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Commémoration du 60e anniversaire du débarquement allié

samedi 5 juin 2004, par Hassiba

Dimanche prochain, la France commémorera, en fanfare, le soixantième anniversaire du débarquement allié en Normandie. De nombreux chefs d’État ont été conviés à cette cérémonie : ceux de tous les pays dont les armées ont pris part au débarquement ainsi que le président russe et le chancelier allemand.

Le chef d’État sénégalais devrait également être présent. Seuls les dirigeants maghrébins sont absents de la fête.

Pourtant, selon les estimations des historiens, près de 40 000 soldats morts pour la libération de la France sont des musulmans d’Afrique du Nord. Pour le président du Conseil des démocrates musulmans (CDM), Abderrahmane Dahmane, cet “oubli” est inadmissible. Il appelle Jacques Chirac à réparer ce qu’il qualifie d’injustice. Dans un entretien à Liberté, il explique les raisons qui l’ont conduit à lancer cette initiative. De son côté, l’historien Georges Fleury, affirme qu’il n’y avait pas d’Algériens en Normandie.

Entretien avec Abderrahmane Dahmane, président du Conseil des démocrates musulmans
“Les Algériens doivent réclamer leur part de l’histoire de la libération de la France et l’assumer”

Liberté : À l’occasion de la commémoration du débarquement allié en Normandie, vous dénoncez l’absence de représentants du Maghreb et vous lancez un appel à Jacques Chirac pour réparer cette injustice...
Abderrahmane Dahmane : Mon appel est destiné à tous les négationnistes qui veulent faire disparaître de l’histoire de France le combat de tous les musulmans du Maghreb, particulièrement celui des Algériens. Ces derniers ont d’abord contribué massivement à la libération de l’Italie. Un événement qui allait tout changer. Car, au départ, la France a été exclue du débarquement de Normandie et De Gaulle n’était pas considéré comme le représentant de la France et des Français. Ce n’est qu’à partir du moment où les tirailleurs d’Afrique du Nord et du Sénégal ont libéré l’Italie que De Gaulle est devenu l’interlocuteur officiel des Américains, des Anglais et des Russes. Il est devenu le dirigeant reconnu de la France libre dont la capitale n’était autre qu’Alger.

À quoi est dû cet oubli ?
À partir de 1945, une sorte d’amnésie s’est emparée de l’ensemble des dirigeants français. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. Les Algériens s’étaient impliqués dans ce conflit en échange de la promesse que leur pays allait accéder à leur indépendance une fois la France libérée. Or, cette promesse n’a jamais été tenue. Bien au contraire. Le jour même de la libération, le 8 mai 1945, des milliers d’Algériens ont été massacrés à Sétif, Guelma et Kherrata par l’armée française parce qu’ils ont osé sortir dans la rue pour demander à la France de respecter sa promesse. À partir de là, pour les politiques français, il ne fallait plus parler du rôle joué par les Algériens dans la libération de la France du joug nazi. Mais pour les musulmans de France, cette période de l’histoire est très importante. Surtout aujourd’hui où l’on assiste à une montée en puissance de l’islamophobie et à une marginalisation des musulmans en France. Certains milieux veulent faire disparaître de l’histoire de France cet engagement du peuple maghrébin durant la Seconde Guerre mondiale contre la barbarie nazie.
Ce qui bien sûr donnera raison à tous ceux qui aujourd’hui accusent les musulmans de France d’antisémitisme.

Le président algérien sera présent à Toulon, en août prochain, pour la commémoration du débarquement allié en Provence. Ne s’agit-il pas d’une reconnaissance du rôle joué par les combattants algériens dans la libération de la France ?
Je ne pense pas qu’il s’agit d’une réparation. Si le président algérien, qui est un homme révolutionnaire, voulait défendre la dignité des Algériens, il aurait exigé d’être présent dimanche prochain en Normandie aux côtés des autres chefs d’État. Mais faire venir le président de l’Algérie pour la cérémonie commémorant le débarquement de Toulon, est une façon de dire que les Algériens étaient des combattants de seconde zone. Ce qui est inadmissible.

On a l’impression que le mensonge continue...
Je crois qu’il y a toujours dans certains esprits ce qu’on peut appeler le “complexe du Gaulois toujours vainqueur”. Mais n’oublions pas une chose : le Gaulois a collaboré massivement avec les nazis sous le gouvernement Vichy. Les Algériens ont en revanche répondu à l’appel du général De Gaulle. Le peuple algérien a accueilli avec enthousiasme le débarquement des troupes alliées en Algérie. Ce qui n’a pas été le cas ni en Italie ni en Espagne par exemple.
Mais dans l’esprit de ces “croisés”, dire que les Algériens ont libéré la France est inimaginable. Un tel aveu reviendrait en fait à reconnaître implicitement que l’antisémitisme et la volonté d’exterminer les Juifs sont des idées européennes, nées en Europe. Les musulmans les ont toujours combattues. Et aujourd’hui, certains osent nous qualifier d’antisémites.

Pour les musulmans de France, cette reconnaissance est-elle plus importante à obtenir aujourd’hui qu’il y a dix ou vingt ans ?
En France, nous n’avons pas encore terminé avec la guerre d’Algérie. Il y a toujours ces nostalgiques de l’Algérie française qui essayent toujours de complexer la communauté musulmane. Ils insistent sur les guerres coloniales et tentent de faire disparaître de nos mémoires les autres guerres pour les libertés auxquelles nous avons pris part avec conviction et détermination. Aujourd’hui, ce sont les mêmes théoriciens de l’Algérie française qui développent des idées islamophobes qui se répandent en France. Pour justement contrecarrer ces attaques, nous devons réclamer notre part de l’histoire de la libération de la France et l’assumer. Nous devons dire haut et fort que des musulmans sont morts pour cette France, qui était occupée par les vrais antisémites.

Georges Fleury, historien de la seconde guerre mondiale à Liberté(Auteur des Français du jour J. éditions Perrin.) : “Il n’y avait pas de Maghrébins en Normandie”

Liberté : Certains considèrent l’absence de représentants du Maghreb des festivités de dimanche prochain comme une injustice. Partagez-vous cet avis ?
Georges Fleury : Je crois qu’il ne s’agit pas d’une “absence”. Dimanche prochain, nous fêtons le débarquement allié en Normandie. Le 6 juin 1944, le jour du débarquement, il n’y avait qu’un seul musulman. Et ses compagnons encore vivants ne savent toujours pas s’il était Algérien ou Marocain. Il n’y avait d’ailleurs pas beaucoup de Français ce jour-là : au total, ils n’étaient que 178 soldats. C’est pour cette raison qu’il faut éviter les amalgames. En revanche, je pense que les dirigeants maghrébins devraient être conviés aux festivités du 60e anniversaire du débarquement en Provence, qui auront lieu en août prochain.

Après le débarquement, quel rôle ont joué les combattants maghrébins dans la libération de la France ?
L’Armée d’Afrique, composée de Maghrébins, a joué un rôle très important dans la guerre contre les Allemands. Le rôle de Troisième division d’infanterie (3e DIA) algérienne a été déterminant dans la campagne d’Italie, puis dans le débarquement de Provence en août 1944. Les Algériens se sont d’abord battus avec les Allemands en Tunisie puis en Italie.

Combien d’Algériens sont morts pour libérer la France ?
On estime leur nombre à 4 000. Ce qui constitue un chiffre très important.

Qui sont ces Algériens qui ont accepté de prendre part à cette guerre pour libérer la France ?
Le mot “baroud” est typiquement maghrébin. Et les soldats algériens aimaient le “baroud”. Ils ont donc participé volontairement à la guerre pour combattre les nazis et libérer la France. Il y a des Algériens qui ont choisi l’Allemagne. Mais leur nombre est très faible comparé à celui de ceux qui ont choisi la France. Sur le front, il y avait une union très forte entre les soldats algériens et leurs compagnons français, même s’il y avait un peu de paternalisme de la part de ces derniers. Je lis un texte d’un général français : “les musulmans, ces coriaces, ont eu le cœur chaviré parce que les Français qu’ils venaient de libérer les ont traités comme des soldats français. Eux, qui attachent tant de prix à la politesse, ont été charmés qu’on les appelle monsieur ou qu’on leur dise vous !”. Les Algériens étaient des combattants d’élite. En Alsace, lors de la contre-attaque allemande, la 3e DIA était engagée au-dessus de Strasbourg. Les Français ont capté un message d’un général allemand qui commandait sur place : “Faut-il que la situation à Strasbourg soit jugée grave par le commandement français pour que celui-ci face intervenir une division de choc comme la 3e DIA”.

C’est un véritable hommage rendu aux troupes algériennes par leurs ennemis. Aujourd’hui, je suis ému à chaque fois que je vois toutes les tombes qui portent le croissant musulman.

Pensez-vous qu’on évoque suffisamment le rôle joué par les Algériens dans la libération de la France ?
Dans tous les livres d’histoire en France, on ne cache pas la bravoure du soldat algérien durant la guerre. On dit que les premiers à avoir traversé le Rhin sont des soldats algériens. C’était dans la nuit du 30 au 31 mars 1945, à 3 heures du matin. Ils étaient commandés par le sous-lieutenant Bouda, un Algérien. Donc, l’histoire des combattants algériens est reconnue en France, malgré la cassure provoquée par l’indépendance algérienne.

Par Guemache Lounès, Liberté