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Danger sur le littoral algérien

jeudi 8 juillet 2004, par Hassiba

La côte algérienne mériterait sans nul doute un peu plus d’attention de la part des autorités publiques et des citoyens.
Sur les 487 plages que compte le littoral algérien, 213 sont interdites à la baignade dont la majorité sont fermées pour cause de pollution.

Si les wilayas de Skikda, Tipasa et Jijel ont vécu l’échouage des navires “poubelles”, le nestor-c, cougard, kastor, en 2003, le feuilleton des poissons morts dans le port de Béjaïa durant les années 1980 ou encore la fameuse histoire des potiches de mercure jetées dans les eaux du port d’Alger durant les années 1970, les eaux usées demeurent, elles aussi, l’une des plus grandes catastrophes écologiques. En somme, elles constituent une véritable bombe à retardement.
Le béton a envahi nos plages. Nos baies et nos oueds sont pollués. Ainsi, chaque année, la mer est à l’origine de plusieurs maladies à transmission hydrique, telles que la typhoïde, le choléra, les infections cutanées et les intoxications bactériologiques. Comme ce fut le cas l’été dernier où des milliers d’algériens à travers le littoral ont contracté la conjonctivite. La pollution gagne du terrain. Même les plages autorisées à la baignade ne sont pas totalement propres.
Théoriquement la législation protège la baie algérienne, cependant la réalité est tout autre. Les textes de loi restent inappliqués, puisque sur le terrain rien n’est respecté. Les rejets de déchets émanant des zones industrielles se déversent directement dans la grande bleue. C’est le cas au niveau des baies d’Arzew, de Skikda et de Ghazaouet. Sans parler des déchets des hydrocarbures, source principale de la marée noire émanant des bateaux “poubelles” et les navires de ballastage qui traversent quotidiennement le littoral, comme ce fut le cas à Tipasa, Jijel et skikda.
Les hydrocarbures ne sont pas la seule cause de pollution maritime. Les eaux usées sont considérées la principale cause d’impureté de la côte algérienne. En Algérie, plus de cinq millions de mètres cubes d’eaux usées émanant des foyers domestiques, des usines et des industries ruissellent annuellement dans la mer, sans oublier une quantité importante des eaux déminéralisées découlant des stations d’épuration et oueds. Toute cette eau se meurt dans la nature et porte un sacré coup à l’environnement sans que cette situation suscite une prise de conscience sur les effets secondaires qu’elle peut provoquer sur la faune et la flore.
Le cas le plus édifiant, même si le constat est établi tout le long du littoral, demeure celui de la baie d’Alger. 46 plages sont interdites à la baignade, dont 30 sont fermées par la commission de l’environnement de la wilaya d’Alger pour cause de pollution. D’ailleurs, certains centres de vacances sont carrément fermés par ladite commission. “Nous avons pris la décision de fermer certaines plages, malgré la saison estivale car les analyses relevées se sont révélées positives. Et il est irresponsable de les laisser ouvertes, car un mètre cube de bactéries rejeté dans la mer constitue un danger pour les baigneurs”, déclare le responsable de l’environnement de la wilaya d’Alger. Et d’ajouter : “l’année dernière, nous avons procédé avec la même méthode et nous avons fermé plusieurs plages dont Azur-plage et palm-beach. Maintenant que ces plages sont devenues propres, grâce au projet de déviation des conduites des eaux usées, celles-ci sont désormais autorisées aux estivants.”
“Comment peut-on parler d’hygiène des côtes, lorsque des centaines de collecteurs des eaux usées non traitées se déversent dans la grande bleue, sans oublier les détritus qui sont jetés en vrac. La mer est devenue ainsi une décharge à ciel ouvert”, affirme Hamid Belkessam, responsable du club le Récif, dont le siège est à la commune de Tamenfoust.

Mer polluée : problème de santé
Nombreux sont les familles et les vacanciers venus passer des journées d’été au bord des plages. Selon des recherches scientifiques, la baignade et les sports aquatiques en eau polluée représentent certains risques pour la santé. Néanmoins, les principaux risques lors de la baignade ou bien la pratique d’activités aquatiques sont reliés à la présence de micro-organismes pathogènes, comme les coliformes fécaux, dans l’eau.
Cependant, avaler de l’eau contaminée constitue la principale voie d’exposition à ces micro-organismes. Ceux-ci peuvent aussi pénétrer dans l’organisme par les oreilles, les yeux, le nez ou par une écorchure de la peau. Dans certains cas, le simple contact cutané peut aussi devenir un voie d’exposition, comme ce fut le cas à Mostaganem à l’usine de papier appelée auparavant Sodéjia, dans le quartier de Salamende, où plusieurs personnes ont été contaminées par les produits chimiques, notamment le chlore, déversé par l’usine dans la mer. Cette usine a été fermée suite à cette affaire. Notons, en outre, que certains polluants chimiques, parasites et toxines naturelles peuvent également constituer un danger pour la santé. Les principales sources de contamination maritimes sont les eaux d’égouts, les effluents industriels et écoulements agricoles, les rejets urbains des eaux pluviales, le comportement des baigneurs, les déversements d’huile et d’essence provenant des bateaux à moteur et des marinas, la pollution attribuée aux occupants de bateaux. Cependant, de nombreuses études épidémiologiques internationales ont permis d’observer l’apparition de problèmes de santé lors de la baignade ou de la pratique de sports aquatiques en eau contaminée. Les plus fréquents sont les infections gastro-intestinales, comme la diarrhée, les infections des voies respiratoires supérieures, des yeux, des oreilles, du nez ou de la gorge, de même que les affections cutanées. Les données recueillies par ces études tendent aussi à prouver que les activités entraînant une immersion dans l’eau, telle la nage, comportent plus de risques pour la santé que celles sans immersion.

Station balnéaire de Stidia et la plage de Salamandre
Risque de choléra
Après plusieurs cas de peste enregistrés l’été dernier à la ville de Khailiya, wilaya d’Oran, voilà maintenant que le choléra pointe au site balnéaire de Stidia dans la wilaya de Mostaganem. En effet, des traces de vibrions cholériques de type NAG (non agglutinés) ont été décelées dans le site touristique, suite à des analyses effectuées sur des prélèvements d’eau de baignade par les services de prévention du secteur de la santé.
D’autres analyses effectuées également par les services de la prévention au niveau de la plage de Salamandre, interdite depuis toujours à la baignade, se sont révélées positives.
Selon l’APS, l’inspecteur de l’environnement de la wilaya de Mostaganem a confirmé ces résultats et s’engage à multiplier les prélèvements de contrôle de la qualité des eaux de baignade. Pour le cas de Stidia, a-t-il expliqué, une équipe mixte, composée de représentants de la santé (prévention), de l’environnement et d’élus, était présente samedi sur le rivage de cette localité pour de nouvelles investigations biologiques. Selon lui, cette même équipe procède à une enquête pour situer l’éventuelle source de contamination pouvant être à l’origine de rejets de matières fécales provenant de cabanons bordant cette plage et il suppose que la contamination pourrait provenir du baigneur lui-même.
Signalons enfin que sur 104 km de rivages mostaganémois, aucun collecteur des eaux usées ne se déverse dans la mer.

Une ferme pédagogique pour la protection de l’environnement
“Parce j’ai perdu confiance dans le travail des adultes , je me suis tournée vers les enfants. Car se sont les générations de demain et les futurs protecteurs de l’environnement”, déclare Mme M. Zoulikha, présidente de l’association de propreté, de protection de l’environnement et de la promotion du tourisme.
Elle a décidé de lancer “une ferme pédagogique” pour sensibiliser et informer les futures génération sur le danger de la pollution et la nécessité de préserver leur environnement. Ces enfants participeront à des journées d’étude sur la protection de la faune et de la flore et autres travaux de bénévolat tels que le nettoyage des plages et la sauvegarde du site naturel.

La côte Alger-Oran-Arzew
Saleté, problème de gestion, manque de civisme...
Nos baies sont polluées. Ordures, saletés, sachets, emballages vides, mégots, bris de verre sont étalés le long des plages.
Ainsi la mer est devenue une grande décharge à ciel ouvert.
Le ciel n’est pas tout à fait dégagé mais il bruine et il fait une chaleur d’enfer en ce premier jeudi du mois de juillet. Direction, les plages de Raïs Hamidou et les criques de Hammamet à Alger, où la majorité des jeunes de Bab El-Oued, comme de coutume, viennent se rafraîchir dans les eaux boueuses de la commune de Bologhine.
La majorité de ces plages sont fermées sur décision de la commission de l’environnement de la wilaya d’Alger pour cause de pollution car un collecteur recueillant les eaux usées des quartiers de la commune se déverse directement dans les petites criques. Juste à l’entrée de la plage de Hammamet, une grande pancarte annonce déjà la couleur : “Plage interdite à la baignade. Danger, eau polluée.” Cependant, l’interdiction ne semble pas dissuader cette nuée d’enfants et de jeunes du quartier, et même ceux des alentours, de venir se barbouiller dans l’eau et profiter des chaudes journées d’été. “Nos enfant ne comprennent pas pourquoi leur plage est interdite à la baignade. Il fait chaud, ils sont en vacances, la plage est à deux pas, rien donc ne les retient. J’ai beau expliquer à mes gosses que les plages de cette commune sont polluées et que, par conséquent, ils risquent de contracter des maladies, il n’y a rien à faire. Ils descendent à la mer malgré moi. C’est pour cela d’ailleurs que je préfère les accompagner pour les surveiller”, affirme une mère de famille, la quarantaine consommée.
Mais en dépit de la pollution, ces plages de la côte algéroise ont gardé tout leur charme. À quelques kilomètres à l’est, à l’opposé de Hammamet, la plage de la commune de Tamenfoust - appelé auparavant La Pérouse - invite à l’immortaliser dans une pellicule. Sise en contrebas d’un superbe site historique de l’époque romaine, la plage de la ville est plutôt agréable à la vue. Une ambiance de vacances y règne déjà. La mer est calme, l’eau est légèrement froide et des familles entières lézardent au soleil pendant que les jeunes s’adonnent aux sports nautiques tels que la planche à voile et la plongée sous-marine. Il paraît qu’ici, la plage n’est pas polluée et l’eau est propre ! nous a-t-on du moins répété dès notre arrivée sur les lieux. Pourtant, à notre grand étonnement, celle-ci se trouve entre une plage interdite à la baignade pour cause de déversement des eaux usées et un port de pêche tout aussi pollué. “En plus des eaux usées, des détritus et des objets de toutes sortes, allant des bouteilles en plastique aux barres de fer, en passant par les pneus, les jantes et les batteries jonchent les fond de la baie de Tamenfoust”, raconte un plongeur, habitué des lieux.

Oran, le paradis perdu
Ce désastre écologique n’est pourtant pas perceptible uniquement sur les plages algéroises. Oran, la grande métropole de l’Ouest, n’est pas non plus à l’abri. Cette ville qu’il faut gagner après une heure de vol, apparaît du ciel sublime. Pourtant le plancher des vaches réserve bien des surprises... Il est 9 heures lorsque l’avion atterrit sur le tarmac de l’aéroport d’Es Senia. Direction Aïn Turck. Arrivés en fin de matinée, nous surprenons trois commerçants affairés à nettoyer, autant que faire se peut, la plage appelée Beau-Séjour. Munis de pelles et de sachets, ils tentent tant bien que mal de ramasser les détritus qui jonchent la plage. Il est vrai que la tâche paraît ardue en raison du manque de civisme de certains estivants : sachets, emballages vides, mégots et bris de verre rendent la marche pied nu dans le sable dangereuse.
Derrière le poste de surveillance de la Protection civile déserté depuis des années se trouve une station de relevage des eaux usées. Cette station emploie deux travailleurs dont Kadour, responsable de la pompe. “Cette plage est devenue propre depuis la réouverture de la station de pompage. Aujourd’hui aucune eau usée n’est déversée dans la plage”, affirme-t-il. Après une visite guidée dans la station, il nous explique que toutes les eaux usées de la commune de Aïn Turck passent par cette station de pompage, puis elles sont déversées dans un bassin de décantation implanté à cap Falcon, où l’évaporation se fait de manière naturelle. “Pour cette année nous sommes contraints de faire fonctionner les deux pompes, bien que l’an dernier une seul avait suffi. Le recours à la deuxième pompe est motivé par l’augmentation de la population dans cette commune et des constructions illicites”, ajoute-il.
La plage Beau-Séjour est immense, au sable fin. Une brise marine rafraîchit l’atmosphère augurant une journée moins caniculaire que la précédente. La foule commence à affluer de tous les coins en ce long week-end. Des familles s’installent au fur et à mesure de leur arrivée et les enfants s’empressent pour “piquer une tête”. Tout paraît normal et on aurait même dit qu’elle fait partie de ces plages qu’on voit dans les magazines. Pourtant, à quelques mètres, une autre réalité : des eaux usées dont la couleur est noirâtre sortent d’un énorme collecteur et se déversent dans la mer, et dans lesquelles des petites filles dont l’âge ne dépasse pas les huit ans barbouillent. Interrogés sur les risques de contraction de maladies, les parents des petites filles expliquent : “Nous n’avons pas de véhicules pour prendre nos gosses aux plages de la périphérie de la ville. Bien sûr, il y a des plages propres comme celles réservées à une certaine classe sociale. Mais vous conviendrez avec moi qu’il n’est pas aisé de se payer le luxe de ces lieux”, déclare un parent avant d’ajouter : “D’habitude, cette plage est relativement propre. Il est vrai que de temps en temps, il y a des reflux de ce genre mais je ne pense pas que quelques heures de nage pourraient causer des maladies à mes gosses.” Pour plus d’informations, nous sommes repartis à la station de relevage. Kadour nous explique que c’est un problème technique. “Je suis obligé d’arrêter la pompe, car il y a un grand problème technique. Et je risque d’aggraver cette panne si je la fais marcher à longueur de journée”, affirme-t-il. En attendant la réparation de la panne, les plaisanciers ont passé leur journée dans l’eau trouble.

Autre forme de pollution
Nous avons quitté Aïn Turk pour la ville d’Arzew, l’une des plus belles villes d’Oran, connue autrefois pour sa pêche abondante de crustacés et fruits de mer. Mais malheureusement tout a disparu, il ne reste plus que les vieux souvenirs. Les trois quarts des plages d’Arzew sont, aujourd’hui, pollués par les eaux usées, d’une part et les rejets des déchets de la zone industrielle, d’autre part. Du mausolée de Sidi Abdelkader, endroit le plus haut de la ville, on aperçoit l’éternelle torche de la raffinerie de la zone industrielle avec ses usines qui rejettent quotidiennement des milliers de mètres cubes de déchets dans l’oued El Mahgoune - dont l’odeur est pire que celle de l’oued El-Harrach - qui se déverse directement dans le port. D’ailleurs le bleu de la mer a viré à une couleur jaunâtre et on remarque même l’impureté de l’eau avec ces galettes de fuel qui flottent sur la surface, lâchées par les ballastages des navires. “Des milliers de mètres cubes de déchets industriels sont déversés dans l’eau de Oued El-Mahgoune. Ça va du plan au fuel, en passant par l’ammoniac et autres produits chimiques, jusqu’aux déchets indissolubles. D’ailleurs, aucune faune et flore n’existe sur les rives de la zone industrielle, même pas les oursins”, s’indigne un pêcheur. Et d’ajouter : “Il est malheureux d’habiter une ville côtière sans pouvoir profiter de la mer ni de la pêche.”
Concernant le projet de la station de dépollution et celui du traitement des déchets, le président de l’APC d’Arzew déclare : “Bien sûr, il y a eu des projets de traitement des déchets et d’installation d’une station de dépollution, qui datent des année 1970, mais rien n’a été fait jusqu’à aujourd’hui, même pas une station de relevage des eaux usées et des eaux pluviales.”
Notons, par ailleurs, que l’Oued Tlilette, dans la région oranaise, souffre du même problème, car plusieurs déchets sont déversés dans cet oued par des usines, telles que la société Coca-Cola.
“Nous avons pris des résolutions contre ces usines. D’ailleurs, Coca-cola est en train d’installer une station d’épuration pour résoudre le problème du déversement de ses déchets dans l’oued Tlilette”, déclare un responsable de l’environnement de la ville d’Oran.

Des projets qui tardent à être réalisés
Le ministère de l’Environnement, en partenariat avec les autres ministères, tels que ceux des Ressources en eaux et du Tourisme, a décidé de faire la guerre aux pollueurs en lançant une série de projets dont certains datent des années 1970, pour la dépollution et la protection de l’environnement. Parmi ces projets, l’installation des stations de pompage, de dépollution et de traitement des eaux, le projet de déviation des déversements des eaux usées.
Près de 60% des stations d’épuration sur le territoire national ne sont pas fonctionnelles, et ce, pour des raisons techniques ou financières. Dans certaines villes, les stations de pompage et de dépollution, comme c’est le cas de la ville d’Arzew, ne sont qu’un vague projet qui date de l’ère du parti unique. La non-concrétisation de ces projets ont fait que les autorités se sont rabattues sur des solutions temporaires et, malheureusement, le provisoire devient monnaie courante dans les esprits de nos responsables qui s’illustrent par leur fuite en avant et se cachent derrière des projets fictifs. À titre d’exemple, à défaut de station de dépollution, les pompes ou les stations de relevage rejettent les eaux usées directement dans des plages et criques inaccessibles, des bassins de décantation, des fosses septiques ou des sabkhas comme c’est le cas à Oran, sans mesurer les effets sur l’environnement, tels que la contamination des plages propres ainsi que des nappes phréatiques.
Autre projet qui n’est pas encore appliqué : la fiscalité environnementale, prévue dans la loi de finances 2002 et qui sera appliquée normalement à partir de 2005.
Ce projet consiste de mettre en place des taxes sur les ordures ménagères, sur le déstockage des déchets industriels et hospitaliers et sur la consommation de carburant. Signalons que le recouvrement annuel de la taxe est fixé entre 500 et 1000 dinars par ménage et c’est au président de l’APC de fixer le montant de cette taxe.
Par ailleurs, les communes disposent d’un délai de 3 ans - dont deux ans se sont déjà écoulées ! - pour procéder au recouvrement intégral de cette taxe en coordination avec les impôts et les inspecteurs de l’environnement.
En attendant l’application de ces textes et la concrétisation de ces projets, seules la faune et la flore pourront témoigner de la triste vérité lorsqu’on les trouvera mortes, flottant sur la surface des eaux polluées.

Par Nabila Afroun, Liberté