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Hafnaoui Ghoul : Un mois de plus... en attendant la suite

mercredi 11 août 2004, par Hassiba

Soumia, la petite fille frêle, très charmante, a été habillée le matin de bonne heure par sa maman qui lui a coiffé ses cheveux lisses et légers telle la crinière d’une jeune pouliche de la race des pur-sang.

Elle est venue assister au procès de son père, Hafnaoui Ghoul, qui comparaît pour la énième fois pour le même motif : « diffamation ». Mais cette fois-ci, le procès a été provoqué par lui. Il devait avoir lieu fin juillet, à la demande de son avocat, Me Kaddouri, mais a été renvoyé pour ce début août. L’affaire vient donc, encore une fois, d’être ajournée par la présidente de la section parce qu’elle venait de rentrer de congé et ne pouvait statuer sur un dossier qu’elle n’a pas encore étudié.

A cette séance, tous les médias sont présents. Même le SNJ, le syndicat des journalistes, est représenté par son délégué régional, contrairement au procès du 2 août où seul La Nouvelle République avait couvert l’événement.
Les confrères commentent la chronique parue dans Echourouq et signée S. Djouadi, ex-directeur de la culture à Djelfa, actuellement affecté à El-Tarf. Djouadi y présente Hafnaoui Ghoul comme « un rebelle qui ne peut se taire devant les problèmes du peuple, au point d’être impulsif et maladroit parfois ». Il révèle qu’il l’a souvent conseillé de mettre de l’eau dans son vin et qu’au bout du compte, ceux qui l’ont incarcéré ont commis une erreur parce que, aujourd’hui, Hafnaoui Ghoul est devenu à la fois un symbole et un ogre.

La première impression qui se dégageait est que cette analyse fait l’unanimité chez les observateurs présents au procès, mais des citoyens susurrent le contraire. Parmi eux, il y a ceux qui se disent heureux de voir Hafnaoui Ghoul terminer sa course derrière les barreaux. Bien sûr, cela ne reflète pas l’avis général et se limite à des personnes qui ont eu affaire à Hafnaoui en tant que représentant local de la LADDH.

Le box des accusés ne pouvait contenir tous les prévenus ramenés de la prison de Djelfa. Certains, dont Ghoul Hafnaoui, ont été invités à prendre place sur les bancs réservés aux policiers et aux avocats de la défense. Une question continue de tarauder les citoyens venus assister au procès : Ghoul Hafnaoui est-il jugé pour un délit de presse ou un délit de droit commun ? Ghoul, en vrai tribun, doit répondre aux questions de la présidente. Il ne marque jamais un temps de réflexion, il répond du tac au tac, il se défend bien et s’oublie parfois au point que ses avocats le rappellent à l’ordre.

Les interventions de l’avocat de la partie civile sont plus courtes que d’habitude. Tout précis qu’il est, il n’en manque pas moins le coche. Il provoque Ghoul en lui attribuant le titre d’un article paru dans un journal arabophone, « Un procès carnaval ». Pour lui, Ghoul ne respecte pas la justice. Hafnaoui Ghoul répond, comme à l’accoutumée, sans se retenir : « Ce n’est pas moi qui ai écrit cela, je suis en prison et vous essayez de me coller n’importe quoi ! »

La présidente remet de l’ordre et l’avocat de la partie civile s’en prend à la presse en donnant des exemples disant que cette dernière doit être responsable et ne doit écrire que les belles choses...

Lors de ce procès, les trois avocats de Ghoul Hafnaoui étaient présents contrairement au procès du 2 août où seul Me Kaddouri était là pour le représenter. Me Ahmine, qui s’est déplacé de Laghouat pour défendre son confrère de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, axe sa plaidoirie sur les vices de forme entre le flagrant délit et le placement en détention préventive. Il évoque les articles 59 et 60 du code de procédure pénale. Son long discours étayé par plusieurs exemples était destiné beaucoup plus aux citoyens venus assister, revenant parfois vers les magistrats.

Quant à Me Ahmed Triki, il relève d’une manière très pragmatique la similitude de tous les griefs reprochés à Ghoul Hafnaoui et que ce qui a été publié par El Djazaïr News est la traduction fidèle d’articles parus dans Le Soir d’Algérie et d’autres médias. Enfin, il dira en substance que ce sont les mêmes motifs, les mêmes parties et les mêmes chefs d’accusation. Il invitera d’une manière très diplomatique et à demi-mots la présidente et ses assesseurs à réfléchir à ce sujet et à ne prendre de décision autre que celle de l’acquittement pur et simple car, ajoutera-t-il, Ghoul Hafnaoui a été condamné lourdement pour le même chef d’accusation et le même contenu de l’interview.
Quant à Me Kaddouri, d’une manière aussi efficace que ses prédécesseurs, il s’est attelé à démonter toute la plaidoirie de la partie civile, s’accrochant à l’exemple des Etats-Unis qui ont décidé de fermer les locaux de la chaîne Al Jazeera dans un pays arabe.

Il rappellera tout en faisant le parallèle avec ce qui se passe dans tout pays arabe que c’est facile de trouver des arguments pour faire taire une voix, alors que les USA ne pourront jamais fermer CNN et que ce sont des journalistes qui ont mis au jour l’affaire du Watergate. Un des confrères, non convaincu, me dira plus tard : « Cet avocat ne connaît que la partie apparente de la démocratie américaine. » Me Kaddouri a retenu l’attention des magistrats auxquels il finira, après une longue plaidoirie, par demander l’acquittement pur et simple tout en les invitant à prendre leur décision en leur âme et conscience.
Le procureur général adjoint, le sourire aux lèvres en guise de salut lorsque son regard a croisé celui de Hafnaoui Ghoul, a rétabli une certaine confiance chez sa famille et ceux qui sont venus assister. Il y avait deux personnes dans salle respectées et par les « clients » et par les citoyens : le PGA et la présidente. Lors du procès, leurs gestes, grimaces et attitudes sont jugés au détail près et commentés par des simples regards échangés entre les présents.

Dans son réquisitoire, malgré sa mime et son index pointé sur l’accusé, le représentant du ministère public restera une personne respectée et crainte en même temps. Dans son réquisitoire donc, il a laissé transparaître un peu d’indulgence envers H. Ghoul tout en défendant la société. Ce qu’il a requis ne collait pas avec son réquisitoire.
Les magistrats du siège quittent la salle d’audience pour délibérer et les présents et la presse sont invités par l’officier de police de quitter la salle d’audience, mais en laissant Soumia gambader entre les bancs et s’asseoir un temps sur les genoux de son père Hafnaoui qui la serre très fort dans ses bras. Tous les autres prévenus voulaient l’embrasser, certains les larmes aux yeux, regrettant certainement cette situation qui les sépare de leurs enfants. Les portes se ferment. On a compris alors le geste pédagogique de l’officier de police : ce n’était pas tant une faveur pour Ghoul Hafnaoui, mais un rappel à ces jeunes et moins jeunes qu’ils appartiennent à une société qui a besoin d’eux.

Devant le perron du palais de justice, des petits groupes se forment, une grande partie des citoyens venus assister au procès traverse la rue qui pour s’asseoir, qui pour s’adosser au mur sous l’ombre, qui pour fumer une cigarette... Les plaidoiries sont commentées, les parents des autres prévenus évoquent avec beaucoup d’admiration les avocats de Hafnaoui Ghoul.

Après 40 minutes d’attente, nous sommes invités à rejoindre la salle.

Le ministère public et le greffier sont à leurs places, la présidente entre suivie de ses deux assesseurs. Tout le monde se lève et s’assied à sa demande. Tous ses gestes sont scrutés par les présents, les prévenus compris. Elle parle à voix basse. Me Ahmine se rapproche pour prendre connaissance de la décision prise. En prononçant les verdicts, toute l’assistance suivait les gestes de la magistrate du siège qui remettait les dossiers devant l’assesseur assis à gauche qui, à son tour, faisait l’effort de les remettre en place l’un au-dessus de l’autre. Les citoyens et les correspondants de presse mettent la main derrière l’oreille comme pour décrypter les verdicts. A la fin, celui concernant Ghoul Hafnaoui tombe. Nous n’avons capté que « irtifaâ el ouqouba » (aggravation de la peine). C’est Me Triki Ahmed qui informe les parents et les correspondants du verdict : 3 mois de prison avec le maintien du montant de l’amende et des dommages-intérêts. Il explique au père de son client que son enfant sera libéré à la fin du mois à condition que le jugement soit définitif. Un sourire apparaît sous sa grande moustache noire.

En ce moment, Soumia est autorisée à embrasser son père encore une fois, en attendant qu’il rentre définitivement chez lui.

Une question reste posée : les médias et les organisations ont-ils réellement défendu Hafnaoui Ghoul ? Cette question s’impose d’elle-même car en dehors du premier procès, plus aucun représentant des éditeurs ni journaliste dépêché. Ni Ali Yahia Abdenour ni aucun autre membre de la LADDH en dehors de Me Ahmine n’étaient été présents. Un beau jour, nous avons été accostés par un citoyen qui nous a fait la remarque suivante : « Ecoutez, vous n’êtes pas justes, vous vous faites les défendeurs de Ghoul mais avec partialité, sans donner l’occasion aux autres parties de s’exprimer. » Quelles sont les autres parties ? « Le wali qui est mis en cause dans les interviews et déclarations de Hafnaoui Ghoul. »

Il est nécessaire de rappeler qu’à Djelfa, il n’y a pas de cellule de communication et que les correpondants de presse ont à plusieurs reprises émis le vœux d’interviewer le wali, le chef du cabinet répondant toujours par la négative. Donc, de ce côté, les correspondants et les journalistes accrédités à Djelfa n’ont rien à se reprocher.
L’autre question qui revient à l’esprit est de savoir si les dommages-intérêts en plus de l’amende dont le montant dépasse les 700 000 dinars seront payés par Ghoul. Sera-t-il réincarcéré en vertu de la contrainte corporelle ?

Par Djillali Harfouche, La Nouvelle République