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Le commandant Hadj Tahar Dalaa n’est plus

Devoir de Mémoire

samedi 13 mars 2004, par Hassiba

Le commandant Abdelkader Dalaa, dont le prénom de guerre était Si Tahar, nous a quittés mardi dernier, subrepticement si je puis dire, sans bruit et sans déranger personne, à l’image de sa vie de militant et de combattant de la liberté, toute de discrétion, d’effacement et de renoncement aux feux de la rampe.

J’ai eu le plaisir de le connaître et de le découvrir, peu à peu, dans ses qualités de militant responsable quand il est venu, en septembre 1959, rejoindre la Mission du GPRA qui venait d’être installée dans la capitale marocaine à la suite de la proclamation du Gouvernement provisoire, en septembre 1959. C’est le regretté Abdelhafidh Boussouf qui l’avait personnellement choisi pour assumer la lourde tâche des affaires militaires au sein de la Mission, avec le grade de commandant et le titre d’attaché militaire.

J’avoue que, de prime abord, il ne m’avait pas fait une grande impression. Il parlait peu et ne fréquentait personne. Par contre, il savait écouter les autres. Ce n’est que progressivement que j’ai pu me rendre compte que Boussouf avait eu raison de choisir un homme aussi remarquable pour une tâche aussi difficile. C’est que, déjà à cette époque, c’est-à-dire en 1959, le principal du fardeau de la Mission reposait sur ses épaules. Il s’occupait en effet de l’armement. A ce titre, il supervisait le fonctionnement et veillait à la bonne marche des trois ou quatre petites usines de fabrication d’armes que Boussouf, assisté de Zeggar, Mansour Boudaoud et Djelloul Malaïka (entre autres), entretenait à Casablanca et dans la région de Rabat et de Khemisset. C’est si Tahar également qui s’occupait de la réception des cargaisons d’armes qui réussissaient à franchir les barrages de la marine française avant d’arriver à Tanger, Casablanca ou Nador.

Ce fut le cas, fin 1960, du « Bulgaria », qui avait réussi miraculeusement à échapper à la vigilance de la marine de guerre française jusqu’au détroit de Gibraltar. C’est là en effet que le commandant de ce bateau bulgare a réussi à fausser compagnie au sous-marin français qui l’accompagnait, en se réfugiant à toute vitesse à Tanger, tout proche. Aussitôt entré dans le port, il faut le dire pour la petite histoire, les 200 semi-remorques, préparés par le commandant Si Tahar, étaient rangés là, bien en ordre, sur les quais. Aussi, le déchargement a-t-il pu commencer immédiatement. Faut-il ajouter pour l’histoire que le Général Dlimi (DGSN) était là également pour prêter assistance et organiser la protection du « Bulgaria » dans le port de Tanger avec des hommes-grenouilles des FAR. El-Hoceïma, ville martyre du récent séisme dans le Nord marocain, fut la première étape de l’évacuation gigantesque de cette cargaison d’armes et de munitions que Boussouf et ses équipes avaient acquises en Tchécoslovaquie et convoyées jusqu’à Tanger.

Le regretté Mohamed El-Alem était gouverneur à El-Hoceïma à ce moment-là. C’est grâce à lui que des armes et des équipements sophistiqués et sensibles ont échappé à la confiscation par les services spéciaux du Roi.

Si Tahar avait d’autres qualités. On peut dire qu’à l’époque il était au sein de la Mission du GPRA l’homme le mieux informé de la situation dans le royaume. Il était au courant de tous les remaniements ministériels, des conférences gouvernementales comme des zizanies au sein de l’Istiqlal, des déplacements du Roi à l’intérieur du pays ou à l’étranger. Il savait également tout ce qu’on disait et même ce qu’on projetait à l’endroit de l’Algérie combattante, que ce fût pour l’aider ou pour contrecarrer ses initiatives et ses entreprises. Comment faisait-il pour collecter tant d’informations pertinentes et tant d’indications précises pour l’Etat-Major et pour le gouvernement algérien ? Personne ne peut répondre. Souhaitons simplement que les Mémoires qu’il a confiés à ses enfants nous révéleront le mystère de ses prouesses. Si Tahar n’avait pas fait d’études universitaires ni suivi des stages dans les écoles militaires étrangères. Pourtant, il fut un parfait attaché militaire. En vérité, sa formation, son caractère, son sens aigu de l’efficacité, il les devait d’abord à sa longue expérience dans les rangs du PPA, d’abord, et dans ceux du FLN et de l’ALN ensuite. A partir de novembre 1954, Si Tahar, organisateur infatigable et courageux jusqu’à la témérité, entreprit, de concert avec d’autres frères, de préparer Sidi Bel-Abbès et ses environs à la lutte armée. A ce propos, il faudrait peut-être rappeler que jusqu’à octobre, toute l’Oranie est restée zone dormante, sans activité opérationnelle majeure, par décision des 22, avant même le déclenchement de la guerre de libération nationale. En effet, il fallait absolument que la wilaya V restât une zone de transit des armes qui devaient être débarquées sur les côtes rifaines marocaines.

D’ailleurs, c’est ce qui est arrivé en octobre 1955, quand le « Dina », subtilisé quelques semaines auparavant à Alexandrie par les commandos de Ben Bella, assisté de frères égyptiens, est parvenu enfin au large de Nador, sur la côté rifaine, avec à son bord une cargaison précieuse d’armes et de munitions ainsi qu’un groupe de jeunes volontaires, parmi lesquels un certain Mohamed Boukharrouba.

Quelques semaines après, toute l’Oranie était à feu et à sang. Survenant après les évènements d’août 1955 à Skikda et dans le nord-est de notre pays, cette offensive de l’ALN dans toute l’Oranie plongea l’état-major français dans un complet désarroi.

C’est à ce moment-là très précisément que la France a décidé le retour de Mohammed V sur son trône (mars 1956). C’est à ce moment-là aussi que se disloque le front algéro-marocain de la lutte qui, à partir du Rif, devait diriger les opérations en vue de la libération de l’Oranie et du Maroc en même temps.

Tu étais partie prenante, frère Si Tahar, dans tous ces évènements. Je les rappelle uniquement pour dire, bien maladroitement, que tu as été un authentique militant, du début jusqu’à la fin de la guerre nationale.

Dors en paix, Si Tahar. Tes frères ne t’oublieront jamais

Abdelkader Bousselham, Le Quotidien d’Oran