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L’idéal journalistique d’Abdelaziz Bouteflika

mardi 4 mai 2004, par Hassiba

Le président Abdelaziz Bouteflika s’est prononcé à l’occasion de la journée internationale de la presse « pour l’exercice effectif, par tous, de la liberté d’expression, en droite ligne de la Déclaration universelle des droits de l’homme ».

On ne demande qu’à le croire mais la réalité est là qui rappelle toutes les autres déclarations de Bouteflika sur le même sujet.

Le Matin, pour ne parler que de notre quotidien, est en sursis sur tous les plans. Depuis le 12 octobre 2003, l’instruction de l’affaire de son directeur Mohamed Benchicou est close mais le procès n’est toujours pas programmé. Benchicou est à son 251e jour de contrôle judiciaire, soumis à l’émargement hebdomadaire au tribunal et privé de son droit à la libre circulation.

Le 8 mai prochain, le siège du journal devrait être mis en vente aux enchères publiques. Malgré tous les paiements effectués aux services des impôts, le journal est menacé d’asphyxie financière. Plus de trente plaintes ont été déposées contre le Matin et les journalistes sont soumis au harcèlement judiciaire et policier. Tous attendent d’autres agressions car il semble qu’appartenir à un organe d’avis différent de Bouteflika hypothèque sérieusement l’avenir. C’est cela la conception bouteflikienne de la liberté d’expression. Il peut, grâce à ces stratagèmes, déclarer qu’il « n’existe pas de censure en Algérie ». Mais dans les faits, chacun est invité à se ranger du côté du pouvoir et à
lui faire allégeance pour être reconnu comme « journaliste responsable ».

Dans cette vision du pluralisme ou plutôt du nombre des titres nationaux, il ne devrait pas y avoir, selon Bouteflika et son régime, d’espace pour les millions d’algériens qui n’ont pas voté pour lui ni pour ceux qui ne croient plus en l’UGTA ou qui refusent les embrigadements partisans et encore moins pour celles qui persistent à être féministes. Les journaux qui ouvrent leurs colonnes à toutes ces aspirations citoyennes sont forcément « objet ou victime de groupes de pression, de forces occultes et des puissances d’argent ».

Bouteflika n’hésite d’ailleurs pas à établir un parallèle audacieux entre l’élection présidentielle - entendre son élection - et le rejet par le peuple du « dévoiement inacceptable de la liberté d’expression ». Le peuple a donc choisi, en l’élisant, l’unanimisme pluraliste si l’on peut dire. La diversité d’opinion, l’avis contraire sont déjà des délits que l’on punit sous le couvert d’alibis juridiques.

Les convocations par la police judiciaire commencent d’ailleurs à pleuvoir sur les titres privés qui ont le mauvais goût de ne pas faire la campagne de Bouteflika. Ainsi donc, si l’on a bien compris les messages d’usage des autorités du pays, dont le président de la République, la presse privée est seule responsable de ses maux. Ce sont ses manquements, paraît-il, aux règles de déontologie et de professionnalisme qui font son malheur. Le président Bouteflika considère que la liberté d’expression doit être « responsable et citoyenne » confortant ainsi non seulement la vision stakhanoviste du pouvoir à l’égard de la presse, mais aussi la distinction entre presse « convenable et inconvenante ». Ces critiques et ces leçons d’éthique données par les représentants du régime ne s’adressent, bien entendu, qu’à la presse indépendante. Les médias gouvernementaux et ceux qui lui sont affiliés ne sont pas concernés. Ils font figure de presse exemplaire, digne de bénéficier de la publicité et de la complaisance des imprimeurs. Ils sont l’idéal journalistique du pouvoir qui s’y voit quotidiennement sous son meilleur jour, glorifié et « vendu » aux citoyens sous l’emballage du service public et de l’intérêt supérieur de la nation.

Une bonne presse est non seulement une presse qui ne dérange en rien le maître du moment mais qui doit, en outre, lui servir de relais pour maintenir l’opinion nationale dans l’ignorance des affaires de la cité. Ce lieu commun correspond pourtant à notre situation en Algérie. Une situation qui risque de s’aggraver devant le retour violent de la pensée unique et de l’obligation d’allégeance pour sauver sa peau.

Par Ghania Khelifi, Le Matin