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La pauvreté en Algérie prend sa source dans le monde rural

dimanche 4 juillet 2004, par Hassiba

Le célèbre écrivain et journaliste franco-algérien Maurice Tarik Maschino, qui a revisité l’Algérie après plus de vingt années d’absence, remarquait avec force détails dans son dernier livre L’Algérie retrouvée à quel point les villes algériennes s’étaient ruralisées avec tout le lot de détresse et de désespoir que génère cette déferlante pauvreté essentiellement d’origine rurale.

Il suffit en effet d’aborder quelques personnes parmi les mendiants, SDF et exclus de tous bords, de plus en plus nombreux à Alger, pour être fixé sur l’origine rurale de l’écrasante majorité d’entre eux. Leur drame se confond avec celui plus large de l’agriculture traditionnelle en proie à une crise sans précédent, nourrie par une constante baisse des rendements agricoles exacerbée par le phénomène du terrorisme qui a affecté, comme chacun le sait, surtout les zones rurales. Les rendements, et par conséquent les revenus des paysans, ne cessent en effet de diminuer en raison du morcellement continu de leurs terres, du mode de faire-valoir resté archaïque et de la poussée démographique sur ces terres qui ont peu de choses à donner.

Le témoignage d’un vieux paysan kabyle qui s’accroche malgré son extrême pauvreté à sa terre résume parfaitement la situation : « Le demi-hectare que vous voyez et que je partage avec mes frères nous suffisait autrefois. Même si on n’était pas riches, on ne manquait ni de fruits ni de légumes. Au début des années 1980 nous avons abandonné, mes frères et moi, notre terre pour travailler dans une entreprise communale de travaux qui embauchait à tour de bras. Notre terre ne nous intéressait que pour construire nos logements, surtout qu’à l’époque le ciment et les matériaux de construction n’étaient pas chers. Près de la moitié de notre terre a servi à la construction de l’immeuble que vous voyez et qui ne sera sans doute jamais terminé. Car nous avons, mes frères et moi, perdu nos emplois à la suite de la dissolution de l’entreprise qui nous employait. Nous avons été obligés de revenir à notre terre qui n’arrive plus à nous nourrir, car les enfants sont plus nombreux et la surface agricole déjà très faible a été amputée d’une importante partie réservée à la construction de la bâtisse. C’est la misère. Mes frères plus jeunes que moi sont en quête d’un hypothétique travail en ville et moi je suis encore là. Je bricole. »

Le professeur Abdelatif Benachenhou a parfaitement mis le doigt sur l’origine du phénomène de la pauvreté en signalant dans son dernier ouvrage La modernisation maîtrisée que la pauvreté en Algérie est d’abord un phénomène rural qui affecte une partie des 1,8 million de ménages ruraux, notamment ceux qui ont le plus d’enfants. Les inconséquences de notre politique d’aménagement du territoire en seraient en grande partie responsables car si l’argent de l’Etat n’a pas manqué pour développer les infrastructures (routes, électricité, eau, équipements divers), ces dernières ont eu peu d’impact sur le développement rural du fait qu’elles ne sont pas intégrées à un schéma d’aménagement du territoire préalable réfléchi. Il est certes important et urgent de poursuivre l’effort de réalisation d’infrastructures d’autant plus que le terrorisme en a détruit une bonne partie, mais il faudrait surtout veiller à ce que le monde rural en tire profit. La massification de la pauvreté a également pour origine la modicité des salaires versés dans l’agriculture à ceux qui ont la chance d’avoir un emploi permanent ou saisonnier sur les terres agricoles du secteur public ou dans les exploitations privées.

Une enquête du ministère du Travail sur les salaires versés dans les entreprises économiques, le secteur de l’énergie et celui de l’agriculture, a révélé de criantes disparités en défaveur de ce dernier. Selon cette étude effectuée dans le courant de l’année 2003, le salaire mensuel moyen brut versé dans le secteur agricole ne dépasserait pas 12 000 DA, soit à peine un peu plus que les 10 000 DA du SMIG, alors que le salaire moyen versé dans les entreprises industrielles et de services se situe autour de 24 000 DA tandis que celui versé par les entreprises du secteur de l’énergie est d’environ trois fois le SMIG. Il n’est par conséquent pas étonnant de voir des travailleurs agricoles fuir ce monde de misère pour un hypothétique emploi qu’il pense avoir plus de chance de trouver dans les villes. Mais ils ne feront en réalité que grossir les rangs des chômeurs et des exclus qui les avaient précédés.

Le terrorisme qui continue à sévir, bien que dans une moindre mesure aujourd’hui dans notre pays, a surtout affecté le monde rural, contraint dans un premier temps à un isolement forcé, puis à la fuite vers des endroits mieux sécurisés généralement près des villes. Ce sera la première étape d’un exode qui se terminera dans les logements précaires ou insalubres des banlieues urbaines qui ont pris de ce fait une franche allure de douars. Une organisation internationale des droits de l’homme a récemment estimé à près d’un million et demi le nombre de personnes ayant fui leur résidence d’origine essentiellement rurale en raison du terrorisme. Il s’agit d’un déracinement d’une envergure comparable à celui qu’avaient provoqué les regroupements forcés de populations durant la lutte de libération nationale. Un déracinement dont il faudra assumer les conséquences aux plans économique, social, culturel mais également psychologique tant cet exode a généré des pertes de repères et de valeurs auprès des populations concernées. Les dégâts occasionnés aux équipements collectifs (écoles, mairies, entreprises locales brûlées) ayant amplifié la désolation qui prévalait déjà dans certains villages ruraux, il est bien évident que l’exode a toutes les chances de se poursuivre à moins que l’Etat ne face l’effort requis pour à la fois reconstruire ce qui a été détruit et développer encore davantage les infrastructures. La politique nationale d’aménagement du territoire devra être repensée pour donner plus d’importance au développement rural. Des mesures incitatives devront être mises en œuvre pour que le monde rural puisse capter le maximum de capitaux destinés au développement agricole (PNDA).

Le récent lancement d’un programme de proximité consistant à financer un millier de projets au profit de 180 000 ménages ruraux se trouvant dans 1045 localités du pays est un pas important dans cette direction. Mais en réalité, ce ne sera que lorsque les investisseurs, aujourd’hui concentrés presque exclusivement dans les grandes villes du pays, plus précisément celles du Centre, consentiront moyennant des avantages - que l’Etat doit absolument leur garantir - à investir dans les bassins d’immigration, que l’exode rural aura de réelles chances de prendre fin et pourquoi pas de voir s’inverser la direction des flux migratoires. Rien de bien sérieux n’a malheureusement été entrepris dans ce sens par les pouvoirs publics.

Par Nordine Grim, El Watan