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La presse algérienne et Bouteflika

mercredi 20 avril 2005, par Stanislas

Plus d’un an après la réélection du président Abdelaziz Bouteflika, le 8 avril 2004, le changement le plus remarquable en Algérie concerne la presse algérienne.

Finies, les "une" survoltées, les commentaires enflammés, les mises en cause publiques du président et de ses proches, les grands tirages se sont assagis. Si les caricaturistes continuent ­ en y mettant un sérieux bémol ­ à entretenir un semblant de flamme, l’heure est à la déprime, du moins pour les plus gros titres très engagés en 2003 et au début de 2004 contre la réélection d’Abdelaziz Bouteflika.

La mise au pas a été brutale au lendemain du 8 avril. Le 24 mai 2004, Hafnaoui Ghoul, journaliste à Djelfa (400 km au sud d’Alger) et militant des droits de l’homme, est placé sous mandat de dépôt à la suite d’une cascade de plaintes en diffamation. Il bénéficie finalement d’une liberté provisoire le 25 novembre 2004.

Le rouleau compresseur est encore plus rude pour Le Matin, le journal le plus en pointe du combat contre la réélection de M.Bouteflika. Le 23 juillet 2004, il cesse de paraître, ses locaux sont vendus pour payer une dette que le fisc exige brusquement. Son directeur, Mohamed Benchicou, auteur, l’année précédente, d’un pamphlet virulent contre le chef de l’Etat, se retrouve pris dans une affaire d’"infraction à la législation sur les changes". Il purge depuis le 14 juin une peine de deux ans de prison, en dépit de sérieux ennuis de santé. Depuis qu’il est sous les verrous, M. Benchicou a été extrait plus de vingt-quatre fois de sa cellule pour participer, en général le mardi, à ce que les journalistes surnomment par dérision le "club de la presse" du palais de justice.

"NAUFRAGE MORAL"

Constamment divisés pour des raisons politiques et idéologiques, incapables de se doter d’une organisation syndicale fiable, les journalistes et les patrons de journaux ne se rencontrent que dans les prétoires, où les poursuites judiciaires ne se comptent plus. Face à la reprise en main enrobée du sceau de la légalité, la profession n’oppose pas de vraie résistance. La mobilisation pour M. Benchicou ou pour dénoncer la reprise en main de la presse ne se font guère plus qu’à l’étranger. Le pouvoir n’a plus besoin de pratiquer la censure, les journaux, soucieux d’éviter des poursuites judiciaires harassantes, s’en chargent. Les écrits se font désormais déférents et les critiques sibyllines.

Le pouvoir, lui, ne désarme pas. Le 29 mars 2005, le président Bouteflika s’en est pris, une nouvelle fois, aux écrits "d’une presse mercenaire et non professionnelle qui défend le mal et monte l’opinion publique contre les magistrats". Cette charge virulente n’a pas empêché le journal El Watan, une semaine plus tard, d’évoquer une "détente crispée" entre le président et la presse algérienne.

Rachid Ksentini, le président de la Commission consultative des droits de l’homme (gouvernementale), lui, est d’une franchise désarmante : "La presse est de meilleure qualité depuis l’élection présidentielle", a-t-il déclaré récemment. L’affirmation de M. Ksentini a fait rire jaune dans de nombreuses rédactions. De meilleure qualité ? Les journalistes eux-mêmes en doutent, mais la presse est effectivement plus "sage", avec, de l’avis général, un retour dominant à l’"uniformément correct".

Reste que le manque de professionnalisme est réel en Algérie. Les universités ne préparent pas au métier, et les journaux ne font pas école non plus. Le commentaire politique, souvent incendiaire, prend le pas sur l’information et le reportage. Par ailleurs, les journalistes se sentent peu liés aux rédactions pour lesquelles ils travaillent. Très souvent, ils sont statutaires dans un quotidien et pigistes en même temps dans d’autres organes pour arrondir les fins de mois. Résultat : les journaux se ressemblent, et le nivellement se fait par le bas.

A tout cela s’ajoutent de graves problèmes d’éthique. L’affaire Khalifa en a été l’exemple le plus parlant. Toutes les rédactions savaient, début 2002, que le groupe était en faillite, mais l’information a été délibérément occultée. Les liens entre les patrons de journaux et l’ancien patron du groupe, Rafik Khalifa, ont joué au détriment du devoir d’informer.

L’affaire Khalifa a été un véritable "naufrage moral" pour la presse algérienne, estime ainsi El-Kadi Ihsane, journaliste indépendant. La presse algérienne regorge d’écrits aux relents racistes, antisémites, ainsi que d’omissions dictées par les amitiés politiques.

Une séparation d’intérêts entre journaux et milieux d’affaires ? C’est rarement le cas en Algérie. Le débat à ce sujet n’est même pas encore ouvert.

Source : lemonde.fr