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L’action humanitaire en quête d’impartialité

mercredi 5 janvier 2005, par Hassiba

Qu’est-ce qu’une grave crise humanitaire ? Quelles en sont ses dimensions ? Gère-t-on une crise humanitaire comme une crise d’une autre nature ?

Dans une étude intitulée « Intervention humanitaire : Qui, quand, comment et sous quelles circonstances ? », le centre de l’UFR recherches juridiques, politiques et sociales et le Laboratoire de droit humanitaire et de gestion des crises (DHUGESCRI) répondent à de nombreuses questions essentielles dont celles-ci.

Qu’est-ce que l’action humanitaire ? Les objectifs de l’action humanitaire sont les suivants : sauver des vies, alléger les souffrances et maintenir la dignité humaine pendant ou après les crises d’origine humaine et les catastrophes naturelles, ainsi que prévenir ces situations et mieux s’y préparer. Elle comprend la protection des civils et des personnes qui ne participent plus aux hostilités ainsi que l’approvisionnement en nourriture et en eau, la fourniture d’un abri et d’articles de première nécessité ainsi que la prestation de services d’hygiène et de santé.
Elle obéit aux principes humanitaires suivants :
 l’humanité : sauver des vies humaines et alléger les souffrances, peu importe où elles se trouvent ;
 l’impartialité : mise en œuvre de mesures axées uniquement sur les besoins, sans discrimination entre les populations touchées ou en leur sein ;
 la neutralité : l’action humanitaire ne doit favoriser aucune des parties dans un conflit armé ou tout autre différend où une intervention est menée ;
 l’indépendance : l’autonomie des objectifs humanitaires par rapport aux objectifs politiques, économiques, militaires ou autres que peut exprimer une des parties pour des secteurs dans lesquels une action humanitaire est réalisée. L’action humanitaire ne doit donc pas être confondue avec « l’intervention humanitaire » que l’on pourrait définir comme « l’usage de la force ou la menace d’y recourir par un Etat, un groupe d’Etats ou une organisation internationale dans le but de protéger les individus privés de droits reconnus à l’échelle internationale » (dixit S. Murphy).

Et l’objectif a été souvent perverti ainsi que l’ont démontré les interventions des Etats-Unis en République dominicaine (1965), à Grenade (1983) et au Panama (1989), l’intervention de l’Inde au Pakistan (1972), l’intervention de la Tanzanie en Ouganda (1979), l’intervention du Vietnam au Cambodge (1978), l’intervention de la CEDEAO au Liberia (1990)... Des motifs humanitaires ont ainsi servi à justifier les actions politiques et intéressées des Etats.

Quand peut-on affirmer qu’une intervention étrangère répond aux critères de l’action humanitaire ? Les conditions se résument en quatre points essentiels :
 1) l’intervention doit répondre à des violations des droits de la personne,
 2) les solutions alternatives doivent être épuisées,
 3) le consentement de l’Etat en cause doit être obtenu ainsi que l’approbation du Conseil de sécurité,
 4) le Conseil de sécurité doit affirmer que la situation est une menace contre la paix,
 5) l’intervention doit être proportionnelle aux objectifs recherchés et les criminels de guerre poursuivis.

Qu’entend-on par aide humanitaire ? Depuis les années 1960, il existe des définitions acceptées à l’échelle internationale de l’aide publique au développement versée par les membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Concernant les contributions accordées en situation normale, ces définitions constituent un point de repère commun à partir duquel les gouvernements donateurs peuvent mesurer leur rendement et leur investissement. Elles ont été renforcées en février 2003 par la Déclaration de Rome sur l’harmonisation. Cette même année, Assistance humanitaire globale (AHG, projet indépendant) a répertorié 69 milliards de dollars, dépensés dans le cadre de l’Aide officielle au développement dont 10% seulement ont été affectés aux victimes de catastrophes naturelles ou de conflits.

En revanche, il n’existe toujours pas de définition commune de l’aide humanitaire. Il est juste établi que « l’assistance humanitaire doit être fournie avec le consentement du pays affecté par la crise et, en principe, sur la base d’un appel fait par le pays affecté ». Aussi l’Initiative des principes et bonnes pratiques d’action humanitaire tente-t-elle d’y remédier. De quoi s’agit-il ? Cette initiative a été lancée par les organismes responsables de l’aide humanitaire au milieu des années 1990. Elle définit le terme « catastrophe » comme une calamité qui provoque des morts, de graves souffrances humaines et une détresse aiguë ainsi que des dégâts matériels de grande ampleur. Contrairement aux démarches précédentes, elle a axé son travail sur les pays donateurs plutôt que sur les Nations unies. Il en est sorti :- le Code de conduite : adopté en 1994, il se rapporte aux opérations de secours en cas de catastrophe pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et pour les ONG. La non-discrimination de religion, de race ou de culture est évidemment capitale. A cela s’ajoute la nécessité absolue de ne pas servir d’instrument à la politique étrangère des gouvernements.

Les IHNG (institutions humanitaires non gouvernementales) définissent leurs propres lignes de conduite et s’abstiennent d’appliquer la politique de quelque gouvernement que ce soit, sauf dans la mesure où elle coïncide avec leur propre politique, formulée en toute indépendance.

« Nous ne permettrons pas que nos institutions ou le personnel que nous employons soient utilisés pour réunir, à l’intention de gouvernements ou d’autres instances, des informations délicates de portée politique, militaire ou économique qui pourraient être utilisées à des fins autres que strictement humanitaires ; de même, nous ne servirons pas d’instrument à la politique étrangère des gouvernements donateurs. »

 le Projet Sphère : lancé en 1997 et publié en 2000, il comprend une charte humanitaire et des normes minimales pour les interventions lors de catastrophes dans cinq domaines essentiels de l’assistance humanitaire : approvisionnement en eau et assainissement, nutrition, aide alimentaire, aménagement des abris et des sites et services médicaux. Sphère se fonde sur deux principes fondamentaux : toutes les mesures possibles doivent être prises pour alléger la souffrance humaine résultant des conflits et des catastrophes ; les personnes touchées par les catastrophes ont le droit de vivre dans la dignité, et donc le droit à l’assistance ;

 l’Initiative SMART (Standardized Monitoring and Assessment of Relief and Transitions) : conçue pour élaborer des outils communs servant d’indicateurs sur la nutrition et la santé, nécessaires à l’analyse, au suivi et à l’évaluation des programmes humanitaires.

En vertu de la stratégie axée sur les pays donateurs, le processus de Montreux a été lancé en 2000 avec 25 gouvernements dont l’Allemagne, l’Australie, la Belgique, le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la France, la Finlande, l’Irlande, le Japon, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. Des organismes des Nations unies, le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et de nombreuses ONG sont présents. Le but des réunions annuelles est de mieux coordonner les réactions aux situations de crise. Comment ? Assurer une planification stratégique commune, mobiliser les ressources et les coordonner.

L’un des sujets centraux nécessitant l’intervention des humanitaires sont la famine et la sécurité alimentaire. La première est définie comme étant le « manque total de nourriture dans une région pendant une période de durée variable, conduisant au décès d’un nombre important de personnes sur cette période ». Le second concept signifie « l’accès pour chaque individu à tout instant à des ressources alimentaires lui permettant de mener une vie saine et active ». Le Programme alimentaire mondial de l’ONU (PAM) a, en août dernier, publié une carte de la faim dans le monde. Il en ressort qu’un humain sur sept est victime de la faim dans le monde, soit 840 millions de personnes, dont 180 millions ont moins de 5 ans.

Dans 10 pays, dont 5 se situent sur le continent américain et 2 en Afrique, la situation a été en 2004 particulièrement critique. En tête de liste figure le Darfour, au Soudan. 24% de la population y souffre de la faim malgré le pont aérien du PAM qui fournit 100 tonnes de vivres par jour à destination d’El Geneina (capitale du Darfour-Ouest). Les avions-cargos effectuent trois rotations par jour. De son côté, le Comité international de la Croix-Rouge a lancé son plus important pont aérien depuis la guerre en Irak en 2003 pour acheminer des réservoirs d’eau, des médicaments et des véhicules tout-terrain. Avec le Soudan, la RDC est le 2ème Etat africain figurant sur la triste liste des pays touchés par la famine. 75% de la population souffre de la faim en raison de la guerre qui a poussé les agriculteurs à abandonner leurs terres et leurs fermes. L’ONU y soutient le projet du gouvernement congolais de désarmer les quelque 30 000 enfants soldats en fournissant leur nourriture.

Sur le continent américain, la famine touche la Colombie, le Pérou, le Nicaragua, Cuba et Haïti. La Colombie est en 2ème position avec 25% des habitants ne disposant pas des 2 100 calories quotidiennes recommandées. Selon l’ONU, la Colombie est le 3ème pays au monde touché par les déplacements de populations à l’intérieur de ses frontières, après le Soudan et l’Angola (3 millions de Colombiens). Un rapport du PAM a montré qu’en 2003, 80% des familles déplacées ne mangeaient pas à leur faim malgré sa double action. Ainsi le PAM est-il engagé dans la reconstruction des infrastructures et dans des projets de développement durable. Le Pérou enregistre un seuil de pauvreté touchant plus de la moitié de la population. 6,5 millions de Péruviens (25%) sont très pauvres, avec moins d’un dollar par jour pour vivre. Dans le troisième pays, la moitié de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, ce qui fait du Nicaragua le deuxième plus pauvre pays d’Amérique latine et des Caraïbes.

Le PAM développe des programmes « travail contre nourriture ». A Cuba, 11% des habitants ont besoin d’une aide alimentaire, ce qui est loin de la situation à Haïti. Dans ce pays secoué par des crises politiques successives et internationalisées, la moitié de la population souffre de la faim et un enfant sur 10 meurt avant d’avoir atteint l’âge de 5 ans. Les Haïtiens produisent 55% de leur nourriture dont 28,5% sont achetés à des entreprises étrangères et 9% fournis par l’aide alimentaire internationale.En Asie, les cas critiques concernent 3 pays. En Corée du Nord, près de 57% des habitants souffrent de la faim. Près de 70% des 23,3 millions d’habitants seraient dépendants de l’aide alimentaire internationale, qui ne comble que la moitié des besoins journaliers.

Le PAM propose des programmes « travail contre nourriture » : les travailleurs sont payés en nourriture. Dans le pays du « bombardement humanitaire », 70% de la population afghane souffre de sous-nutrition. Le PAM y mène des programmes « nourriture contre travail » pour accélérer la reconstruction des infrastructures, ainsi que des opérations « nourriture contre éducation » pour que les enfants reprennent le chemin de l’école. En Asie du Sud-Est, le Bangladesh est particulièrement touché. Ainsi le tiers de la population souffre de la faim, 28 millions de personnes sont considérées comme « très pauvres ». Grâce au programme « école contre nourriture », les enfants reçoivent des biscuits vitaminés et des compléments alimentaires en classe.

Par Louisa Aït Hamadouche, La Tribune