Accueil > ALGERIE > La lutte anti-terroriste face à l’information en continu

La lutte anti-terroriste face à l’information en continu

jeudi 10 mars 2005, par Hassiba

A la conférence de Madrid sur « Démocratie et terrorisme », les experts s’inquiètent de l’utilisation par les milieux radicaux de l’Internet et des chaînes d’information.

L’utilisation par les terroristes et leurs sympathisants des médias modernes, chaînes de télévision en continu et Internet, pose un problème quasi-insoluble à ceux qui les combattent, ont estimé à Madrid des experts internationaux à l’occasion de la conférence « Démocratie et Terrorisme ». Face à des technologies ignorant frontières et censures, qui évoluent sans cesse et que les milieux radicaux et terroristes utilisent chaque jour davantage, les démocraties manquent de moyens d’action et vont devoir faire preuve d’imagination, expliquaient-ils. « Environ cinq mille sites web liés au terrorisme et à la propagation de la haine ont été recensés l’an dernier, une augmentation de 25% par rapport à l’année précédente », assure le rabbin américain Abraham Cooper, qui supervise au sein du centre Simon Wiesenthal de Los Angeles un groupe de surveillance de l’Internet. « Le web est désormais un champ de bataille crucial, il a changé totalement la donne. Désormais, n’importe quel événement local peut potentiellement avoir un impact mondial ».

"Mieux vaut maîtriser l’Internet que le coran"
Dans les milieux de l’islamisme radical, l’émergence et le développement de l’Internet, associés à la montée en puissance des chaînes d’information arabes en continu, a tout bouleversé, assure le chercheur français, spécialiste de l’Islam, Gilles Kepel. « L’internet désormais est LE moyen de communication », explique-t-il. « Il crée en temps réel des espèces de réseaux de solidarité, d’inter-connaissance et de compréhension tout à fait significatifs ». « Il vaut mieux aujourd’hui, pour un prédicateur islamiste, bien maîtriser l’Internet que d’avoir étudié le Coran pendant cinquante ans. Le pouvoir, c’est l’accès au net. Il n’y a pas de Vatican dans le monde musulman : c’est quand on est capable d’élargir son emprise que l’on a du pouvoir. Avoir des sites, c’est ce qui construit l’influence politique et religieuse aujourd’hui dans le monde musulman ».

Médias cibles de manipulation
Dans les couloirs du centre de conférence de Madrid, où quelque 200 experts sont rassemblés cette semaine pour ce colloque, l’importance des médias dans l’équation terroriste est au coeur de bien des conversations. Le professeur de sociologie américain Mark Juergensmeyer, auteur notamment de l’essai « Au nom de Dieu, ils tuent », « il s’agit là d’un phénomène très complexe dans lequel les médias jouent un rôle central ». « Les médias ne sont pas seulement des rapporteurs de faits, ils sont aussi la cible de manipulations actives par les terroristes. Si la couverture des événements se fait sans précaution, ils deviennent le mégaphone que les terroristes veulent utiliser ».

Munich : le grand commencement
« Sans (la chaîne d’information arabe en continu) Al-Jazira, il n’y aurait pas d’Al-Qaeda », ajoute Gille Kepel. « Cela ne veut pas dire que c’est de la faute d’Al Jazira, mais que toute la pratique d’Al-Qaeda est pensée en fonction de ce genre de chose ». Le professeur américain de psychologie politique Jerrold Post, longtemps consultant pour la CIA, fait remonter à la prise d’otages des Jeux Olympiques de Munich, en 1972, « le premier acte qui a dramatiquement fait entrer le monde dans l’âge de l’information ». « Là, une poignée d’individus a été capable d’obtenir une audience de 2,5 milliards de téléspectateurs (...) Désormais, toutes les grandes organisations terroristes ont un “vice-président” chargé de la communication ». Dans les manuels terroristes que nous avons trouvés, il y a des chapitres entiers sur comment obtenir le maximum d’attention médiatique. Le cycle de l’information est expliqué, comment faire pour faire les gros titres des journaux du soir : c’est pourquoi il est si important de replacer tout cela dans son contexte. Rapporter en direct un événement terroriste, c’est faire le jeu de ses auteurs ».

Par AFP, www.liberation.fr