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Evangélisation en Kabylie : Où est le mal ?

mercredi 4 août 2004, par Hassiba

Le débat sur la résurrection du christianisme en Kabylie est lancé depuis un certain temps et il est utile qu’on en parle pour ne pas laisser la parole à certaines personnes qui, le moins qu’on puisse dire, informent le public avec une partialité déclarée.

Ce sont de véritables boutefeux. En effet, c’est par l’intermédiaire d’un journal que l’information est parue à la une avec un accent alarmiste, sur cette renaissance présentée comme un danger national, à tel point que la déclaration de Constantine en a rajouté, croyant bien faire pour, sans doute, mobiliser l’opinion qui semble avoir d’autres soucis. Heureusement que l’apaisement vint du ministre des Affaires religieuses et des Waqfs qui rappela tout simplement l’élémentaire principe de l’Islam : point de contrainte dans la religion. Ce n’est pas souvent que l’occasion de féliciter un ministre se présente. Mais pour ce cas précis, la célérité de sa réponse nous oblige à lui rendre hommage. Avant de poursuivre le débat sur le présent, un peu d’histoire ne ferait pas de mal à mes compatriotes, car notre passé n’est ni enseigné ni diffusé dans notre Unique. Bien avant l’avènement de l’Islam, le christianisme était fortement implanté au Maghreb. Dès la fin du deuxième siècle, le monde entier apprenait l’existence de cette religion dans notre pays. C’est par un acte de martyrs que le christianisme s’était révélé au monde. En effet, l’empire romain qui dominait le pays était polythéiste et pourchassait impitoyablement les chrétiens de plus en plus nombreux, car les Berbères haïssaient l’occupant et ne voulaient pas prier les mêmes dieux que lui. Ils détestaient tout ce qui représentait Rome, notamment sa langue et sa culture. Alors, ils adoptèrent en masse cette religion devenue une arme contre l’envahisseur. La haine de l’occupant n’était pas la seule cause de l’évangélisation des Berbères. Il y avait également le message qui était, à cette époque, séduisant ; les religions du livre ont toutes attiré les païens car véhiculant plus d’humanité et de justice sociale.

Quel était le nombre de chrétiens au Maghreb ? Il n’a pas été facile de déterminer, mais on a dénombré plus de 400 évêchés et chaque concile réunissait jusqu’à 500 évêques tous numides et cela, au troisième siècle de l’ère chrétienne. Plus la persécution augmentait pour obliger les fidèles à apostasier plus importantes étaient les conversions au christianisme. Le Maghreb a donné à l’église catholique 4 papes et un nombre important de théologiens dont Tertullien considéré comme le précurseur de la théologie occidentale, St Cyprien mort en martyr dont les reliques reposent dans la cathédrale d’Aix-la-Chapelle, Donat, l’ennemi juré des Romains et Augustin.

Rejet des symboles du pouvoir
Il faut également souligner que le combat anticolonial s’est fait également sous les morts d’ordre religieux. Les Maghrébins ruinés dont beaucoup étaient réduits à l’esclavage se sont révoltés sous la bannière du Christ pour porter de coups sévères à l’occupant. Ils parcouraient les campagnes pourchassant les Latifundios et portant secours aux faibles. Leurs ennemis les désignaient par le titre peu flatteur de circoncellious (rôdeurs de celliers). Les circoncellious se disaient soldats de Jésus luttant contre le diable. Il allaient aux combats en criant des « Gloire à Dieu ». Et pourtant, ce christianisme florissant a disparu quelque temps après l’arrivée des Arabes. Mais il ne faut pas attribuer cette mort aux nouveaux occupants car, si c’était le cas, les chrétiens du Moyen-Orient auraient subi le même sort. La cause de leur disparition est probablement liée au peu d’intérêt porté à l’église à partir du moment où elle devenait l’alliée de l’empire qui en fit sa religion officielle à partir de 314. L’église maghrébine, qui était nationaliste sous l’impulsion de l’évêque Donat, était persécutée par Rome tandis que l’autre partie des catholiques collaborait avec l’occupant. Plus le temps passait et plus le fossé se creusait entre les deux églises. Celle de Donat priant en berbère ou phénico-libyque et l’autre en latin, langue officielle de l’empire. Le Berbère fier et rebelle n’a jamais admis qu’on touche à sa liberté. Aujourd’hui encore, il déteste tous ceux qui collaborent avec un pouvoir dictatorial. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Kabylie où des jeunes s’opposent farouchement à un pouvoir qui les marginalise et renie leur identité qui est en fait celle de tous les Maghrébins. Ils rejettent par conséquent, comme au temps des Romains, les symboles du pouvoir. Certains jeunes Kabyles ont librement choisi la foi chrétienne. Où est le mal ? C’est une religion du livre. Chaque vendredi, nos imams prêchent la tolérance envers les autres religions du livre. Aïssa et Moussa sont régulièrement cités. Nous fêtons même la Achoura qui est une victoire de Moïse sur les Pharaons. Si nous voulons être en harmonie avec l’enseignement religieux, il faut plutôt saluer cette résurrection qui apporte aux jeunes désespérés un peu d’espoirs. Il ne faut pas oublier que la Kabylie détient le record des suicides de jeunes.

Cependant, les révélations de Saâd Lounès parues dans El Watan sont graves, car elles démontrent la manipulation des sentiments religieux sincères par les Américains et leurs chapelles idéologiques destinées à mieux faire accepter la domination US. S’agissant d’une démarche américaine, ce n’est plus une religion libératrice mais une religion au service de l’empire du couchant (soleil). Mais ce pays ne gagnera jamais le cœur des peuples du tiers-monde nouvellement appelés par euphémisme pays « émergents ». D’ailleurs, ce n’est pas leur objectif. Ce qu’ils font, c’est diviser les communautés d’un même peuple comme ils le font aujourd’hui en Irak pour affaiblir le pays et le neutraliser ou imposer des dictateurs. Et si un gouvernement est démocratiquement élu, alors la CIA intervient comme elle l’a fait au Chili et aujourd’hui encore elle tente de déstabiliser le Venezuela. L’empire US a été à la bonne école romaine. Souvenons-nous de ces vassaux installés au Maghreb découpé en tranches par les soins de l’empire. A leur tête, il y avait Bocchus, à l’Ouest et la dynastie de Juba au Centre. Rappelons pour l’histoire que Bocchus avait trahi Jughurta pourtant son gendre, de même que Tacfarinas était combattu à la fois par l’armée de Rome et celle de Ptolémée. L’Amérique agit aujourd’hui de la même manière : elle déstabilise et agresse les peuples du tiers-monde. Par conséquent, tout ce qui émane de ce pays est à rejeter. Par contre, notre passé est assez riche en hommes que nos jeunes devraient découvrir. Ils n’ont pas besoin d’évangélistes venus d’Amérique. Citons un grand homme, Donat qui combattit l’empire et souhaitait une église maghrébine indépendante de Rome. Il fait partie de ces hommes à découvrir pour en faire éventuellement un modèle, car il était le parfait portrait du Berbère : fier et rebelle. Reste à savoir par quels moyens pédagogiques les jeunes Algériens se plongeront dans leur histoire lointaine ?

Par Yahia Debboub
Réalisateur, El Watan