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La caution de Jacques Chirac à Abdelaziz Bouteflika

samedi 17 avril 2004, par Hassiba

Le chef de l’État français, Jacques Chirac a plaidé pour un “partenariat d’exception” entre la France et l’Algérie.

Un tête-à-tête avec son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika, un déjeuner et une conférence de presse, le tout en l’espace de cinq heures avec comme unique décor la résidence d’État de Zéralda, revêtue pour la circonstance de son faste d’antan. Au menu de la visite-éclair du président français Jacques Chirac, jeudi, à Alger, les éloges qu’il a prodigués à son hôte ont disputé la vedette aux mets raffinés dont il a été honorés. Le timing, l’opportunité et les conclusions de ce déplacement font qu’il constitue une caution de l’Hexagone au locataire du palais d’El-Mouradia, fraîchement réélu. “Si j’ai tenu à venir, c’est pour saluer le président Bouteflika pour sa brillante réélection et lui adresser les félicitations du peuple français et tout naturellement les miennes”, a fait savoir Chirac au cours d’une conférence de presse qu’il a tenue peu avant son retour à Paris.

Un déplacement très symbolique

Cette assertion explique amplement les motivations du chef d’État français. Il aurait pu se contenter des félicitations écrites qu’il avait envoyées au président algérien, au lendemain de sa victoire électorale. Chirac a, néanmoins, préféré se déplacer à Alger, une semaine après la consultation électorale, pour complimenter Bouteflika.
Une première dans les annales des relations algéro-françaises. Pour cause, depuis le fameux “il faut...” de feu Mitterrand, préconisé au lendemain de l’interruption du processus électoral en 1991, la bienveillance de la France s’est exprimée autrement qu’à travers des sermons et des réprimandes.

Prônant la réconciliation, l’Hexagone se présente aujourd’hui comme un partenaire de choix, un allié. “Il nous revient de poursuivre ensemble la construction d’un partenariat d’exception”, avait souligné le locataire du palais de l’Élysée dans sa missive au vainqueur de la présidentielle. De son côté, le porte-parole de l’Élysée a inscrit le voyage présidentiel dans le cadre “d’un nouveau cours” dans les rapports bilatéraux impulsé depuis la visite d’État de Chirac en Algérie au printemps dernier.Consacré par une déclaration historique ouvrant la voie à un partenariat stratégique, ce séjour faisait suite à une halte l’année précédente, dans le quartier populaire de Bab El-Oued, profondément éprouvé alors par des inondations tragiques.

Jamais auparavant, la France n’avait montré autant d’égards à notre pays. Les périples renouvelés de son président en témoignent. Son discours le confirme. Jeudi dernier, devant une foule de journalistes, dont une trentaine de Français venus avec lui de Paris, Chirac a réitéré ses intentions. L’Algérie occupe une place de choix “dans son cœur” et dans sa politique extérieure. Elle l’est d’autant plus que le rival anglo-saxon a manifesté de manière franche ses convoitises. Le président français en parle avec beaucoup d’enthousiasme.

Morceaux choisis :

L’idylle algéro-française : une valse à trois temps

“Forte, ambitieuse, apaisée”. Selon le président Chirac, le choix d’une relation durable, sans passion, ni incompréhension s’inscrit dans le cadre de ce triptyque des “défis” sur la base desquels il veut “faire le pari de l’avenir”. Fort de quelques avancées, il évoque la visite d’État qu’il avait effectuée en mars 2003 dans notre pays comme le début d’une nouvelle ère, “une visite que j’ai gardée profondément ancrée dans mon cœur”, a confié le chef d’État. Sans démagogie, il a abordé les projets que son séjour a contribué à lancer ainsi que “l’instauration d’un dialogue politique étroit”.
Au cours de son plaidoyer, l’hôte de l’Algérie s’est appuyé sur plusieurs arguments, le chassé-croisé diplomatique entre Alger et Paris des diplomates et des ministres, ses “propres contacts” avec son homologue, “une forte relance de la coopération économique” et “les échanges entre les sociétés civiles des deux pays”. Toutes ces réalisations se sont soldées, d’après lui, “par un très grand succès inattendu par son ampleur”.

Reconversion de la dette, coopération militaire : les preuves de l’investissement de l’Hexagone.

L’investissement de la France en Algérie ne relève pas d’un discours creux. En réponse à une question d’un journaliste sur les preuves palpables de l’engagement de son pays, Chirac a mis en avant la reconversion d’une grande partie de la dette algérienne, à hauteur de 61 millions d’euros. “Je sais, l’Algérie souhaite que la France aille plus loin et plus vite dans le domaine de la reconversion de la dette. Pour les autres dossiers, les choses se présentent assez bien. Le dialogue va s’intensifier très vite”, a promis l’orateur. Il a cité, entre autres secteurs “dans lesquels son pays peut apporter sa contribution”, les transports, l’eau, l’aéronautique et la recherche spatiale. Dans le domaine militaire, Chirac a fait valoir l’expérience algérienne dans la lutte contre le terrorisme, qu’il estime “utile”, notamment dans la région sahélienne, base arrière des groupes affiliés à El-Qaïda.

De la “Déclaration d’Alger” au “Traité d’amitié”

“La France est aux côtés de l’Algérie dans ses efforts de développement et contribuera à son intégration dans l’espace méditerranéen”. L’engagement est sans équivoque.
La détermination du président français à promouvoir une relation privilégiée tient aussi dans son désir à transformer “la Déclaration d’Alger” - mars 2003 - en “traité d’amitié”. “Il serait justifié aujourd’hui de transformer la déclaration d’Alger en un traité d’amitié”, a-t-il annoncé devant les représentants des médias.
Le renforcement du partenariat entre les deux pays est d’ailleurs l’un des deux points à l’ordre du jour de sa visite.
Le premier est lié à la réélection de Bouteflika. À ce propos, Chirac est venu conforter le plébiscite de Bouteflika.

Élection présidentielle : le quitus de Chirac

En 1999, le Quai d’Orsay avait exprimé des réticences sur l’élection de Bouteflika en considérant le retrait de ses concurrents comme une entache à la probité de la consultation. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
En dépit des protestations soulevées par les adversaires du président-candidat quant à la pratique d’une fraude généralisée, les autorités françaises, autrefois promptes à y mettre leur grain de sel, se sont abstenues de réagir.
Au contraire, elles se sont empressées de saluer le vainqueur et les conditions dans lesquelles s’est déroulé le scrutin. Le locataire du palais de l’Élysée est catégorique. Il le clame : “L’Algérie a tenu à ce que des observateurs internationaux suivent le déroulement des procédures électorales, comme cela se fait ordinairement à la demande des pays qui le souhaitent. Ces experts ont fait leur rapport. Ils ont indiqué que cette élection, en dehors des incidents normaux qui se passent dans toute consultation électorale, est conforme aux règles de la démocratie. Je ne vois pas en quoi je pourrais me substituer à ces experts respectés et mandatés pour apporter un jugement.
Mon jugement serait personnel et orienté. Je tiens comme acquis ce qui est, en plus, une large victoire qui aurait pu être contestée à 50-50 (...) Je ne vois pas comment, de bonne foi, on peut contester cette élection”. Pour le reste, le président est aussi assuré sur les progrès de l’Algérie en matière de démocratie. Exemples.

Liberté d’expression : “La presse n’est pas unanimiste”

La défense de la liberté de la presse a toujours été un souci primordial pour les Français.
Cependant, dans le cas de l’Algérie, cette préoccupation ne semble plus à l’ordre du jour, du moins pour le président Chirac. “La lecture de la presse très diversifiée ne me paraît pas relever d’un quelconque unanimisme”, a-t-il constaté.

Statut de la femme :“Bouteflika sur la voie de Mohamed VI”

Interpellé sur la situation de la femme en Algérie et son éventuelle intervention pour sa reconsidération, comme dans le cas du Maroc, le chef d’État français a commencé par préciser qu’il “n’a pas encouragé” le souverain alaouite à opérer la réforme de la moudawana, même s’il l’approuve.
De même, il s’est défendu de vouloir préconiser un modèle pour l’Algérie. “Le président Bouteflika va dans cette direction”, a-t-il dit.

Sahara occidental : une affaire algéro-marocaine

Fidèle à sa position, la France considère le problème du Sahara occidental comme une affaire algéro-marocaine. “Ce problème doit trouver une solution progressive dans le cadre de l’intégration maghrébine. Il relève de l’appréciation des deux parties. La France ne pose aucune difficulté entre l’Algérie et le Maroc”, a souligné Chirac. Concernant l’initiative de Bush pour le Grand Moyen-Orient, il dira : “On n’impose pas la démocratie.”
Le projet de l’administration américaine du “Grand Moyen-Orient”, voilà une initiative qui doit beaucoup contrarier Paris. Dessiné dans le cadre d’un élargissement de l’influence de Washington dans le Maghreb, longtemps considéré comme une chasse-gardée française, ce projet déplaît à Chirac. “Toute initiative devrait, pour être efficace, préalablement permettre un progrès substantiel de la paix au Proche-Orient”, a-t-il expliqué.
Et de renchérir : “Toute impulsion donnée à la démocratie est tout à fait souhaitable, mais ne s’impose pas. Ce sont des pays différents qui relèvent de systèmes différents et qui ne peuvent pas appliquer telle ou telle méthode.” Le président français a indiqué que cette opinion est partagée par son homologue algérien.

Au cours de sa conférence de presse, Chirac abordera des sujets de l’actualité internationale, à l’instar du bourbier irakien, la Palestine et la proposition de négociation du chef d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden.
A ce sujet, il est catégorique : “Pas de tractations avec les terroristes.”

Au bout de 45 min, l’hôte de l’Algérie a interrompu sa rencontre avec les journalistes. Il devait prendre l’avion pour Paris. Chirac sera accompagné à l’aéroport par un Bouteflika encore obnubilé par son triomphe électoral.

Samia Lokmane, Liberté