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Le nombre des filles augmente dans les écoles algériennes

samedi 16 avril 2005, par Stanislas

Beaucoup plus de filles dans les écoles, ce n’est plus un simple constat établi par les uns et les autres, aujourd’hui les statistiques le confirment et de manière à attirer les spécialistes sur cette question.

Il s’agit de connaître les causes et les raisons de cette évolution. Savoir à quel moment et pourquoi le nombre de filles a augmenté dans les écoles algériennes.

Certes, depuis les premières années de l’indépendance, l’Etat a fourni des efforts pour généraliser la scolarisation à partir de 6 ans. Une récente circulaire du ministère de l’Education est venue confirmer ce principe de l’Etat, devenu une obligation pour tous les parents d’élèves à travers l’ensemble du territoire national. Une politique qui a eu des résultats qui peuvent êtres discutables aujourd’hui encore. Le pouvoir de l’Etat n’a pas eu gain de cause, face à des considérations culturelles, sociales et économiques. Permettre la scolarisation d’une fille était rare, un droit que beaucoup de filles algériennes n’ont pas eu. On pourrait citer ici quelques causes qui ont poussé certains parents à ne pas scolariser ou à ne pas continuer la scolarisation de leurs filles. L’éloignement des écoles du domicile, l’idée encore très répandue pendant des années qui faisait que les garçons avaient plus le droit d’étudier, et que les filles devaient rester à la maison pour aider leurs mères, marier le plus tôt sa fille, ne pas avoir les moyens de faire rentrer tous ses enfants à l’école, donc sacrifier les filles, ou éviter tout simplement que l’on dise que ce père laisse sa fille aller à l’école.

Actuellement, ces raisons et d’autres existent toujours mais elles sont presque rares. La société a évolué, les mentalités aussi, l’Etat est plus présent en matière de disponibilité de structures d’enseignement, autant de facteurs qui ont fait que la vapeur s’est renversée. Mais au delà de tous ces aspects, il y a cette prise de conscience des filles algériennes qui depuis 2 décennies ont décidé presque silencieusement de mener leur révolution, de changer leur sort, leur statut et leur vie. Leur seule arme,ce sont les études, elles semblent non seulement l’avoir comprise mais en plus convaincues que c’est leur seul salut.

Elles réussissent mieux que les garçons

La scolarisation des filles dans notre pays est une des plus importantes du monde arabe. Pour preuve, à l’examen du baccalauréat de l’année dernière (2003-2004), 65 % des candidats étaient de sexe féminin. À l’université, les filles représentent aujourd’hui 52 % des effectifs étudiants. De l’avis des observateurs, l’accès des femmes au système éducatif est sans conteste un des paramètres qui a marqué le plus les changements intervenus dans la condition féminine en Algérie depuis l’indépendance. Les chiffres le prouvent sur trois décennies.

L’analyse de ces données montre par ailleurs que les filles réussissent mieux que les garçons dans leurs études à tous les niveaux scolaires. Une réussite qui se traduit par des taux plus importants dans les examens, des redoublements et des abandons inférieurs à ceux des garçons. Quelques chiffres pour comprendre. En 1984, le taux d’admission pour l’entrée en 7eme année fondamentale a été de 70% pour les filles.

A titre d’exemple aussi, en juin 2000, le taux de réussite a l’épreuve du BEF (le brevet d’enseignement fondamental) des filles a été supérieur a celui des garçons au niveau national. Soit 43.82% contre 39.20%. Les résultats de la session du baccalauréat juin 97sont révélateurs à plus d’un titre. Le nombre des filles présentes à l’examen dépasse de loin celui des garçons 160.339 contre 122.806 et le taux de réussite met aussi les filles en avant avec un taux de 15.49% contre 11% pour les garçons. En juin 2002, le même phénomène se produit avec en prime, la meilleure moyenne nationale décrochée par une fille.

L’année dernière, l’écart s’est creusé entre les filles et les garçons au même examen en passant de 0.9 point en 1997 à 8.1 points en 2004. Le taux de réussite des filles en 2004 a atteint 44.05%. Il est aussi démontré que les filles redoublent moins que les garçons, elles sont aussi rares à abandonner l’école. En effet, ce phénomène touche surtout les garçons, l’écart entre filles et garçons augmente au fur et à mesure qu’on avance dans l’âge et le niveau d’enseignement.

Même si cet abandon est important pour les filles dans le cycle secondaire, les spécialistes estiment qu’il ne faudrait pas l’interpréter comme l’expression d’un phénomène de retrait volontaire des filles quand elles atteignent l’age d’adolescence comme c’était le cas dans le passé. Ces retraits surtout en milieu rural des filles âgées de 15 à 17 ans s’expliquent par l’éloignement des établissements d’enseignement dont beaucoup sont dépourvus d’internat, et par les conditions sociales défavorables des parents pour qui la poursuite de la scolarité de leurs enfants devient coûteuse intervient aussi a ce niveau, des considérations culturelles encore vivaces dans certaines familles. Mais ceci n’empêche pas les filles d’aller plus loin dans leurs études. En 2002, les filles représentaient environ 56.6 % de l’ensemble des diplômés

Le CNES et la question de la scolarisation des filles : Une opportunité pour se positionner dans la société

Dans son dernier rapport "femme et marché du travail" présenté lors de la 25e session plénière (décembre 2004) , le CNES a consacré une partie de ce rapport à l’éducation des femmes dans notre pays. Les chiffres avancés par le CNES révèlent une évolution maintenue du nombre des filles dans l’enseignement.

Une évolution qui prend de l’importance notamment à partir du cycle secondaire. A travers plusieurs années et traversant les différents cycles de l’enseignement jusqu’à la post- graduation, ce rapport nous renseigne- on ne peut mieux- sur ce changement que connaît la société algérienne. 47,7% de la population instruite, âgée de 6 ans et plus est représentée par des femmes.

Se basant sur le dernier recensement général de la population de 1998, le même rapport fait ressortir que durant cette année, les parts des femmes dans les niveaux secondaire et supérieur sont relativement importantes avec respectivement 44,07% et 41,80% de l’effectif total. Selon le CNES, ces chiffres traduisent : "la dynamique sociale d’atteindre l’objectif de promotion et d’occuper un emploi décent".

Pour les rédacteurs de ce rapport "cette volonté de promotion par la scolarisation a fini par vaincre bon nombre d’obstacles et de préjugés qui limitaient la mobilité de la fille et contrariaient l’évolution de son statut "Commentant le niveau actuel de scolarisation des filles, le CNES estime que" le développement de l’instruction féminine témoigne de l’investissement important des études par les filles qui voient dans la poursuite de leur instruction une opportunité pour se positionner dans la société ". Mais selon le même rapport, si la part des filles dans l’effectif total des élèves s’est améliorée (une évolution de 1,8% en moyenne par an), cette proportion reste très différenciée. En effet, si au début de la scolarisation, la parité filles/garçons n’est pas atteinte, la présence des filles devient de plus importante au fur et à mesure que l’on avance dans l’âge et le niveau de scolarité. Le CNES explique que les proportions des filles n’ont pas beaucoup évolué dans le cycle fondamental à cause de " l’éloignement de l’école dans les zones éparses et les difficultés économiques des parents dont la fille est généralement victime ".

Pour ce qui est du cycle secondaire, il est indéniable que la représentativité des filles est plus favorable en enregistrant un écart positif de 13,4 points par rapport aux garçons. Le même rapport rappelle à cet effet, une réalité sociale "la déscolarisation des garçons à ce stade d’études est réelle d’autant qu’elle touche les garçons âgés de 16 ans et plus. Autrement dit, une population en âge de travailler".

Lorsqu’on arrive au stade de l’enseignement supérieur,le rapport du CNES est sans équivoque "l’évolution enregistrée dans ce domaine renseigne que la société a complètement changé d’opinion vis-à-vis de la fille pour la poursuite de ses études supérieures". L’effectif des étudiantes a été multiplié par plus de 4 de 1990 à 2003, soit un accroissement annuel moyen de 12,07 %, deux fois celui des garçons.

Une évolution qui montre aussi que les filles fréquentent à des degrés différents l’ensemble des filières. En 1990, aucune étudiante n’était inscrite en sciences appliquées, leur part a atteint en 2003, 29,2 %. Les filières médicales ont constitué en 2000, le bastion des filles,leur part représentait 58,9 % de l’effectif total de cette filière. Selon le CNES " la discipline de sciences médicales a toujours constitué un secteur attractif pour des raisons sociales et pratiques.

C’est-à-dire une meilleure considération de la société et de la famille. Ce métier permet à la femme de concilier entre la vie professionnelle et familiale : travail en demi journée, cabinet privé...". En conclusion, et même s’il est difficile de cerner les motivations qui déterminent le choix des filières pour les filles, le rapport du CNES précise, après examen de la répartition des effectifs par filière que cette analyse donne à penser " que les préjugés qui obligeaient l’orientation des filles vers les filières censées être mieux adaptées aux spécificités féminines et qui offrent souvent accès à des emplois féminins sous- payés tels que l’enseignement, le secrétariat et autre, commencent à céder place aux filières technologiques dites masculines". Par ailleurs, le CNES cite une enquête de 1997 de Mme Freha dans "Femmes algériennes, la révolution silencieuse " à travers laquelle, il est démontré que les parents et plus particulièrement les mères rejettent massivement le mariage de leurs filles à 18 ans, elle sont nombreuses à souhaiter que leurs filles poursuivent leurs études universitaires et ne veulent pas que ces dernières aient le même destin qu’elles.

Ainsi, beaucoup de parents acceptent et encouragent leurs filles à se déplacer vers des villes universitaires. Selon le même rapport, "la proportion des filles dans l’ensemble des résidents en cités universitaires, dérisoire dans les années 70, est passé à 55.1% en 2003 ".

Arrivé au cycle de la post-graduation, les chiffres montrent encore une fois l’évolution du nombre des filles inscrites. Le nombre des post-graduées filles a été multiplié par 2,8 fois en 12 ans. Les filles ont représenté en 2002-2003, 44,4% des inscrits en post-graduation

Interview du sociologue et écrivain M. Djabi Nacer : « L’école est une stratégie individuelle et collective des filles »

Les statistiques sont affirmatifs, le nombre des filles dans le système éducatif est important. En dehors de l’effort de l’Etat pour généraliser la scolarisation, quelles sont selon vous les causes de cette évolution ?
Je crois qu’il faut relativiser un peu les chiffres, les filles ne sont pas plus nombreuses que les garçons, c’est leur présence qui est importante. A partir du cycle secondaire, ce constat est fait. Les filles sont plus présentes face à une déperdition des garçons. Ces derniers préfèrent travailler et rentrer dans le monde professionnel. Je tiens à signaler que ce constat est valable surtout dans les grandes villes.

Mais je pense que l’élément le plus important, c’est que la fille n’a pas beaucoup de choix dans la société algérienne. Elle a opté pour cette stratégie " école " pour s’imposer, travailler, être respectés, et assurer sa promotion. C’est une stratégie voulue, individuelle et collective des filles algériennes. Ces dernières croient qu’elles peuvent faire beaucoup plus de choses en ayant un diplôme. Donc, c’est une stratégie voulue et consciente. C’est loin d’être le fruit du hasard. La fille algérienne a choisi l’école comme forme de promotion sociale. Les Algériennes ont profité plus que les garçons de l’école algérienne qui, faut- il le rappeler, est présente partout. Et c’est l’effort de 30 années et plus de l’Etat pour généraliser la scolarisation qui est aussi à l’origine de la présence importante de la fille dans le système scolaire. L’école est à mon avis la structure qui le plus transformée voire bouleversée la société algérienne.

Cette évolution, comme tout phénomène de société a des effets positifs et négatifs sur la société algérienne, quelles pourraient être les répercussions négatives de ces changements qui s’opèrent dans la société algérienne ?
Les statistiques au niveau nationale démontrent que cette évolution a des effets négatifs. C’est ce que j’ai appelé dans un article : Comment la société algérienne punite la femme instruite.Cette punition se matérialise par une marginalisation. Ainsi on ne se marie pas avec ces filles (âgées) car faire des études poussées nécessite du temps. L’homme algérien a toujours peur des femmes qui ont fait des études supérieures. D’ailleurs la moyenne recherchée par ces hommes c’est toujours des filles qui ont un niveau ne dépassant pas la 3ème année secondaires.

Des études comparatives ont été faites avec les pays voisins. Elles ont confirmé que les filles instruites se mariaient moins. D’ailleurs le taux de célibat pour ces filles est très important dans notre pays. De même pour les cas de divorce. La femme a profité un peu plus de l’école, c’est un fait. Mais, l’exclusion matrimoniale dont elle est victime est une forme de punition. L’école transforme certes mais perturbe les rapports traditionnels, les rapports homme-femme et le statut de la femme.

Avec une projection dans l’avenir, quel regard porte le sociologue que vous êtes sur la société algérienne en prenant en compte cette évolution des femmes dans le système éducatif ?
Je crois que la société algérienne a déjà beaucoup changé et évolue plus vite qu’on ne l’imagine. Les changements ont touché les mentalités et les mœurs, le statut de la femme au sein même de la famille et les relations homme-femme. Il suffit de voir nos rues, nos universités et nos villes pour nous rendre compte de ce bouleversement dû essentiellement à l’école.

Je souhaite que l’on arrive à maîtriser ces changements pour que la société algérienne profite pleinement de ces mutations dans le bon sens car il y a beaucoup de phénomènes qui peuvent surgir : l’individualisme de l’algérien et de l’Algérienne, la vie en célibat, dislocation de la cellule familiale et des rapports familiaux et les changements démographiques qui commencent à naître dans la société algérienne. J’entends par là le vieillissement, le retard dans l’âge du mariage.

Vous avez beaucoup parlé d’aspects négatifs, si vous deviez positiver, quels seront les bienfaits de cette évolution ?
C’est le statut de la femme qui va complètement changé. Nous avons eu l’exemple d’une femme qui s’est présenté pour l’élection présidentielle. Nous avons depuis 1982 des femmes ministres dans notre pays avant plusieurs sociétés arabes. Ce n’est que le début. Je pense que les mentalités vont changer et dans le bon sens.

Pensez vous que la fille algérienne a profité de la déperdition scolaire plus importante chez les garçons ?
Les filles ont profité de l’école et de l’université avec le soutien de la famille et surtout du père. Les pères algériens sont très positifs en ce qui concerne les études de leurs filles. Elles ont peut être profité de l’école avec une vitesse que la société masculine n’accepte pas.

Il faudrait peut être rappeler que depuis les années 90 des formes de violences contre les femmes et des idéologies rétrogrades se sont développés en Algérie. L’homme algérien, même dans les contrées les plus reculées, s’est rendu compte que la fille ou la femme est plus présente à l’école.

L’image, qui me revient à chaque fois, c’est ce frère chômeur qui voit sa sœur réussir dans les mêmes conditions vécues par lui au sein de la même famille. C’est ce malaise entre hommes et femmes que les idéologies rétrogrades ont utilisé en lui donnant un contenu social et politique. Aujourd’hui, c’est une stratégie affirmée et vécue par des milliers de femmes, de filles et de fillettes algériennes qui ont mis à profit cette institution de changement qu’est l’école

Par Nabila Sadki, horizons-dz.com