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Des agences de l’Emploi du sud défendent leur cause

Esclavagisme », boucs émissaires et dossiers ouverts

mardi 16 mars 2004, par Hassiba

Il aura fallu attendre les violentes émeutes d’Adrar et la dénonciation directe de la « ségrégation professionnelle » par des centaines de chômeurs, pour que le voile soit levé sur la réalité des agences d’emploi au sud et pour que le gouvernement réagisse en décidant leur gel brutal.

Une inculpation que des agences de « placement de travailleurs » estiment être sommaire, hâtive et simplement politique.

Et s’il faut interroger d’abord les « victimes » de ces structures à la dénomination imprécise - agences d’emploi, de sous-traitances ou d’intérim ? -, dans les vastes zones pétrolières du sud, pour connaître l’utilité de ce gel, les Algériens auront au moins gagné un éclairage sur le mode de fonctionnement de ces agences, leurs « marges » et leurs recettes. Il y a presque un air de tabou cassé autour de ce dossier qui fut longtemps rangé dans la case des eaux troubles où il était presque difficile d’enquêter, de s’introduire ou d’en déchiffrer les réseaux et les « propriétaires ».
Une culture de faux monopole clandestin que l’opinion populaire et la vaste armée de chômeurs algériens, du nord ou du sud, résument comme suit : le quart du salaire est pour vous, le reste pour l’intermédiaire et personne ne dit mot au client « international » ou local qui ferme les yeux sur la marchandise. Le cas ne serait même pas propre à l’Algérie mais presque à tous les pays exportateurs d’hydrocarbures où des populations de candidats à l’emploi, dans les marges closes des multinationales de l’or noir, connaissent la règle du jeu, s’en accommodent faute de mieux et de protection. Peu d’écrits journalistiques seront consacrés à ce créneau en Algérie, tant il est difficile de pénétrer ces zones sans se faire piéger par les fameuses « autorisations Sud » et les prises en charges très serrées dans des circuits touristiques concoctés par les responsables de ce secteur. L’on n’en connaîtra presque jamais plus que ce que peut raconter un « rescapé » de ces contrats sans règles, la rumeur aidant.

Il aura fallu donc attendre un cycle répétitif et sur un calendrier de plus en plus serré des émeutes de chômeurs locaux, dénonçant les recrutements sélectifs, pour que le cas de ces agences d’emploi fasse l’objet d’une brusque attention du gouvernement. Crainte de débordements plus massifs, cadeau d’un climat électoraliste à l’approche des présidentielles, ou réponse à une « urgence politique », et juste après la visite cahoteuse de Bouteflika à Ouargla, le Conseil de gouvernement décidera, début mars, le gel pur et simple de ces agences, dites de placement de travailleurs, comme première mesure. La « réponse » sera accompagnée par l’annonce de plusieurs autres mesures d’accompagnement, comme l’élaboration d’un texte abrogeant la réglementation ayant permis l’apparition de ces agences « sans aucun ancrage juridique », la mise en branle des inspections du travail pour la constitution de dossiers relatifs à la violation de la législation du travail par ces opérateurs, en attendant les procès éventuels, la réactivation de l’Agence nationale de l’emploi (ANEM) dans les wilayas du sud et re-monopolisation des recrutements au profit de cette seule agence publique en priorisant les demandes « locales ». Une batterie de mesures qui offrait le spectacle d’une prise en charge prompte et réelle de ce dossier en attendant la suite.

Alors dossiers clos ?

Non, répondent des agences d’emploi qui tiennent à l’enseigne de « agences d’intérim ». Dans une longue lettre ouverte au chef de gouvernement, une mise au point très explicative sur les pratiques de ce secteur, ses difficultés, ses fortunes et ses misères, celles-ci concluent finalement qu’elles font plus l’objet d’un règlement « politique » que celui d’une solution qui cherche une bonne politique pour ce créneau très discret. Pour une fois, le dossier est ouvert de l’intérieur et les accusations d’esclavagisme, de travail au noir et de la « traite des chômeurs » sont reportées sur une autre famille d’agences d’emploi et « d’opérateurs peu scrupuleux de la légalité et de la morale (...) connus sur la place publique », selon cette mise au point. « Pourquoi les compagnies de catering, de gardiennage, de constructions métalliques ou autres, ne sont-elles pas inquiétées ? », s’interrogent les auteurs de cette lettre. « Pourtant, elles font de la mise à disposition du personnel en réalité, le client n’a aucun droit de regard ni de contrôle sur les salaires versés au personnel, les salaires qu’elles versent aux employés sont en deçà de la moyenne nationale, les employés n’ont pas de congés de récupération payés (ils travaillent parfois 08 mois d’affilée sans un jour de congé à cause de cela, et parfois jusqu’à 18 heures par jour)...etc. ». Le tableau de cet enfer brièvement entrouvert, on le doit, selon les signataires de cette lettre, d’abord à une sorte de laxisme public et à une pratique largement admise par les sociétés clientes nationales ou internationales. L’explication est simple, « c’est le choix du moins disant systématiquement adopté par certaines compagnies nationales aussi bien qu’étrangères qui a engendré un véritable bradage des prix ».

S’estimant lésé parce que « puni » dans le tas par la décision de gel du gouvernement, ce groupe d’agences qui réclame « la séparation du bon grain de l’ivraie », dénonce par ailleurs le manque d’écoute des agences locales de l’emploi (ALEM) qui ne répondent pas « à des besoins en recrutement dans les délais imposés par la nature de l’activité de la région », en l’absence d’une banque de données « portant la liste des candidats à des postes de travail ». « Ce n’est donc pas nous qui refusons de coopérer », affirment les signataires qui soutiennent attendre une réglementation de leur activité par le ministère du Travail depuis 4 ans déjà.

A propos des bénéfices par « tête »

Pour le reste des « détails » de ce dossier, les signataires plaident leur cause en étalant l’ensemble des mesures et des règles qu’ils affirment organiser leur activité. Les salaires qui varient entre « 25.000 DA au minimum pour un agent de nettoyage à 600.000 DA par mois pour un haut responsable », sont vérifiables sur des fiches de paies « dictées » par le client auprès duquel est placé l’employé. Le système des récupérations obéit à un calendrier précis (4 semaines de travail pour 4 semaines de récupération) et, « à la demande de certains clients, nos factures sont accompagnées des journaux de paie et copie de déclarations CNAS et G50 ». Contre la facture d’une prise en charge totale de l’employé (formalités d’embauche, billetterie, restauration et hébergement lors du transit, visites médicales, suivi du personnel, transport par routes... etc.), ce groupe d’agences soutient que la marge des bénéfices n’est pas aussi mirobolante qu’on le croit, du moins pour leur cas : « la marge nette moyenne que nous dégageons par employé et par mois est de 6.000 DA, laquelle marge sera imposée à l’IRG et par la CASNOS (près de 40%) », selon les auteurs de cette lettre qui ajoutent que « les faits et les chiffres avancés ci-dessus sont vérifiables à n’importe quel moment ».

L’autre argument de poids de cette lettre est économique. Pour les signataires de la mise au point, « la dissolution des agences de placement, outre le préjudice fait à celles-ci - majoritaires - (...), ne manquera pas d’entraîner une diminution des salaires et (...) une suppression massive des postes d’emploi par l’utilisateur ». Le recrutement direct n’étant pas rentable, explique-t-on, pour les entreprises, la conséquence sera des chiffres de chômage plus importants. Ceci sans parler des personnels étrangers des compagnies étrangères qui sont « en grande partie employés par le biais d’agences d’intérim étrangères (Manpower service compagnies) ».

Kamel DAOUD, Le quotidien d’Oran