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La loi du port du "foulard" en France : L’épée de Damoclès

lundi 24 mai 2004, par Hassiba

La grande agitation, minutieusement provoquée par les autorités publiques, concernant la loi du port du "foulard" en France étant maintenant close, il est temps de revenir aux choses beaucoup plus sérieuses.

En discutant de l’inconstitutionnalité de cette loi adoptée le 10 février 2004, par l’Assemblée nationale française et le 3 mars 2004 par le Sénat, cette loi porte le titre ambigu suivant « Loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenus manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. »Afin de procéder à une étude concise et précise, il est entendu que seul l’aliéna 1er est sujet à critique, il s’agit du texte suivant : « art. L. 141-05-01 dans les « écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit... » L’agitation qui a gagné la société civile française sur la question du foulard que la quasi-totalité des discours a qualifiée en insistant sur l’utilisation du « voile » à l’effet d’impressionner l’opinion publique, me donne la vive impression que la droite risque de subir d’autres échecs. Ces échecs risquent d’être lourds surtout que la gauche garde, subrepticement, pour l’instant, un silence éloquent et cela depuis son approbation de la loi contre le port du foulard. Le législateur français a fait preuve de témérité sur le plan des relations avec les citoyens et les résidents de confession musulmane.

Maintenant, juridiquement, la fameuse loi plane comme l’épée de Damoclès sur les têtes d’humbles « petites gens ». Pourtant, elle est inconstitutionnelle pour deux motifs essentiels, déterminants : Cette loi aggrave le déchirement du pacte républicain par ses propres défenseurs, notamment par la violation de la Constitution française et de la convention relative aux droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en novembre 1989. Elle risque, dans son contexte d’application, de provoquer une vague d’agitation sociale, liée au caractère discriminatoire fortement exagéré de ses dispositions. La loi sur l’interdiction du foulard, aux dispositions audacieuses, est en vérité inconstitutionnelle dans la mesure où elle heurte les fondements mêmes de la laïcité. La laïcité, introduite, simultanément au développement industriel et social, au lendemain de la Révolution française, qui a servi d’ensemble à la libération des pays modernes, est fondée juridiquement sur deux principes fondamentaux :

 Premier principe

La séparation du temporel et du spirituel : qui suppose l’indépendance effective et inéluctable entre ces deux éléments et, en d’autres termes, entre l’Etat dans son triple pouvoir législatif, exécutif et judiciaire et le clergé dans son pouvoir purement moral et spirituel.

 Second principe

La liberté de conscience et de culte : renforcée par l’intransigeante nécessité de la neutralité des services publics.

Cette laïcité a permis à la France, à l’Europe et aux pays occidentaux, par imitation, de se libérer de l’étau du clergé, cela entraîna la modernisation de ces pays. Or, l’institution du foulard dans la société musulmane ne relève en aucun cas du temporel mais, au contraire, sa prescription relève des dispositions du livre sacré de la religion musulmane le Coran au verset 59 du chapitre 33 appelé Les Coalisés et au verset 31 du chapitre 24 intitulé La Lumière. Nous devons tous être convaincus que le port du foulard est une obligation impérieuse de la religion musulmane. Il est vain de tergiverser et de semer le doute sur cette question. Cette prescription sur le port du foulard permet avant tout d’exprimer les sentiments de pudeur de la femme musulmane et a fortiori de la jeune fille. Dès lors, n’est-ce pas que la pudeur relève de la moralité des personnes, domaine strictement réservé à la spiritualité ?

Maintenant, dans la mesure où le législateur français se permettrait de légiférer, en tant que pouvoir temporel, dans un domaine qui relève du spirituel, cela constitue une violation, extrêmement grave, du principe même de la laïcité que ces autorités sont censées défendre.
Comment pouvoir défendre la laïcité en procédant à la violation de son fondement essentiel, de sa pierre angulaire qui résident dans l’incantation du principe de la séparation du temporel et du spirituel. Il existe dans cette hypothèse une contradiction juridique fondamentale portant violation caractérisée et délibérée de la Constitution française que ni le Conseil constitutionnel ni même le Conseil d’Etat français ne sauraient tolérer, tôt ou tard. En effet, l’article 2 du titre premier de la Constitution française du 4 octobre 1958 dispose que « la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale, elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances... ».

Or, il apparaît que les dispositions de l’article L. 141- 05-01 enfreignent délibérément les principes constitutionnels suivants :

 1- l’alinéa 2 de l’article 1er de cette loi n’assure pas l’égalité devant la loi, vous le savez tous. Il ne s’applique qu’à une catégorie de citoyennes et de résidentes : celles qui sont de confession musulmane. Pensez-vous sérieusement que les autorités françaises oseraient briser les chaînes auxquelles sont suspendues les croix de l’Evangile, au cou des enfants et des jeunes filles chrétiennes : ces gestes en eux-mêmes sont considérés comme traumatisant la personnalité de chacune des personnes intéressées et de façon durable et indélébile ? Pensez-vous qu’un ressortissant français exerçant une autorité administrative ou disciplinaire, à l’intérieur comme à l’extérieur des écoles et des collèges, oserait mettre sa main sur les kippas de citoyens de confession judaïque ? Je vous assure qu’il y renoncerait rapidement en se trouvant des excuses de toute sorte.

 2- Il existe bel et bien une distinction d’origine, de race et surtout de religion dans les dispositions de cette nouvelle loi, dans la mesure où seules les jeunes filles musulmanes seront frappées par cette interdiction. Supposons un instant, qu’un Etat musulman décide, par réciprocité, d’interdire à l’ensemble des chrétiens de porter, en toutes circonstances, leurs habits et leurs signes religieux. Vous savez cela pourrait facilement arriver !

 3- La loi L. 1415-1 ne respecte pas la croyance musulmane dans la mesure où seules les petites filles et les adolescentes musulmanes sont concernées par ces dispositions.
Cela me rappelle un principe que j’ai pu, par expérience, apprendre avec une grande surprise : Les jeunes filles ne craignent par l’adversité en dépit de leur nature douce et paisible. Vous savez, elles vous donneront une quantité incommensurable de fil à retordre, en réaction au caractère discriminatoire dont vous faites preuve, ostensiblement, à leur encontre.

 4) Vous vous rendez compte ? L’interdiction vise des personnes non encore adultes, mineures et de sexe féminin. Ce qui donne l’impression que les futures femmes citoyennes vont être traumatisées dès leur jeune âge.
A l’ère où la femme acquiert une émancipation originale et déterminante, par un comportement singulièrement avilissant qui attise la haine, la loi renvoie la jeune fille musulmane citoyenne française, résidente ou postulant à l’acquisition de la nationalité, au statut de plébéienne en portant atteinte au principe de la liberté de conscience et de culte.

 5) La neutralité des services publics ne peut être assurée maintenant et le sort de ces jeunes filles va être livré aux caprices de personnes humaines, à l’erreur humaine, à l’anonymat de l’administration.
Par ailleurs, et cela constitue l’une des principales critiques juridiques de cette nouvelle loi : l’interdiction est imposée à des enfants et aux plus âgées de ces jeunes filles qui sont les adolescentes, toutes mineures civilement. Et pourtant, la France a ratifié la convention relative aux droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989. Elle doit respecter les dispositions de cette convention dont les principales peuvent être résumées de la manière suivante :
 La non-discrimination prévue à l’article 2 ;
 l’intérêt supérieur de l’enfant prévu à l’article 3 ;
 l’opinion de l’enfant : l’enfant a le droit, dans toute question ou procédure le concernant, d’exprimer librement son opinion et de voir cette opinion prise en considération (article 12).

(...) Je me demande dans quelle mesure la France et sa droite, en voulant imiter les grandes initiatives gauliennes de l’après-guerre, n’accentueraient pas leur entrée dans le cercle infernal du commencement de la fin, a fortiori, en raison de sa position de fragilité économique et sociale, actuellement, au sein de l’Europe : une croissance économique indécise, une politique de santé déficiente, un déficit de la sécurité sociale estimé à 13 milliards d’euros, un chômage implacable et indéracinable, un mécontentement politique et social indéniable. A cette fragilité économique, d’autres réactions risquent de s’ajouter : les élections européennes attendent leur tour en vue de sanctionner les autorités au pouvoir. En outre, je crains beaucoup les réactions de la jeunesse des banlieues de proximité. Je crains une série de mouvements de protestation indéfinissables. Ce serait une bêtise humaine. (...) L’émancipation des jeunes filles ne s’obtient pas par l’humiliation, par la dissuasion, la répression, la coercition ; elle se gagne par la conquête des droits elles s’arrache avec fierté, la tête haute. Je suis convaincu que la durée de la focalisation de la campagne sur le « foulard » va entraîner des conséquences fâcheuses sur le monde scolaire en entier. Vous avez semé le vent, il est très probable que vous récoltiez la tempête. En écartant de l’école les jeunes filles portant le « foulard », cela facilitera la tâche des extrémistes. La meilleure façon de lutter contre les extrémistes ne réside pas dans l’exclusion des jeunes filles de l’école et du collège mais plutôt en leur donnant la culture, la science, l’instruction civique, l’amour d’autrui au sein de l’école laïque qui, par essence, doit assurer l’unité des élèves et non pas leur division.

Par Dr Akkacha Mahieddine
Maître de conférences à la faculté de droit de Ben Aknoun
Université d’Alger, El Watan