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Le métier de pharmacien en Algérie

mardi 17 mai 2005, par Stanislas

Certains en Algérie se rappellent, avec nostalgie, un passé pas très lointain où le pharmacien, vêtu de sa blouse blanche immaculée, était un recours précieux, prodiguant des conseils fiables et sûrs.

Rassurant, il se souciait principalement de la santé du malade et non pas de l’écoulement de sa marchandise à n’importe quel prix. Aujourd’hui, force est de constater que nombre d’entre eux ont été remplacés par des « vendeurs » ayant acheté des licences. C’est du moins ce qui a été constaté après une tournée dans plusieurs officines de la capitale. Le client, qui se présente dans une pharmacie pour acheter des médicaments, se retrouve souvent devant un vendeur qui, parfois, ne connaît rien dans le domaine des médicaments.

« On ne sait plus s’il s’agit d’un pharmacien ou d’un simple commerçant », lance un client à la sortie d’une pharmacie au centre-ville d’Alger. Ce dernier, nostalgique, se rappelle : « Naguère, le conseil du pharmacien était très précieux au point qu’il paraissait, parfois, mieux renseigné qu’un médecin. Aujourd’hui, on se retrouve face à de simples commerçants qui essayent à tout prix d’écouler leur produit sans que ce soit le médicament demandé. »
Aussi, plusieurs pharmacies ressemblent de plus en plus à des magasins de cosmétiques. La vitrine est envahie de shampooings, de brosses à dents, de produits amincissants et autres crèmes antirides.

On ne voit presque plus le médicament qui se fait « tout petit » devant cette diversité de produits. Pis encore, on n’arrive même plus, parfois, à distinguer entre l’officine et un autre commerce puisque même le vendeur ou le pharmacien omet, souvent, d’enfiler sa blouse blanche.
Autre phénomène devenu courant et que plusieurs citoyens relèvent : « C’est devenu presque une règle de voir beaucoup de pharmaciens préférer garder pour eux la petite monnaie. » Certains pharmaciens, en effet, se comportent comme de vrais commerçants. Pour arrondir leur recette, ils omettent souvent de rendre la petite monnaie au client soit en arguant du manque de pièces soit en feignant d’oublier. Ne voulant pas perdre plus de temps, le client s’en va.
De toute façon, c’est un fait reconnu que ce métier rapporte. « On peut voir un taxiphone, un boulanger ou un cordonnier, faire faillite, mais jamais un pharmacien », explique un économiste.ù

Qui est pharmacien ?

Il suffit de constater le nombre important d’officines qui ont ouvert ces dernières années. Selon le président du Syndicat national des pharmaciens d’officines (Snapo), il existe actuellement un peu plus de 4 800 pharmacies en Algérie dont près d’un millier dans l’Algérois.
Ces chiffres concernent, selon lui, « les seuls pharmaciens diplômés installés à leur propre compte comme cela est exigé par la loi sanitaire ». Toujours selon le Snapo, il existe un réseau d’agences appartenant à Endimed, une société possédant un millier d’agences pharmaceutiques à l’échelle nationale, et faisant partie des entreprises privatisables dans le cadre du plan annoncé par le gouvernement.

Ce qui a nui à son image

« Ce n’est qu’au cours de ces dernières années qu’on commence à distinguer, au sein de notre société, le pharmacien du reste du personnel d’une officine », affirme le président du Snapo. Et de préciser : « A l’indépendance, les pharmaciens diplômés étaient rares et les pharmacies, abandonnées par leurs propriétaires (pharmaciens français), furent converties en agences pharmaceutiques dirigées par la Pharmacie centrale algérienne (PCA) qui fut, par la suite, transformée en trois pharms : ENO, ENA et Encopharm, puis actuellement Endimed. Et toutes ces agences ont fonctionné pendant plus de quarante ans et continuent, pour la plupart, à tourner sans pharmaciens ce qui a nui à l’image du pharmacien. »

Que dit la loi

Disposition « Le pharmacien engage son entière responsabilité pour tout acte au niveau de son officine et il devra répondre devant la loi en cas d’incident. » C’est ce qu’affirme Messaoud Belambi, président du Syndicat national algérien des pharmaciens d’officine, qui précise que « le pharmacien est non seulement susceptible de poursuite judiciaire au même titre que tout autre citoyen en cas de manquement à ses obligations ou en cas d’accident, mais aussi à un code de déontologie des plus sévères ». M. Belambi explique que « le médicament est un produit qui peut se révéler dangereux en cas de mauvaise utilisation. C’est pour cela que bon nombre de médicaments ne doivent être délivrés que sur ordonnance ». M. Belambi précise, dans ce sens, que « le pharmacien peut être amené à délivrer ces produits sans ordonnance, mais de manière exceptionnelle ».

Car, selon lui, il ne faut pas, non plus, jouer dans l’excès en refusant d’accorder par exemple à un malade chronique un traitement habituel si pour une raison compréhensible le patient ne peut pas présenter une ordonnance dans l’immédiat. Pour rehausser les officines à un niveau honorable, ce syndicaliste milite pour « la modernisation de l’officine » et l’instauration de « la notion label qualité au niveau de la pharmacie », estimant qu’il est important que, dans ce lieu, des liens de confiance soient tissés entre le client et le pharmacien. Pour cela, M. Belambi veut revenir à la notion « pharmacien de famille » puisque, dira-t-il, la première vocation du pharmacien est le « conseil ».

Cette notion, poursuit-il, permettra au pharmacien, connaissant parfaitement son client, d’attirer son attention sur un traitement qui peut avoir des effets secondaires si le malade oublie de signaler à son médecin le fait qu’il soit par exemple hypotendu ou ulcéreux, en évitant ainsi un incident grave. Donc non seulement le pharmacien peut refuser de délivrer un médicament dans certains cas, mais il peut aussi être dans l’obligation de le faire pour préserver la santé de son client.

Des erreurs fatales

Danger Des citoyens confient que certains vendeurs de pharmacie se sont trompés. « Mon père, âgé de 70 ans, est hypertendu. L’année dernière, il a failli y passer après avoir acheté un médicament qu’un pharmacien du quartier lui a conseillé », raconte une femme.

Cette dernière, qui n’écarte pas la part de responsabilité de son père en achetant des médicaments sans consulter son médecin, soutient : « Alors que certains médicaments sont interdits à la vente sans ordonnance, des pharmaciens décident de les commercialiser quand même avec tous les risques que cela peut occasionner. » Notre interlocutrice dit ne pas comprendre, également, la réaction de certains vendeurs lorsqu’il est question de ce genre d’erreurs graves. « Dans ce genre de situation, la plupart de ces vendeurs se contentent de reprendre les médicaments vendus dans le but de faire disparaître tout indice de leur faute professionnelle et de leur manquement à l’éthique », explique un autre citoyen.

Cette mauvaise expérience, Lila, 28 ans, l’a faite dans une pharmacie à Chéraga. « J’étais enceinte de sept mois et je présentais une angoisse aiguë. Mon médecin traitant m’avait prescrit des calmants. Je me suis présentée, munie d’une ordonnance, dans une officine à Chéraga pour repartir, ensuite, avec le fameux médicament. »

Une fois à la maison, cette dame se rappelle avoir décidé de lire la notice, ce que beaucoup de clients ne font pas par confiance et par manque de vigilance. « J’ai failli tomber à la renverse lorsque j’ai appris que ce médicament était interdit aux femmes enceintes. Destiné aux cancéreux, ce traitement provoque, inévitablement, chez le patient, de grosses hémorragies », explique-t-elle, avant de poursuivre : « Je suis retournée chez le pharmacien pour des explications. Ce dernier s’est contenté de reprendre le médicament, pour faire disparaître tout indice, en avançant que l’écriture du médecin n’était pas lisible. »
Cette dame ne s’est pas résignée puisqu’elle est retournée chez son médecin pour savoir à qui incombait ce genre d’erreur. « Mon médecin a hurlé en apprenant le nom du médicament que le pharmacien m’a vendu. Il m’a même expliqué qu’un pharmacien ou un vendeur d’officine, qui connaît bien le monde du médicament, ne peut faire une telle erreur qui aurait pu facilement tuer le fœtus. »

Le contrôle en question

Le président du Snapo affirme que « le contrôle d’une officine et d’un pharmacien doit principalement être effectué par un pharmacien inspecteur. Légalement, c’est la personne la plus habilitée à remplir cette mission. Or notre pays enregistre un déficit flagrant dans ce corps : les pharmaciens inspecteurs se comptent sur les doigts d’une seule main. Actuellement, ce sont les brigades mixtes qui remplissent cette mission. Le travail consiste à contrôler les produits ayant fait l’objet d’alerte (ordres de retrait) pour anomalies détectées ou pour non-conformité. A l’initiative des directeurs de la santé des wilayas ou à la suite d’instructions ministérielles, des commissions d’inspection sont, de temps à autre, constituées. Celles-ci associent, dans certaines régions et à titre d’observateurs, l’ordre et le Snapo. »

Les critères requis

Selon le président du Snapo, « le propriétaire de l’officine doit être d’abord pharmacien diplômé et ouvrir dans une commune où le numerus clausus le permet (Ndlr : une norme élaborée pour l’autorisation de l’ouverture d’officine en relation avec le nombre d’habitants par commune) ».
Notre interlocuteur précise qu’actuellement ce quotient est d’une officine pour 5 000 habitants, mais qu’il y a dépassement de cette norme dans toutes les grandes villes du pays (phénomène de sursaturation). Car, rappelle-t-il, il y a quelques années, le ministère de la Santé avait supprimé cette notion de numerus clausus et cela avait entraîné un grand déséquilibre dans les installations. Cette norme n’a été rétablie que depuis peu. Outre ces conditions, une officine doit être située au moins à deux cents mètres d’une autre, et doit disposer d’une surface utile d’au moins 50 m2, soutient M. Belambi. Concernant l’autorisation d’ouverture, notre interlocuteur précise qu’elle est délivrée par la Direction de la santé de la wilaya après l’inspection et le contrôle du local.

Point de vue des concernés

« Le pharmacien n’est ni un épicier ni un droguiste. Il n’est pas non plus celui qui ne vend que des produits pharmaceutiques », explique un pharmacien, propriétaire d’une officine à Alger. Ce dernier pense que « des clients, souvent trop confiants, ne lisent pas la notice et ne font, par conséquent, pas attention aux mises en garde. D’autres, trop pressés, s’adonnent à une automédication souvent désastreuse pour leur santé ».

Notre interlocuteur regrette, également, que les citoyens fassent toujours endosser les erreurs qui peuvent arriver dans certains cas, au seul pharmacien : « Qui d’entre nous n’a pas remarqué ce pauvre vendeur d’une pharmacie mal à l’aise, fronçant les sourcils et éprouvant toutes les peines du monde à décrypter une ordonnance ressemblant beaucoup plus à un gribouillis qu’à un acte prescriptif de médication. L’usage du médicament peut être à l’origine de dommages pour le malade, parfois, il peut provoquer la mort si le médecin ne prend pas les précautions indispensables avant sa prescription. » Un autre, vendeur dans une autre pharmacie à Alger, soutient, de son côté : « On ne peut pas critiquer gratuitement un pharmacien ou un vendeur d’une officine lorsque ces derniers s’avèrent toujours à l’écoute du client. Un client qui, la plupart du temps, ne confie pas seulement ses problèmes de santé, mais aussi ses soucis et préoccupations quotidiennes. » Pourtant, certains pharmaciens que nous avons rencontrés, ne nient pas que « ces dernières années, n’importe qui a pu acheter l’autorisation d’ouvrir une pharmacie pour en faire un commerce au grand dam des clients ».

Par Chahla Chettouh, infosoir.com

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