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Le général Mohamed Lamari ne fera plus d’ombre à Bouteflika

jeudi 29 juillet 2004, par nassim

La démission du patron de l’armée algérienne, Mohamed Lamari, est une victoire pour Bouteflika et son clan.

Dans le cercle très restreint des « décideurs » militaires algériens, Mohamed Lamari tenait une place à part : celle du « patron » de l’armée dans un pays où une poignée de généraux a toujours détenu la réalité du pouvoir et où le Président n’assume que formellement la fonction de chef suprême des armées.

Annoncée mardi, sans le moindre conditionnel, par le quotidien arabophone El Khabar, la démission du chef d’état-major, si elle se confirme, résonne donc comme un coup de tonnerre qui consacre l’entrée officielle du président Abdelaziz Bouteflika dans le fameux club des « décideurs ». Mais elle ne constitue pas vraiment une surprise. Car l’absence spectaculaire de Mohamed Lamari, à la mi-juillet, lors de la visite officielle en Algérie de la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, laissait augurer un sérieux problème.

Message transparent.
Jamais, en effet, le patron de l’armée algérienne n’avait laissé quiconque recevoir ses homologues étrangers ou discuter de la professionnalisation de l’armée et du statut particulier revendiqué par l’Algérie au sein de l’Otan. Cette éclipse fut d’autant plus remarquée qu’elle eut un pendant lourd de sens : l’omniprésence d’un proche parmi les proches d’Abdelaziz Bouteflika, le ministre de l’Intérieur Yazid Zehrouni. C’est d’ailleurs à lui qu’on doit une réponse des plus laconiques à une question sur le sort du général Mohamed Lamari : « Le chef d’état-major rentrera de ses congés le 22 juillet. » Le message était quasi transparent : le fait que le patron de l’armée n’ait pas renoncé à quatre jours de vacances à l’occasion de la première visite d’un ministre français de la Défense depuis l’indépendance ne pouvait qu’être annonciateur d’un changement de l’équilibre des forces au sein du pouvoir. Surtout au moment où Alger est demandeur d’un accord militaire avec Paris.

En réalité, le clash entre le général Mohamed Lamari, 65 ans, et Abdelaziz Bouteflika, 67 ans, était inévitable depuis le 5 juillet. Le Président n’avait alors partagé avec personne, et surtout pas avec le chef d’état-major, à ce poste depuis 1993, « l’honneur » de procéder aux promotions militaires lors de l’anniversaire de la Révolution. Pire : Abdelaziz Bouteflika avait alors appelé la hiérarchie à n’agir que sous son commandement ! La préparation de la visite de « MAM », organisée de bout en bout avec... la présidence algérienne, aurait fait déborder le vase. D’autant que c’est Yazid Zehrouni qui fut chargé de recevoir la ministre française. « L’absence du général Lamari semble résulter d’un coup de colère », résumait, le 18 juillet, le quotidien l’Expression, proche de la présidence. La démission de Mohamed Lamari apparaît ainsi comme un succès d’Abdelaziz Bouteflika sur des « décideurs » qui lui étaient ouvertement hostiles. Le général Lamari supportait mal en effet la volonté d’un Bouteflika intronisé par l’armée en 1999 de devenir un président à part entière. Son départ marque donc une évolution notable dans les rapports entre la haute hiérarchie militaire et la présidence. Il ne signifie pas pour autant un changement du système. Et pas seulement parce que Yazid Zehrouni, le bras droit du Président, fut longtemps le numéro 2 des tout-puissants services de sécurité. La démission du général Mohamed Lamari pourrait, au contraire, participer de la consolidation du pouvoir.

Sale guerre.
Le chef d’état-major mena en effet d’une main de fer la lutte contre les groupes armés islamistes et la répression tous azimuts qui n’épargna pas les civils tout au long de la décennie 90. Son départ, surtout s’il devait être suivi de la mise en retraite de certains de ses pairs, permettra à Alger d’affirmer que la page d’une sale guerre qui a fait 200 000 morts et de 10 000 à 15 000 disparus, est désormais tournée.

C’est là une préoccupation majeure de la haute hiérarchie militaire. Celle-ci demeure en effet obsédée par la crainte de devoir un jour rendre des comptes devant une juridiction internationale, même si les attentats du 11 septembre et la sollicitude envers le géant pétrolier et gazier algérien lui assurent, en principe, de ne pas subir le sort d’un Pinochet.

En finir avec la décennie 90 constitue aussi un objectif prioritaire pour Alger qui n’entend pas voir, en novembre, le cinquantenaire du début de la guerre d’Indépendance entaché par des manifestations afférentes à cette sale guerre. Dans ce contexte, les intérêts bien compris d’Abdelaziz Bouteflika et d’un haut commandement militaire qui saura sans nul doute négocier son impunité sont loin d’être contradictoires. La presse proche du président algérien ne se prive pas de le susurrer aux généraux : « Le moment de faire un bilan de l’action du général Lamari n’est peut-être pas arrivé mais il faudra bien le faire un jour », écrivait, le 18 juillet, l’Expression. Non sans évoquer au détour d’une phrase la date à laquelle « il a rejoint l’armée de Libération : 1961 ». Un message clair pour des « décideurs » qui détestent voir rappeler qu’ils n’ont déserté l’armée française que fort peu de temps avant l’indépendance de 1962...

Crédibilité internationale.
Le remplacement du général Mohamed Lamari ouvrira-t-il la voie à un assouplissement de la position algérienne sur le Sahara occidental ? La presse proche de Bouteflika le suggère en insistant sur « la position tranchée des anciens officiers attachés à la ligne pure et dure qui a été celle de l’Algérie depuis le déclenchement de ce conflit en 1975 ». Le président Bouteflika a sans doute intérêt à une telle évolution, souhaitée par les Occidentaux, particulièrement par la France qui prône un « dialogue direct » entre Alger et Rabat pour trouver une solution à ce problème qui bloque toute construction du Maghreb. Le chef de l’Etat algérien sait en effet qu’il joue là une partie décisive pour sa crédibilité internationale, lui qui, jusqu’ici, a mis en avant l’immobilisme des généraux pour justifier son impuissance à faire avancer ce dossier.

Par José GARÇON, www.liberation.fr