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Le drame d’un Algérien emprisonné au Danemark

dimanche 13 mars 2005, par Stanislas

La veuve du chahid Mustapha Bekkouche et ses deux filles avaient les larmes aux yeux et pour cause : Nouredine, le fils unique, après avoir été incarcéré pendant neuf mois au royaume du Danemark dont une bonne partie dans la prison de haute sécurité de Nyborg, risque une nouvelle condamnation.

La famille Bekkouche crie à une injustice que subit son fils Nouredine âgé de 51 ans et accuse dans toute cette affaire le père de l’ex-épouse de ce dernier, un commissaire adjoint de la police à Naestved, une ville située à une centaine de kilomètres de Copenhague.

Mercredi dernier, Nouredine Bekkouche a été placé en détention provisoire par le tribunal de permanence de Copenhague pour une période de 27 jours en attendant un nouveau procès et une nouvelle condamnation à la prison ferme. « Je suis prêt à passer trente ans de ma vie en prison que de voir les petits-enfants du chahid Bekkouche s’appeler Jensen », disait au téléphone à partir de la prison de haute sécurité de Nyborg, il y a quelques jours, Nouredine à sa soeur aînée. L’homme refusait, mercredi dernier, devant la justice danoise de faire revenir ses deux fils âgés de 13 et 12 ans d’Algérie et de les remettre à leur mère danoise Lene Jensen.

Il devait être libéré à la fin du mois de mars, mais voilà devant son refus de remettre ses enfants à son ex-épouse, il risque encore de faire de la prison. Comment Nouredine en est arrivé là ? Sa mère et ses deux soeurs racontent.

Nouredine Bekkouche émigrera en 1981 - il était âgé de 28 ans - au royaume du Danemark. Il s’installa à Copenhague où il commença à travailler et s’intégra très vite dans la vie sociale danoise. En 1991, il épouse une citoyenne danoise Lene Jensen. De cette union naîtront deux garçons, 13 et 12 ans actuellement, et tout se passait bien dans cette petite famille qui vivait à l’aise d’autant mieux que Nouredine exploitait une supérette qui la mettait à l’abri du besoin. Mais la vie simple et heureuse que menait le couple et ses enfants tournera vite au cauchemar quand Lene, après avoir poussé son époux à vendre la supérette, trouva un emploi durant l’année 2000 en qualité d’agent de saisie dans une entreprise. Depuis, Lene rentrait tard chez elle, laissant ses enfants livrés à eux-mêmes. Constatant que son foyer allait à la dérive, Nouredine demanda à plusieurs reprises à sa femme de cesser ce genre de comportement irresponsable.

Mais les choses ne sont pas allées comme le voulait Nouredine puisque Lene continua à faire la sourde oreille et devant l’insistance de l’époux fera appel à son père, un commissaire adjoint de la police de Naestved. Ce dernier au lieu de ramener le couple à de bons sentiments ne trouva mieux que d’enlever les deux garçons du foyer parental pendant dix jours. Les deux malheureux devaient faire un trajet de plusieurs dizaines de kilomètres pour rejoindre chaque jour leur école. Bien mieux, son épouse sur l’instigation de son père finira par s’installer avec les deux enfants dans un studio à Copenhague. Le conflit conjugal ne fera alors que durcir et Nouredine ne savait plus s’il était marié ou divorcé ; toutefois, pour ses enfants, il continuait à accuser le coup en espérant que tout finirait par rentrer dans l’ordre.

« Depuis 1993 Nouredine, sa femme et leurs enfants venaient passer leurs vacances à Constantine », nous dira Ma Yasmina, sa mère, précisant que depuis 1994, à cause du terrorisme qui sévissait en Algérie, la famille allait à leur rencontre en Tunisie. Ceci pour souligner qu’en 2003 Lene avait volontiers demandé à la soeur aînée de Nouredine de venir à Copenhague ramener les enfants passer leurs vacances en Algérie chez leur grand-mère. Elle lui paya même le billet d’avion entre Paris et Copenhague et retour. Le voyage avec les enfants se passa sans problèmes. C’était le 15 juin 2003, nous dira la soeur aînée qui les avait accompagnés depuis la capitale danoise jusqu’à Constantine où ils devaient passer un séjour jusqu’au mois de septembre.

A l’appui de ses propos, notre interlocutrice nous montra l’autorisation paternelle et les souches des billets d’avion.

Au mois d’août de cette même année, alors que les enfants passaient un agréable séjour en Algérie chez leur grand-mère et leurs tantes, leur père Nouredine qui travaillait au célèbre parc d’attractions Tivoli de Copenhague fut arrêté par deux policiers danois sur le lieu même de son travail. Menottes aux poignets, il sera dirigé comme un vulgaire voyou au commissariat où il apprendra que son beau-père et son épouse venaient de déposer une plainte contre lui pour enlèvement de ses propres enfants. Bien entendu, nous diront nos interlocutrices, c’est son beau-père qui était derrière cette véritable machination. Nouredine restera en garde à vue pendant 24 heures, son passeport lui fut retiré ainsi que d’autres papiers.

Présenté devant le juge, celui-ci constatant l’absurdité des accusations et l’absence de toute preuve corroborant la plainte l’a acquitté sur-le-champ. Mais il ne sera pas au bout de ses peines puisque, à la suite de son arrestation par la police au parc où il travaillait, son employeur le licenciera manu militari. Il apprendra, après, que son épouse avait obtenu un jugement de divorce et également la garde des deux enfants sans qu’il sache trop comment. Son beau-père et son épouse n’en continuèrent pas moins à le harceler et à le menacer. Finalement, ils décidèrent de lui acheter un billet d’avion pour qu’il aille ramener les enfants d’Algérie. Le 17 août Nouredine arriva à Constantine avec une simple valise en ayant tout laissé derrière lui. Complètement déprimé, il n’avait qu’une idée en tête, rester auprès de sa famille et ses deux enfants en attendant qu’une solution soit trouvée à cette situation.

Il avait désormais peur de revenir au Danemark. Il avait peur pour sa sécurité même, n’a-t-il pas perdu son logement, son travail ? Nouredine laissa ainsi les choses se tasser mais décida finalement de retourner au Danemark pour trouver une solution à la situation de son couple et de ses enfants et pourquoi pas régulariser sa situation. Il prit attache avec son ex-épouse et l’informa de son intention. Elle lui fixa un rendez-vous à la gare de Copenhague. Le 31 mars dans la soirée, il est au lieu du rendez-vous. Quelle ne fut sa surprise quand il trouva Lene Jensen accompagnée de son avocat. Se sentant trahi, il se dirigea vers le commissariat de police estimant être dans son bon droit et de surcroît en pays de démocratie et d’équité.

Mal lui en prit, il se retrouva sans trop comprendre comment au fond d’une cellule. Il passera 48 heures en garde à vue dans les locaux de la police. Présenté devant les juges, il sera alors condamné à une année de prison ferme sous le chef d’accusation d’enlèvement et de séquestration d’enfants. Ses propres enfants. Qu’à cela ne tienne, Nouredine refusait de voir ses enfants algériens déracinés et perdre leur identité même s’il devait passer le restant de ses jours en prison. Sa soeur aînée nous expliquera alors qu’une loi au Danemark permet à ses citoyennes divorcées et ayant la garde des enfants de leur donner leurs propres patronymes à la place de celui du père.

Par ailleurs, une consultation sur le cas de Bekkouche Nouredine, demandée par l’ambassade d’Algérie au Danemark à un avocat membre associé de l’académie internationale de droit comparé, a été rendue le 17 février dernier. L’avocat souligne que cette affaire comporte deux aspects suivant qu’il s’agit du cas pénal ou de son caractère civil. « Si le tribunal qui a condamné Bekkouche Nouredine à un an de prison ferme est une juridiction régulière, il n’en est pas de même quant à la forme et à la procédure usitées dans le cas d’espèce pour obtenir un jugement expéditif qui fait autant l’économie du temps que des droits de la défense qui garantissent également des voies de recours devant la cour d’appel, la cour de cassation ou la cour suprême. Ils permettent la révision du procès en cas d’erreur judiciaire ou de faits nouveaux prouvant l’innocence du condamné dont M. Bekkouche peut user présentement », dira l’avocat en substance.

Celui-ci relève que le cas de Nouredine reste un tant soit peu très curieux sur plusieurs points. D’abord sur quelle base le tribunal de Copenhague a été saisi ? Quelle est la nature juridique de cet acte ? Ensuite quels sont les chefs d’inculpation reprochés à M. Bekkouche Nouredine ? Et de poursuivre : « Apparemment, ce qu’on peut lui reprocher soit le délit de non présentation d’enfant, soit le délit d’enlèvement, soit le délit d’abandon de famille ». Prenant soin de s’appesantir sur ces éventualités, l’avocat souligne que le délit de non présentation d’enfant n’est punissable que dans le cas du refus de présenter l’enfant à la personne à qui la garde a été confiée par un jugement civil. Il faut que le jugement soit rendu par une juridiction régulière ayant respecté les règles de forme et de la procédure et qu’elle soit compétente. Il faut que la loi nationale des époux soit respectée. Il faut que ce jugement ait acquis autorité de la chose jugée, c’est-à-dire qu’il est définitif et exécutoire.

Ceci dit, l’avocat ajoute qu’apparemment dans le cas de M. Bekkouche, il n’y a rien de tout cela. Il y a jugement expéditif de divorce prononcé par un tribunal qui n’a pas respecté sa propre règle de renvoi, puisque les enfants sont à Constantine et que le mari est Algérien. Au fond, la loi applicable peut être la loi nationale algérienne par la mise en oeuvre de la règle de conflits, du droit danois. Enfin, dira l’avocat, le jugement de divorce danois n’est toujours pas définitif puisqu’il n’est pas signifié à ce jour à M. Bekkouche, qui a le droit d’user des voies de recours ici à Copenhague en faisant appel ou en exerçant son pouvoir devant la cour suprême du royaume. Quant au délit d’enlèvement, l’avocat dira qu’en droit on n’enlève pas ses propres enfants. On les sauve. Il n’y a pas de kidnapping sur ses propres enfants. Concernant le délit d’abandon de famille, ce n’est pas, souligne l’avocat, envisageable dans le cas d’espèce qui m’a été présenté.

En résumé, M. Bekkouche, selon le consultant, n’a commis aucun fait pénalement répréhensible tant au regard de la loi danoise que la loi algérienne. Les enfants ayant rejoint l’Algérie avec le consentement de leur mère. Il lui appartient de saisir le tribunal de Constantine pour demander la garde des enfants qui lui sera certainement confiée et demander l’autorisation de les ramener au Danemark avec ou sans le consentement du mari. Ce qui est une éventualité en l’état actuel de l’évolution de la jurisprudence et de la pratique administrative algérienne. L’avocat reviendra ensuite sur l’aspect civil de l’affaire qui peut être résumé d’abord par le fait que le jugement ayant été prononcé au Danemark semble avoir été un jugement de défaut - il n’est donc pas opposable au mari qui a le droit de faire appel et de le contester. En l’état, ce jugement ne peut servir de base pour asseoir des poursuites pénales contre M. Bekkouche Nouredine qui est victime de poursuites nulles et attentatoires à la liberté individuelle pour lesquelles il peut demander une réparation en raison du préjudice qu’il a subi.

Par Mohamed Salah Boureni, quotidien-oran.com