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Journée mondiale de prévention du suicide

jeudi 9 septembre 2004, par Hassiba

Le phénomène du suicide constitue aujourd’hui un réel problème de santé publique. Environ un million de personnes meurent chaque année par suicide dans le monde. Ce qui représente une mort toutes les quarante secondes. Selon des estimations, les troubles dépressifs et la schizophrénie sont à l’origine de 60% des suicides.

La courbe a tendance à monter en flèche ces dernières années et c’est ce qui suscite de vives inquiétudes chez les professionnels de la santé mentale. Les tentatives de suicide sont, par contre, très fréquentes, notamment chez les femmes.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe le suicide comme l’une des premières causes de décès partout dans le monde, particulièrement chez les jeunes. Selon toujours l’OMS, parmi les pays qui déposent des statistiques officielles sur le suicide, c’est en Europe de l’Est qu’on retrouve les taux les plus bas, de même que dans les pays musulmans et dans quelques pays asiatiques. A l’instar des autres pays, l’Algérie est confrontée de plus en plus à ce phénomène qui ne cesse de prendre des proportions alarmantes dans notre société, bien que souvent plusieurs cas de suicide aient été cachés ou simulés par une mort accidentelle.

Il est important de signaler que l’OMS ne dispose d’aucune statistique concernant l’Algérie. Selon les spécialistes et certaines études réalisées sur le terrain par les professionnels de la santé mentale, les suicidants souffraient pour la majorité de troubles mentaux, en l’occurrence la dépression et la schizophrénie. La décennie noire marquée par le terrorisme a été vraisemblablement l’un des facteurs du développement de ce phénomène chez des sujets souffrant de troubles mentaux. Les massacres collectifs, les bombes et toute la violence vécue lors de ces années ont provoqué chez beaucoup de personnes des traumatismes psychiques. Mais aucune étude ni statistiques ne sont disponibles pour justement confirmer ce constat. Plusieurs suicidants étaient également victimes d’autres formes de violences, telles que le viol chez les jeunes filles, l’abus de drogue, les abus sexuels sur les jeunes, les antécédents familiaux, la pauvreté, les conflits familiaux, la rupture d’une relation amoureuse, les problèmes d’ordre professionnel ou légal ou bien la perte d’un être cher et l’isolement social. Les moyens utilisés sont généralement la pendaison en milieu rural, la défenestration en milieu urbain, l’ingestion de psychotropes, les armes blanches, le gaz, la noyade et les produits toxiques ménagers.

Selon les chiffres officiels de l’année 2003 communiqués par la gendarmerie, plus de 62% des suicidés sont des jeunes et ont entre 18 et 40 ans, comme il y a également des adultes. Durant cette année, 358 suicidés 246 hommes et 112 femmes ont été enregistrés. Les tentatives de suicide qui sont généralement plus fréquentes que les suicides étaient de 134 cas de femmes contre 67 hommes soit un taux de 50%. Les statistiques ont montré que ces deux dernières années, le fléau touche tout le territoire national. Des informations font état d’une forte proportion exceptionnellement en Kabylie, particulièrement à Béjaïa et à Tizi Ouzou, qui est classée en tête. Pour les années 2000 et 2001, 180 cas de suicide ont été enregistrés dans la wilaya de Tizi Ouzou soit un taux évalué entre 8 à 10 pour 100 000 habitants. Selon le Pr Kacha, professeur de psychiatrie et chef de service à l’hôpital de Chéraga, cette donnée peut s’expliquer par le fait que cette région se caractérise par une forte densité de la population et la presse fait état quotidiennement de ces cas de suicide. D’après lui, le fléau touche toutes les catégories de personnes et toutes les régions du pays, et le taux est de 2 pour 100 000 habitants. Alors que le taux annuel des tentatives est de 34,1 pour 100 000 habitants. « Elles sont 15 fois plus que le suicide. Elles sont surtout l’œuvre d’adolescents, 76%, dont trois quarts des femmes, 6% des récidivistes », précise-t-il.

L’oisiveté source de mauvaise inspiration
Les professionnels de la santé mentale sont unanimes à dire que le veuvage, le divorce, le célibat, le chômage constituent les facteurs favorisant la conduite suicidaire. Pr Tedjiza, professeur en psychiatrie et chef de service à l’hôpital Drid Hocine pense qu’« au point de vue familial, le célibataire se tue plus que le veuf qui se tue plus que le marié, et l’homme marié se tue d’autant moins qu’il a des enfants. Les sujets mariés sont les moins touchés. » Le professeur Tedjiza ne manque pas de souligner que « la fréquence des suicides est très élevée chez les sujets inactifs quel que soit le sexe ». Le travail semble protéger contre le suicide. Par ailleurs, les taux sont élevés chez les employés et exploitants agricoles. Certains milieux professionnels sont aussi exposés au risque d’une conduite suicidaire, en l’occurrence les policiers, les militaires et les médecins.

Une fuite en avant
Interrogé sur les motivations des ces individus à mettre fin volontairement à leur vie, les professeurs Kacha et Tedjiza affirment que les suicidants cherchent une fuite dans le sommeil, un apaisement à leur culpabilité ou expression de leurs pulsions agressives envers l’autre. « C’est une conduite d’appel et de rupture qui permet souvent de réaménager les relations avec l’entourage familial frustrant », estime Pr Kacha. Abondant dans le même sens, le Pr Tedjiza qualifie le suicide d’un acte de démission et la néantisation du monde. Le suicidant met fin à une souffrance en exprimant un sentiment de vengeance avec l’idée de culpabiliser l’autre : « A moi la mort, à toi le remords ». A la question de savoir ce qu’il y a lieu de faire pour tenter de réduire l’ampleur de ce fléau, les deux professeurs en psychiatrie estiment que la prévention des récidives doit être l’une des priorités des pouvoirs publics. Elle doit être organisée à tous les niveaux, que ce soit au plan médical, sociofamilial ou sociopolitique. Pour le Pr Kacha, l’un des principaux obstacles est sans aucun doute le tabou qui entoure toute approche de ce drame.

L’insuffisance des services psycho-sociaux et médicaux et l’inflation des urgences en matière de planification constituent selon lui la deuxième difficulté. La création d’un centre de prévention du suicide et des numéros verts serait, selon nos interlocuteurs, utile pour mieux prendre en charge les suicidants des grands centres urbains. « Suite au séisme du 21 mai 2003, nous avons mis en place un numéro vert, 1512, qui a permis à près de 2000 sujets aux conduites suicidaires de s’exprimer et de se libérer du mal qui les rongeait », ajoute-t-il. Comme il est important, soutient le Pr Kacha, de créer des services sociaux d’écoute auprès des services scolaires et professionnels et des services de réanimation. D’après lui, les interventions en milieu scolaire sont importantes pour atteindre les jeunes. Pour le Pr Tedjiza, la formation du personnel et des professionnels de santé mentale est très importante pour aider les sujets vulnérables et les orienter vers les structures adaptées. La travail de proximité est, selon lui, un moyen agissant dans la prévention du suicide. Elle se traduit prise en charge dans les quartiers des patients dépressifs mais également de ceux qui en font la demande puis permettre « un suivi régulier lorsqu’il s’agit d’une affection chronique nécessitant une prise en charge au long cours », note Pr Kacha.

Selon des estimations, il est relevé qu’une importante proportion de cas de suicide touche les jeunes. Mais il demeure que le nombre exact de cas de suicide dans les différentes régions est encore inconnu, il est donc impossible de parler de prévalence ou d’augmentation de leur nombre. Des enquêtes épidémiologiques ont été déjà menées dans notre pays, mais il reste que le drame n’ est pas encore pris réellement en charge par les pouvoirs publics dans le sens de penser à la prévention et mettre les moyens nécessaires pour sa mise en place. D’aucuns estiment que tant que cet acte est considéré contraire à la charia et tabou, il serait difficile d’initier, à l’instar des autres pays dans le monde, la prévention. C’est ainsi que les autorités sanitaires, la cellule familiale ainsi que la société civile sont interpellées pour se pencher sérieusement sur cette catégorie de personnes et aider à freiner ce drame national.

L’affaire de tous
Placée sous le thème « Sauver des vies, restaurer l’espoir », la Journée mondiale de prévention du suicide sera célébrée demain à travers le monde. Instaurée depuis 2003, cette journée sera marquée par de nombreux événements, conférences, campagnes de publicité.

L’Association internationale pour la prévention du suicide (IASP), en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) invite les gouvernements, les agences gouvernementales, les ONG, les associations internationales et nationales, les communautés, les cliniciens, les chercheurs et les bénévoles à initier des activités lors de cette journée afin d’accroître l’attention sur la problématique du suicide et sur les moyens de réduire les taux de suicide et de contribuer à la diminution des comportements suicidaires. L’association reconnaît le besoin particulièrement important d’accentuer la prévention du suicide dans les pays en voie de développement, de même que dans les pays de l’Europe de l’Est et en Russie. L’IASP croit que la prévention du suicide devrait avoir une place prépondérante dans les agendas des programmes régionaux et globaux de collaboration. « C’est pourquoi, l’OMS et l’IASP ont à nouveau choisi le 10 septembre 2004 comme Journée mondiale de prévention du suicide, afin de mettre l’accent sur notre responsabilité collective dans la prévention des morts par suicide », souligne un communiqué de l’OMS diffusé à l’occasion de cette journée.

L’Organisation mondiale de la santé estime qu’un dépistage précoce et un traitement approprié des troubles mentaux constituent une stratégie importante. La formation et l’éducation du personnel soignant en première ligne dans l’identification et le traitement des gens présentant des troubles d’humeur pourraient contribuer à la diminution des taux de suicide chez les personnes à risque. L’OMS pense que le fait de restreindre l’accès aux moyens permettant de se suicider s’avère particulièrement pertinent surtout lorsqu’on peut restreindre l’utilisation de pesticides, herbicides et médicaments potentiellement dangereux et qu’on peut désintoxiquer le gaz domestique. L’initiative globale de prévention, lancée en 1999 par cette organisation, avait pour objectif de provoquer une réduction durable des comportements suicidaires, en mettant l’accent sur les pays développés et les pays vivant des transitions économiques et sociales. Elle recommande également d’augmenter la conscience générale de la population sur la problématique du suicide et procurer de l’aide psychologique aux personnes présentant des idéations suicidaires ou qui ont fait des tentatives de suicide, de même qu’aux parents et proches amis de ceux qui ont fait des tentatives de suicide ou qui se sont suicidés. Pour l’OMS, la collaboration de tous les secteurs est essentielle. « Les efforts en prévention du suicide s’avéreront moins efficaces s’ils ne se s’inscrivent pas dans le cadre de plans à grande échelle mis sur pied par des équipes multidisciplinaires regroupant des représentants gouvernementaux, des planificateurs, des soins de santé, de même que des chercheurs et des cliniciens de plusieurs discipline et secteurs », précise l’OMS qui considère qu’une prévention efficace du suicide nécessite aussi une intervention de secteurs autres que celui de la santé et repose sur une approche novatrice, exhaustive et multisectorielle regroupant les secteurs de l’éducation, du travail, de la police, de la justice, de la religion, de la politique et des médias.

Par Djamila Kourta, El Watan