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L’immigration clandestine en Algérie

samedi 15 mai 2004, par Hassiba

L’immigration clandestine, voilà un phénomène qui se propage d’une façon fulgurante en Algérie et qui prend des proportions alarmantes.

Au niveau de la capitale, ces prétendants au « paradis » se comptent par centaines, voire par milliers. De toute façon les autorités ne disposent pas de chiffres officiels. Le phénomène s’est accentué principalement pendant la dernière décennie, où la police a été pendant trop longtemps occupée à pourchasser les réseaux terroristes, ne faisant plus attention aux flux migratoires massifs.

Du Ghana, Niger, Nigeria, Zaïre, Cameroun, Sénégal, Burkina-Faso... ils ont fait cette traversée du désert exténuante pour débarquer en Algérie. Question de reprendre du souffle puis de repartir vers l’Europe, cet Eldorado où croit-on, la vie s’écoule comme dans un rêve.
Ces étrangers privilégient les wilayas situées au niveau des frontières sud et ouest du pays. A l’instar d’Adrar, Illizi, Tlemcen et Tamanrasset. Cette dernière, de par sa position géographique -c’est un point ayant des frontières avec plusieurs pays-, est le lieu de prédilection pour ces ressortissants.

« Nous mourons et personne ne se soucie de nous. La misère touche encore notre pays et personne ne bouge le petit doigt pour faire quelque chose pour nous », raconte cet Ivoirien qui avoue, par ailleurs, avoir accepté de faire cette aventure pour fuir la misère et le climat d’instabilité qui sévit dans son pays et chercher un meilleur cadre de vie.

« Figurez-vous, nous avons commencé le voyage à vingt (20), pour finir ici à Alger à sept seulement ! Cinq de mes compagnons ont été interceptés aux frontières, quant aux autres, ils ont tous péri dans le désert », ajoute notre interlocuteur, avec amertume, les yeux figés et fixant un point lointain. Un cas qui n’est malheureusement pas isolé.
Quand est-ce que ce phénomène a commencé à émerger et pourquoi a-t-il tendance à se développer ?
En fait, les premiers flux de populations en provenance de pays limitrophes ont été enregistrés au début des années 1960 et 1970, et ce, en raison essentiellement de la sécheresse et des difficultés financières qui sévissaient dans les régions sahéliennes. A noter que la plupart de ces immigrants étaient de nationalité malienne et nigérienne.
Toutefois, cet afflux a été plus remarquable vers le début des années 80, alors que la guerre entre le Niger et le Mali battait son plein. Dès lors, un nombre considérable de familles issues des deux pays respectifs ont dû se réfugier sur le territoire algérien et s’installer dans la wilaya de Tamanrasset et les wilayas limitrophes.

Un phénomène vieux de 40 ans

A cette époque, l’Algérie avait pris des mesures de prise en charge des populations déplacées, et avait fondé quatre centres d’accueil pour les Maliens et les Nigériens. Ces derniers ont été fermés quelques années après le règlement des conflits internes du Mali et du Niger.
Par ailleurs, la sécheresse, l’endettement, le désengagement économique des puissances occidentales et les guerres fratricides, sans compter la misère frappant implacablement ces pays, sont autant de fléaux qui poussent ces immigrés clandestins à quitter leurs pays pour d’autres cieux plus cléments.

Une fois arrivés sur le territoire algérien, les candidats à l’immigration prennent deux destinations, l’Ouest pour ceux désirant rejoindre l’Espagne via le Maroc, et l’Est pour ceux projetant de regagner l’Europe par Alger ou Tunis, principalement la France et l’Italie.
En attendant que les choses soient plus claires, la plupart d’entre eux doivent marquer une pause en Algérie, question de se ravitailler en argent. Combien dure cet arrêt ? Une semaine ? Des mois ? Des années ? De toutes les manières, cette pause n’est que précaire et temporaire, car un long parcours jalonné d’embûches les attend quelque part au niveau des frontières où ils auront à affronter les gardes frontaliers. Ceux qui n’arrivent pas à sortir de leur situation pécuniaire difficile où ils se sont retrouvés et qui, de ce fait, ne peuvent pas continuer leur aventure ou mésaventure (?), se dirigent vers les villes du Nord comme Alger et Blida, pour constituer, au moyen de gains tirés du travail clandestin ou d’activités de délinquance, le capital nécessaire.

Mais une question se pose désormais d’elle-même : quel genre de « job » exercent-ils ?

Ils font tous les boulots. Vendeurs de vêtements, de plantes médicinales, de produits fétiches et artisanaux et... sont employés comme manoeuvres dans les chantiers. Dans ce domaine, les infortunés immigrés sont surexploités, mal traités, mal rémunérés. Car compte tenu de leur installation illégale, ces ressortissants étrangers sont sommés de travailler au noir et ce, sous la coupe des trafiquants de main-d’oeuvre qui leur promettent de les faire pénétrer en Europe via le Maroc ou la Tunisie.
Une simple virée dans les chantiers où travaillent ces Africains, nous dévoile leur situation ô combien déplorable. En effet, les entrepreneurs de travaux de bâtiment, sans scrupules, ont su profiter de leur situation irrégulière et les surexploitent au maximum.
« J’ai travaillé pendant un mois chez un entrepreneur à Cheraga. C’était au mois de décembre 2003. Il venait ici, au Bois des Cars, chaque matin pour nous transporter au chantier. On travaille jusqu’à une heure tardive de la soirée, et quand on lui demande de nous payer, il se montre agressif en nous signifiant l’ordre de quitter les lieux, faute de quoi, il avertira la police pour nous embarquer », nous raconte un Malien rencontré aux Bois des Cars situé sur les hauteurs d’Alger. Notre interlocuteur nous a affirmé que plusieurs d’entre ses compagnons de route ont fait appel, par pénurie d’eau, à l’ultime recours de boire de l’urine.

Son compatriote, lui, nous retrace sa vie dans ces chantiers : « Je suis arrivé en Algérie il y a deux ans, et depuis je vais de chantier en chantier sans pouvoir me sortir de la misère qui me ronge et qui ne fait qu’empirer. »
Et la drogue ? avons-nous hasardé « écoutez, la drogue c’est pas mon affaire, je ne veux pas qu’on me colle une étiquette ! » a répondu notre interlocuteur d’un ton furieux.
Des cas souffrant de cette mal vie peuvent être remarqués dans toutes les villes où il y a une concentration de ressortissants africains.

Selon les chiffres avancés par la Gendarmerie nationale, pour le premier trimestre 2004, 1 047 ressortissants étrangers en situation irrégulière ont été arrêtés dans plusieurs wilayas. Rien que pour la période du 1er au 21 avril dernier, 267, dont 250 ressortissants africains de différentes nationalités. Ces étrangers ont été présentés à la justice, 67 d’entre eux ont été placés sous mandat de dépôt, 25 remis en liberté provisoire tandis que les autres ont été refoulés.

Tamanrasset, porte ouverte aux fléaux

Les statistiques, fournies par la Gendarmerie nationale, font paraître une croissance très rapide qui s’est accélérée ces dernières années. Cette tendance qui est en hausse constante, laisse penser que les prévisions pour un proche avenir sont plus inquiétantes et que le problème sera plus aigu.

A titre de comparaison, le nombre d’affaires traitées est passé de 514 en 1992 à 1005 en 2003.
Par ailleurs, le recensement annuel des personnes arrêtées indique une tendance à la hausse, puisque le nombre a atteint 2806 en 2000, 4273 en 2001, 4118 en 2002 et 4870 en 2003, soit une moyenne de 5 000 personnes arrêtées chaque année.

D’autant que l’analyse des statistiques de ces dix dernières années (1992-2003), a relevé que près de 28 828 immigrants clandestins ont été arrêtés par les différents points de contrôle des services de la Gendarmerie nationale, notamment dans les frontières du sud et de l’ouest du pays. On cite, à titre indicatif, Adrar avec 2125 personnes arrêtées, Illizi (2043), Tlemcen (1 565) et Tamanrasset avec 6 344...
Cette dernière, de par sa situation géographique, est devenue, pour de nombreux jeunes des pays du sud du Sahara, un passage obligé vers les pays occidentaux, compte tenu du nombre de personnes arrêtées (6344). Cette wilaya constitue le premier point de transit en Algérie pour ces clandestins. Elle est considérée comme la plaque tournante de l’émigration clandestine en provenance de l’Afrique, en sus, c’est une ville cosmopolite par excellence où plus de 45 nationalités africaines se côtoient. Tam s’affirme, de ce fait, comme une des toutes premières portes d’entrée de tous les types de maux affectant sérieusement le reste du pays.

Des activités illégales de tout genre ont été relevées. De la drogue à la falsification et la contrefaçon de documents de voyage et de billets de banque, du proxénétisme à la prostitution et l’association de malfaiteurs.

Tout cela n’est autre que le résultat de l’afflux massif d’immigrés clandestins qui sont, par ailleurs, le plus souvent un vecteur de transmission de diverses maladies. Et ce n’est pas par l’effet du hasard que le virus du Sida tend à se propager d’une année à l’autre.
En effet, les chiffres officiels du Sida sont alarmants. Entre la fin décembre 1985, date du premier cas diagnostiqué, et juin 2003, quelque 605 cas avérés de sida et 1 373 personnes séropositives ont été enregistrés.
Tamanrasset se retrouve ainsi parmi les premières wilayas touchées par cette maladie mortelle et ce, à cause des réseaux de prostitution qui ont plongé leurs tentacules dans les profondeurs de cette lointaine contrée. Que deviennent toutes ces femmes venues des pays du sud du continent et qui arrivent en Algérie sans avoir la moindre idée de la situation qui les attend ?
On n’a pas à chercher ailleurs. Les commerçants de la chair sont là, à les attendre, et les « insérer » ainsi dans leur vaste réseau de prostitution.

Le calvaire des femmes

Nombreuses sont celles qui sont tombées entre les mains de passeurs. Commence alors le long calvaire qui se termine le plus souvent par une mort survenant dans des conditions atroces. Quant à celles auxquelles la chance sourit et qui auront à poursuivre l’impossible traversée du désert, en compagnie bien sûr de passeurs dont l’intention n’est, naturellement, autre que celle d’exploiter leurs corps, elles se retrouvent engouffrées irrémédiablement dans le chemin sans retour de la prostitution. Mais ça ne se termine pas toujours de cette façon. En effet, un nombre important des ces immigrées clandestines se voient abandonnées en plein désert et dans un dénuement total.
D’autre part, ces femmes fuyant leur pays, constituent les cibles convoitées dans les circuits des trafiquants de drogue.

Certains pays européens, dont l’Espagne et la France, sont entrés en consultation avec l’Algérie pour co-ordonner leurs actions en matière de lutte contre l’immigration clandestine, et pour conclure des accords bilatéraux en matière de réintégration.Cela coïncide avec la parution de rapports internationaux indiquant une hausse dans le nombre d’immigrés clandestins, en provenance de différents pays africains vers l’Afrique du Nord. A cet effet, une nouvelle stratégie a été élaborée conjointement par les pays de la rive ouest de la Méditerranée et ceux de la rive sud de l’Europe.Ainsi, dans ce sens, le groupe des 5+5 (l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Libye et la Mauritanie, d’un côté, l’Espagne, la France, l’Italie, Malte et le Portugal de l’autre), s’est-il réuni le mois de décembre dernier à Tunis, au niveau des responsables de la sécurité, pour discuter des deux questions fondamentales, à savoir la lutte contre l’immigration clandestine et la lutte contre le crime organisé.

Cependant, le problème ne s’arrête pas seulement à ce niveau, car sur le premier plan, c’est les pays africains qui doivent se concerter et travailler en commun afin de remédier à ce phénomène.

Car en l’absence de la coopération entre les pays africains, le phénomène risque de prendre beaucoup plus d’ampleur. D’autant que les pays voisins ont fermé leurs frontières, n’acceptant plus que leurs propres ressortissants. Devant une telle situation, l’Algérie s’est vue dans l’obligation de les installer dans des camps.
Par ailleurs, avec l’amélioration de la situation sécuritaire en Algérie, les gardes frontaliers ont marqué un peu de recul et ce en procédant au changement de la stratégie de la lutte contre la criminalité organisée.
En outre, compte tenu de la largeur de la superficie de l’Algérie, la Gendarmerie nationale s’est montrée dépassée par le nombre important d’immigrés clandestins qui y affluent. Surtout avec l’installation des brigades mobiles, chose qui facilite la tâche aux candidats à l’immigration pour s’infiltrer sur le territoire algérien.

En définitive, il est venu le temps et pour les pays d’Afrique et pour ceux de l’Europe, d’élaborer une stratégie efficace en vue de lutter contre ce phénomène menaçant la sécurité ainsi que le développement économique et social de tous les pays de la planète.

Par Hakim Katek, L’Expression