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L’exécutif et le parlement

vendredi 26 novembre 2004, par Hassiba

« Passer pour idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet. »
(Courteline)
A l’écoute plus ou moins attentive des bouleversements systémiques de la planète et des mutations parfaitement audibles qui secouent l’Algérie, le brouhaha de la classe politique qui a l’agrément de l’administration fait désordre.

Le divorce se creuse entre toutes les activités informelles qui échappent à l’impôt et les sphères légales de réglementation et de régulation. La frontière s’élargit entre les gens qui s’inventent des systèmes D et un nombre d’élus, de dirigeants d’entreprises publiques, de décideurs politiques et économiques dont les propos indigestes alimentent les journaux. Ces césures peuvent s’expliquer, pour une part, par le radotage d’élites officielles, l’exil de celles qui ont choisi un ailleurs revalorisant, plus enrichissant et souvent reconnaissant. Et il y a l’aridité du champ de « la réflexion » livrée par la majorité des partis, des députés et l’assèchement du débat contradictoire à l’intérieur de la majorité et de l’opposition, caractérisé par l’absence d’initiatives éditoriales, de livres collectifs ou individuels de la part des membres de l’exécutif, du législatif qui ont les informations censées alimenter l’analyse et les propositions.

La puissance développée par les droits de l’homme, la place stratégique de l’entreprise et des banques, l’environnement qui conditionne l’avenir, la formation d’élites compétitives, le CV comme source de recrutement, la place irremplaçable de l’opposition, du pluralisme syndical et de la culture sont perçus comme des « luxes » au profit d’une transition « légitimée » par la fainéantise et l’incompétence. Transition reconduite par des ruses de douar par nombre de ceux qui animent les institutions. La société et ceux qui essayent, dans l’adversité et l’hostilité, de penser, sont sommés de s’aligner sur un nationalisme d’apparat, de se rallier à des particularismes régionaux ou à des « analyses » d’ordres tribal, religieux ou sectaire. Et pour donner un supplément d’âme à l’immobilisme, il y a « l’activité culturelle » récurrente dont le bilan aligne la hafla, la « soirée » du Ramadhan, le film « révolutionnaire » qui date du socialisme, le chanteur qui passe en boucle. L’heure paraît-il n’est pas venue pour des industries culturelles, car l’agenda du législateur est surchargé par les travaux menés par des commissions mixtes qui regroupent les chercheurs, les créateurs et des députés qui n’en peuvent mais. Mais peut-être y a-t-il une pénurie d’hommes d’Etat pour que le pays ne vive que l’état des appareils ?

Les envolées autour de la loi de finances 2005, la cacophonie sur les privatisations remettent en scène la filiation « doctrinale » qui a marqué des décennies. La plus anodine remise en cause déchaîne la furie de hauts salaires qui tiennent en otage toute réforme nécessaire en retardant des processus inévitables. Les professions de foi patriotiques balayent les arguments rationnels et la référence religieuse oblitère les engagements du pays au plan international. « La bataille du vin » qui fera date relève plus du canular de collégien que de la riposte réfléchie à certains effets de la mondialisation. Le ministre des Finances qui connaît sa partition a facilement embarqué son monde derrière une fausse augmentation de cinq dinars du gasoil et laissé beaucoup de députés boire leur vin jusqu’à la lie. La bouteille qui continuera d’être bue a fait écran devant le laminage des couches moyennes qui doivent doper la consommation. Quant aux salaires des policiers, des infirmiers, des fonctionnaires, des éboueurs sans tenue réglementaire, les bourses versées aux étudiants en fin d’année, l’urgence d’un puissant secteur audiovisuel national, tout cela semble peu intéresser le corps législatif habilité à proposer des lois et à créer des forums où l’on pense.

M. Benachenhou, dans son rôle, voulait faire aussi un peu de pédagogie et tremper l’APN dans le bain des relations économiques internationales. Travail titanesque ! Comment inculquer une approche rigoureuse autour d’agrégats qui n’ont rien à voir avec le prêche ou le populisme ? M. Rahmani parlant des sachets noirs (une constante devenue nationale) avait essuyé le plâtre d’incompétents et de groupes de pression « plastifiés ». Allez faire comprendre la relation, largement démontrée, entre l’économie, l’écologie et le cadre de vie dans la reproduction d’une force de travail ! Dans l’hémicycle, certains croient qu’il est plus rentable, devant des caméras, de mesurer l’ourlet d’une jupe et de théoriser l’incapacité de la femme devant le mariage. A chacun son enfer ou sa fixation obsessionnelle !

A l’évidence, et le nombre de lois initiées par le parlement et celui des commissions d’enquête ou d’étude créées par lui en attestent, le pouvoir législatif pose la question sur la pertinence de son travail mise en rapport avec ce que lui donne la société. Il n’anticipe ni accompagne les grands débats mondiaux (mondialisation, Irak, Palestine, l’adhésion à l’Europe et à l’OTAN, les guerres et les maladies en Afrique, l’ordre mondial médiatique inégalitaire, etc.) et encore moins les réformes nécessaires induites par le bouillonnement du pays et l’avenir de l’économie nationale. Le siècle va très vite et l’humanité est travaillée par l’unilatéralisme de l’empire américain qui détruit maison par maison la civilisation de l’Irak, les fléaux qui déciment le continent africain et l’avance prise par les nations où la valeur-travail est une religion et où le pouvoir législatif est partie prenante très active à l’intérieur et dans les constructions supranationales. Le résultat vérifiable en Algérie est la suprématie de l’exécutif avec lequel se confond trop souvent le législatif qui n’est ni un contre-pouvoir ni une banque d’idées et de rapports offerts à la société et aux élites. Et comme disait Mazarin cité par R. Debray : « Dans une communauté d’intérêts, le danger commence quand un des membres devient trop puissant. »

Or, aujourd’hui, à l’échelle internationale très peu de pays sont puissants d’abord devant l’arrogante puissance militaire américaine et ensuite devant l’Europe qui se construit, sans oublier la montée impressionnante de la Chine et de l’Inde. Le Maghreb est pour longtemps une utopie, celle des pères fondateurs des mouvements de libération en Algérie, en Tunisie et au Maroc. L’Egypte fait, pour peu de temps, illusion avec ses grands cinéastes, ses feuilletons diffusés dans le monde arabe sans contrepartie, ses grands chanteurs et musiciens. La gouvernance en Afrique, la maladie, la faim et les guerres civiles n’offrent pas d’espoirs aux Africains. Que devient alors la liberté ? Elle n’est pas assurée « du fait que chacun peut choisir librement ce que lui offre le marché, car celui-ci ne garantit ni l’égalité des chances de tous, ni l’orientation des ressources vers la satisfaction des besoins les plus fortement ressentis, ni la lutte contre l’exclusion. Il faut donc que la démocratie combine l’intégration, c’est-à-dire la citoyenneté, qui suppose en premier lieu la liberté des choix politiques, avec le respect des identités, des besoins et des droits. Pas de démocratie sans combinaison d’une société ouverte et du respect des acteurs sociaux, sans l’association de procédures froides et de la chaleur des convictions et des appartenances. Ce qui nous éloigne tout à la fois d’une conception populaire et d’une conception libérale de la démocratie (1) ». S’agissant donc de citoyenneté construite autour d’acteurs sociaux, n’est-il pas légitime de s’interroger sur la représentativité de trop nombreux élus et par conséquent sur les acteurs publics et privés, culturels et scientifiques, gestionnaires et consommateurs, jeunes et moins jeunes, femmes et personnes âgées qui s’estiment non représentés en quantifiant les lois rédigées par le parlement ?

(1) A. Touraine in
« Critique de la modernité ». Ed. Fayard.

Par Abdou B., Le Quotidien d’Oran