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Le christianisme en Kabylie, mythe ou réalité ?

dimanche 6 juin 2004, par Hassiba

Aboudid, un village de deux mille habitants, à trois kilomètres en amont de Larbaâ Natdh Irathen, culmine à plus de 1000 m d’altitude.

C’est le sommet de la colline, rien entre ciel et terre, à part un réémetteur de radiodiffusion. Des relais GSM ont été également couplés à cette installation technologique si proche des habitants du village mais si distante de leur esprit. Depuis peu, les relais radio n’ont plus le monopole du ciel dans cette bourgade tranquille où il faut parcourir des centaines de mètres pour rencontrer un villageois pouvant vous renseigner.

« L’église ? C’est par là. Vous descendez ce chemin et vous-êtes », nous répond un jeune. On emprunte le chemin comme on dévale le flanc abrupt d’une colline. Le village disparaît derrière nous et c’est un vieil hangar planté au milieu d’un espace nu qui s’offre à nous. Un jeune homme, la trentaine, est assis sur un banc, à l’ombre, devant l’entrée de l’église. Entre les mains, le Nouveau Testament, « Le livre du semeur », un épi de blé en couverture. « Difficile de vous trouver », lançons-nous. « Dieux vous a guidé », répond-il avec un large sourire, semblant dire : « Impossible de vous égarer ici. » Hocine est gardien de nuit dans une entreprise publique et il parcourt chaque jour vingt kilomètres pour venir prier à Aboudid. Nous avons beau nous présenter en tant que journalistes, il s’adresse à l’homme en quête du chemin de Dieu. Il nous cite des psaumes et des citations des quatre Evangiles. « Appelez Dieu, il vous répondra, », dit-il. Difficile de ramener Hocine sur terre. Pour lui, ce lieu a toujours été une église et n’a jamais été un entrepôt d’une entreprise nationale qui a quitté ce village où il n’y a plus aucune activité. Sur l’autre versant de la colline, un ancien Souk El Fellah, également caché, n’a pas trouvé une seconde vie après sa fermeture. L’église de Hocine est une vaste salle désaffectée, une large croix peinte sur la parroi au fond de la salle et quelques dizaines de chaises entreposées sur le côté gauche. Les lieux sont bien entretenus, mais les gravats dégagés du hangar restent stockés dans un coin, à l’extérieur du grand local. Il y a plus de foi que de moyens, et parmi les visiteurs, plus de journalistes que de personnes à la recherche des textes sacrés. Un office se tient le vendredi à 10 h, nous apprend Hocine. Il nous invite à venir assister. Nous comprenons qu’il faut venir en converti, ce qui est plus compliqué qu’une mission professionnelle. Du reste, nous n’exprimons pas le vœu d’entrer dans la salle de prière. Un lieu de culte, on y entre en croyant ou on n’y entre pas, a-t-on lu dans le regard de notre vis-à-vis. Les flâneurs ou les enquêteurs ne sont pas les meilleurs visiteurs des lieux.

Frère Aziz

« Voici le frère Aziz, il pourra vous parler », nous dit Hocine. Aziz arrive, la quarantaine vigoureuse, lunettes et complet gris.
Malgré sa mise, il n’exerce pas de fonction particulière dans la vie de tous les jours. Les questions concrètes ne le captivent pas, tout comme son coreligionnaire. Il préfère s’adresser lui aussi à l’homme, pas au journaliste. De la poche intérieure de sa veste, il sort un exemplaire du Nouveau Testament et nous le tend. « Tenez, Amen ! », dit-il simplement, avec la satisfaction non dissimulée de pouvoir nous aider au pied levé. Nous écoutons un prêche de quelques minutes. Nous tentons quelques question. « Que faites-vous dans la vie ? » « Je travaille », répond-il. « Où habitez-vous ? » « J’habite ici. C’est la maison de Dieu ». Inutile de continuer, toutes nos questions retombent dans l’intemporel. Servir de lieu de stockage pour une entreprise commerciale n’a été qu’un simple accident de parcours pour ce grand local qui semble être fait pour abriter des âmes en quête de spiritualité. Un silence absolu propice au recueillement. Au Sud, le massif nu du Djurdjura. Au Nord, rien, à part le chemin qui remonte vers le monde habité du village. Difficile d’imaginer que ces lieux fourmillent de monde un jour par semaine. « La salle se remplit », atteste Hocine. Les gens viennent de plusieurs villages environnants pour le jour de communion du vendredi, ajoute notre interlocuteur. La lecture des textes se fait dans « toutes les langues », nous dit-il, et cela dans la tradition de leur doctrine. Le français et le kabyle sont en fait les deux langues utilisées lors des réunions rituelles. Le boucan médiatique qui a éclaté dernièrement est arrivé aux oreilles des convertis. Ils s’en détournent. Il préfèrent parler des quatre Evangiles et du Christ et évitent d’évoquer les vicissitudes terrestres. « Je vous parle mais ne faites pas comme ceux qui se sont attaqués à nous dans les journaux. Il y en a qui se sont attaqués à nous, Dieu les bénisse », dit Aziz. « Vous bénissez ceux qui s’attaquent à vous ? », demandons-nous. « Oui, Dieu a dit : Bénissez ceux qui vous maudissent et ne maudissez jamais ». Aziz ajoute : « Mais ne peut bénir que celui qui est habité par le Saint Esprit ». Il nous apprendra que leur église est pentecôtiste, un mouvement protestant caractérisé par une croyance en l’expérience de la sainteté et de la perfection chrétienne

Exagération

A. Aboudid, les cris d’alarme poussés ces dernières semaines trouvent difficilement leur justification. L’on a parlé de « prolifération » des églises, de menaces sur la cohésion sociale, de tensions et même de dépressions. Dans ce village de Larbaâ Nath Irathen, la mosquée construite par les villageois est toujours aussi fréquentée que lors de son ouverture. Aucune tension ou friction n’a jamais été signalée ou remarquée, témoigne-t-on. Les « jours de communion » du vendredi matin organisés à l’église sont très loin de provoquer des malaises ou troubles. L’agressivité dont font preuve certaines voix lointaines qui mettent en garde contre l’évangélisation dans la région ne trouve aucun écho dans ce village installé dans une tranquillité séculaire. Est-ce un « phénomène nouveau » ou une simple résurgence d’une religion oubliée ? Ces interrogations n’habitent pas les gens de ce village ni plus pauvre ni plus riche que les autres, où la liberté de culte est consacrée dans les mœurs. Les églises n’ont ouvert que depuis quelques années, mais la foi chrétienne a en réalité deux millénaires d’âge dans les anciennes provinces de l’Empire romain qui ont vu naître le premier grand philosophe chrétien de l’histoire, saint Augustin. Dans ces petits hameaux autour de Larbaâ Nath Irathen, le visiteur est frappé par ces femmes qui se déplacent péniblement, ployées sous un lourd fardeau, une bouteille de gaz ou un jerrican d’eau. Nous sommes en 2004 et le « chemin » est toujours aussi ardu qu’au début de l’ère chrétienne. Aziz remet les pendules à l’heure de la bible. Zéro animosité et profession maximale de la foi chrétienne. Il rappelle la conduite à tenir dans l’adversité : « Si on vous agresse, ne répondez pas, sinon Dieu vous reniera. Si on vous donne une gifle, tendez l’autre joue. Si on vous enlève la veste, donnez la chemise, si quelqu’un veut marcher avec vous sur un kilomètre, accompagnez-le sur deux kilomètres ». Nous quittons l’église. Hocine reste sur le banc à lire les psaumes avec pour seuls témoins le ciel et le Djurdura. Aziz nous accompagnera sur quelques centaines de mètres, à la sortie du village, où il hélera lui-même un taxi de passage. « Revenez vendredi. Vous serez une nouvelle créature du Christ », lance-t-il. Nous acquiesçons avec une conviction aussi détachée que son affirmation d’habiter l’église. Il rentre chez lui sans faire attention au sourire amusé des créatures de la montagne kabyle.

Par D. Tamani, El Watan