma Lahouri, lexpress.fr