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Les mines antipersonnel tuent toujours

mardi 23 novembre 2004, par Hassiba

Ces engins de mort qui handicapent surtout des enfants sont disséminés le long de nos frontières depuis la guerre de Libération. Un recensement datant de1996 fait état de près d’un million de mines ainsi enfouies par l’armée française.

En 2001, dans la mechta de Feddene (commune de Ouled Driss, wilaya de Souk Ahras), un enfant de la famille Guerfi ramasse un objet dans le jardin familial qu’il prend pour une boîte de conserve. Il court le montrer à sa mère, quand l’objet lui explose entre les mains. Il est tué sur place ainsi que son frère et sa sœur, tandis que sa mère à la jambe arrachée et que le benjamin est sévèrement touché au flanc. Il gardera des séquelles psychologiques irréversibles.

De l’indépendance à nos jours, les mines antipersonnel enfouies par l’armée française le long des frontières de l’Est et de l’Ouest ont fait des milliers de victimes particulièrement parmi les enfants et les bergers. Ces engins de mort conçus pour faire le plus de ravages possibles sur le corps humain ont été déposées au ras du sol et un simple contact les fait exploser. Les mines individuelles arrachent une jambe ou un pied, tandis que les mines collectives contenant 400 morceaux de fer, déchiquettent sur 60 mètres carrés, tout ce qui se trouve alentour. Elles sont souvent reliées entre elles par des fils invisibles se confondant au feuillage, faisant jaillir un véritable enfer quand elles explosent simultanément. Au lendemain des accords d’Évian, l’Algérie avait reçu de la France des tonnes d’archives concernant les champs de mines aménagés le long des lignes électrifiées plantées le long des frontières. Installées progressivement dès 1956, ces lignes infernales comptaient, selon une étude présentée le 19/6/96 lors du séminaire de Naâma par les chercheurs du Centre national d’études et de recherches (le mouvement national de la révolution du 1er Novembre 1954), 913 000 mines sur la frontière Est de Annaba à Chatt el-Ghers aux portes du désert en passant par Ben M’hidi, Besbes, Dréan, Boukamouza, Bouchegoul, Souk- Ahras, M’daourouche, Tébessa et N’kiren, et 42 000 autres à l’ouest du Port Say au sud de Béchar, en passant par Tlemcen, El Haricha, Mecheria, Aïn Sefra, El Ksour, Mourias et Souari.

Au fil des années de guerre, leur nombre avait énormément augmenté, puisque “chaque poste frontalier recevait 1000 autres mines qui étaient remplacées dès leur explosion”. Et de sources algériennes et françaises évoquées lors du séminaire pré-cité, on fait état de 3 millions de mines implantées le long de la frontière est, “un nombre si élevé qu’à certains endroits, on dénombrait 7 à 9 mines par mètre carré, et de 50 000 mines pour 20 km2”.

Au cours de la guerre de libération, les victimes de ce formidable arsenal de répression se comptaient par milliers (entre morts et blessés) parmi les moudjahidine. Souvent, “un sur deux sautait”, mais, “il fallait traverser quand même”. Selon un ancien moudjahid de la frontière est, M. Ali Bendaas, les nombreuses opérations de grande envergure lancées par l’armée pour le déminage de ces régions ont éliminé des centaines de milliers d’engins de mort, et le nombre des victimes s’est réduit à 111 entre 1973 et 1975, pour atteindre, pour les deux frontières, 35 victimes entre 1981 et 1990.

Mais cela n’a pas pour autant arrêté l’hécatombe, et la question reste toujours posée quant au nombre important de mines existant toujours. Un grand nombre, selon les habitants de la région, restent encore enfouis dans le sol sur les zones ayant échappé au déminage, car inaccessibles ou indétectables avec les appareils électroniques, (comme c’est le cas pour les mines de plastic qui ont une durée de nuisance de cent ans) ou encore déplacées par les glissements de terrain, les vents ou les tempêtes. Elles sont si présentes dans l’environnement des mechtas que les habitants déclarent que certaines d’entre elles explosent simplement lors de fortes pluies de grêle, ou au passage des chacals ou des sangliers.

La situation est si préoccupante que des sources crédibles assurent que si de nouvelles opérations de déminage ont connu un frein suite à la lutte contre le terrorisme ces dernières années, l’armée compte entreprendre à l’avenir des opérations du même type pour nettoyer les poches encore infestées d’engins explosifs. Cependant, “il faudrait des siècles de déminage pour en finir définitivement”, comme l’a assuré un habitant de Oued Driss. “Elles sont maîtresses, changeant de place au gré des vents, couvertes de terre et se confondant aux pierres”. Il est fort probable que, même après les opérations envisagées, si le nombre de victimes va en diminuant, il y aura toujours, pendant encore de longues années, un enfant qui ramassera lors de ses jeux un objet curieux qui le tuera, ou un passant qui sera pulvérisé après avoir posé le pied sur une de ces mines. De leur côté, les victimes des mines antipersonnel, autrefois isolées, se sont regroupées en associations pour faire valoir leurs droits de “victimes civiles de la guerre de libération nationale”. Une requête jusqu’ici contestée par les autorités algériennes et françaises, selon le président de l’association de Ouled Driss, une région particulièrement touchée par ce phénomène et qui compte 511 adhérents.

Mais il y a beaucoup d’autres victimes qui n’ont pas encore réagi à notre appel, ignorant leurs droits, attribuant ces terribles accidents au “mektoub”, tandis que les personnes tuées par les mines dans les mechtas éloignées du chef-lieu de wilaya ont simplement été enterrées, sans que les autorités, dans beaucoup de cas, en soient averties. La direction des moudjahidine de Tébessa fait état de 727 victimes, “un nombre très en-deçà de la réalité”, pour les mêmes raisons.

Aujourd’hui, ces personnes mutilées ou les ayants-droit des victimes décédées réclament leurs droits, mais à ce jour, leurs démarches sont restées vaines. “Nous avons frappé à toutes les portes, alerté les plus hautes autorités sur notre sort, nous avons le sentiment d’être abandonnés.” Chaque handicapé recensé perçoit une pension mensuelle de 4 230 DA, une somme qui n’a jamais été révisée, déclare le président de l’association, qui ajoute : “Comment peut-on vivre avec une telle somme, alors que nous sommes mutilés et dans l’incapacité de travailler et de faire vivre nos familles ? Nous acceptons notre destin qui fait de nous des personnes diminuées, mais l’état doit prendre en considération notre situation. Nous ne pouvons vivre dans de pareilles conditions. Nos enfants, livrés à la misère, sont les premiers à payer le lourd tribut de ces champs de mines. Des décennies après l’indépendance, la France continue à nous tuer et à nous blesser, de loin et dans l’indifférence totale de la part des deux camps.”

Source : liberté-algerie.com