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Hassi Messaoud, capitale de l’habitat précaire

mercredi 14 juillet 2004, par Hassiba

Aux pieds des pipelines se trouvent pas moins de huit bidonvilles recensés par les services de la daïra et de l’APC. Bzim Dahraoui, Bouamama, Irara, 24 Février, Haoudh El Hamra, Hassi El Bakra, Gassi Touil et Toumiat, tels sont les noms de la malédiction de Hassi.

Selon le recensement officiel, trois campagnes menées en trois ans, elles sont 392 familles, quelque 3000 âmes, à habiter dans des baraques en fer ou en bois de récupération. Leur nombre a sensiblement augmenté durant l’année 2004 où des chercheurs de travail, venus s’installer dans le coin, grossissent les rangs des « bidonvillards » depuis janvier au vu et au su des autorités.

Et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Si on exclut les pétroliers et leur famille qui bénéficient de logements de fonction ou résident dans des bases de vie, les rapports officiels révèlent une concentration de plus du tiers de la population résidente dans les quartiers où règnent la construction illicite et leurs appendices situés non loin des décharges des sociétés pétrolières. Des décharges de luxe sur lesquelles vivent les plus démunis. Mais il n’ y a pas qu’eux.

Les rapports de l’APC dévoilent également une classification plus ou moins précise des bidonvillards. Les plus anciens sont des nécessiteux venus d’un peu partout, à travers le pays, à la recherche de travail et de sécurité D’où l’existence de familles entières dont les enfants sont nés à Bzim Dahraoui par exemple, le plus ancien des bidonvilles de Hassi Messaoud. Il y a aussi les opportunistes qui ne reculent devant rien pour bénéficier d’avantages étatiques à la première occasion. Bénéficiaires de logements sociaux ou de l’APC des années 1980, de terrains domaniaux et même d’aides sociales à l’autoconstruction, les cas existent à profusion. Un conflit ouvert oppose la chef de daïra au staff de l’APC depuis son installation. Il n’ y a accord ni sur les grands axes du programme de développement ni sur la manière de résoudre les grands problèmes de la daïra. Le cas des bidonvilles reste donc en souffrance à cause d’un désaccord le choix du terrain, celui de Khouildat, destiné à la construction d’un centre de transit en attendant l’accord promis par le département de H’mimid à la construction de logements sociaux sur le budget communal. Vice-président de la commune et ancien élu à l’assemblée de wilaya, Ammar Zeid tient à rappeler que « l’apparition de la première bicoque à Hassi Messaoud a été signalée sur PV officiel aux autorités de l’époque, mais on a laissé faire et on n’arrive plus à gérer l’ingérable ». L’élu révèle que l’APC n’a pas les mains libres en matière de politique de logement et que, « bizarrement le ministère de l’Habitat n’octroie jamais de programme et refuse à la commune de construire sur ses propres fonds d’où la crise ».

Les solutions ne peuvent qu’être temporaires. Et au-delà de l’argument humain révélé par des habitants aigris, celui esthétique souvent répété à propos d’une commune riche qui affiche sa misère, la prolifération sauvage des bidonvilles en pleine zone industrielle et pétrochimique et le danger de la proximité des pipelines interpellent les consciences. Gouatine, ou quartier des tentes, est en fait l’extension sauvage d’El Haïcha qui pullule de constructions dissemblables et non alignées. En plus des anciens enclos octroyés entre 1987 et 1994 aux habitants de Bzim Dahraoui et aux nouveaux débarqués, El Haïcha a donné naissance à l’illégitime Haï Gouatine. La clochardisation du coin a commencé très tôt. Nantis d’actes de jouissance d’habitations construites pour répondre aux coutumes des nomades nouvellement sédentarisés, les habitants ont opéré des extensions illicites et la plupart se sont appropriés des assiettes de terrain dont ils exigent la régularisation à présent. Le désordre règne dans ce quartier tristement célèbre pour l’affaire des femmes violées en 2001 et qui compte à lui seul plus d’un millier de commerces dont pas moins de trois cents artisans.

D’extension en extension, la cité s’est développée dans la confusion et a multiplié par la même occasion les dangers inhérents à l’urbanisme sauvage. On citera notamment, les câbles électriques et les postes transformateurs inclus de force dans les enceintes des maisons sans oublier les câbles de haute tension, pressés par les murs qui poussent comme par miracle de nuit. Les Gouatine se situent en face. and bidonville de la cité puisqu’il ne compte que 59 familles, mais il illustre la souffrance de ces âmes qui pâtissent, été comme hiver, du climat et de l’absence de commodités. Les grandes chaleurs rendent les gens plus vulnérables. Les jeunes passent les heures de pointe (13h-17h) dehors, mais à l’abri du soleil. « A l’intérieur, c’est invivable », témoigne Fodeil Adel, 21 ans, habitant le coin depuis 1997. « Nous avons eu trois jours de lumière puis l’obscurité des caveaux, elle nous tue à petit feu. Sans l’eau des citernes livrée une fois par semaine par la commune, nous ne serions que des rats. » Chômeur, Fodeil ironise : « On me demande warkat essoukna (certificat de résidence) pour m’inscrire au bureau de l’emploi alors que j’ai du fer dans la tête. Je ne suis même pas considéré comme citoyen de la commune de Hassi Messaoud. » Et son copain d’ajouter : « Vous faites bien de venir par 50°. Vous voyez comment on vit dans des trous à rat et on nous dit vous avez choisi cette vie. Il faut être fou pour préférer cet endroit à une maison. » L’eau, elle, est souvent rouillée et utilisée pour les besoins ménagers et la souffrance continue malgré l’espoir d’un transfert possible promis depuis deux ans par l’APC.

Amel, la fille du bidonville

Aînée de sa famille, Amel a 16 ans. 16 ans de bidonville. 16 ans de précarité. Elle a quitté les bancs de l’école cinq ans plus tôt. « Je n’arrivais plus à faire mes devoirs à la lumière d’une bougie, et à présent, impossible d’accéder à une formation professionnelle, j’ai le niveau 6e AF. »

Elle enchaîne : « Nous sommes descendus de Bzim Dahraoui. Vous connaissez ? C’est un autre bidonville surpeuplé. Mes frères sont nés ici et tout porte à croire que nous y mourrons tous. » Amel affiche son étonnement de nous voir escalader la dune menant à Haï Gouatine. L’oléoduc n’est pas loin. On voit ses canalisations serpenter le sable à quelques mètres des gourbis. Encerclée de rochers, cette portion du bidonville des 136 Logements jouxte le quartier de Toumiat et donne le dos aux artisans. Au seuil de sa bicoque située à l’entrée du quartier, la jeune fille ne cesse de scruter l’horizon et ne rate aucun visiteur. Amel est d’autant plus étonnée par notre présence qu’elle pense qu’il s’agit d’une tournée des services communaux qui « viennent régulièrement nous recenser ».

« Vous venez nous compter ? D’habitude, ils n’envoient pas de femmes », lance-t-elle en nous invitant tout de même à l’intérieur. Une personne dort près de la porte tout près d’un matelas et de la vaisselle rangée à même le sol. Depuis le mois de juin, le calvaire estival a commencé. « Sayer fina el weyl » littéralement « Nous vivons l’enfer ». Après un violent vent de sable qui a duré une semaine, la canicule est au rendez-vous. Une chaleur suffocante règne sous les plaques de fer blanc tapissées de bâche. Amel nous parle de sa mère hypertendue, partie faire la sieste en face, chez sa sœur. La tante habite une maison plus potable dotée d’un ventilateur, située aux 136 Logements. « Mon petit frère a la santé fragile. Il est affaibli par une anémie et ma mère ne supporte plus le chehili qui souffle sur nous toute la journée. Elle s’échappe un peu... »

Par Houria Aliouia,elwatan.com