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Les nouveaux enjeux de la profession d’avocat en Algérie

mercredi 5 janvier 2005, par Hassiba

Les avocats du barreau d’Alger ont tenu leur assemblée générale au cours du mois de décembre 2004 dans le cadre des obligations légales qui régissent leur profession.

Ce fut encore l’occasion de dresser des listes des doléances sans suite et de s’armer de patience en attendant encore une fois du Conseil de l’Ordre des avocats et de l’Etat-providence de faire des miracles pour apporter son aide à la profession d’avocat.

C’est peut-être l’occasion de se convaincre : que la profession d’avocat est, par essence, une profession libérale composée de citoyens libres qui ne peuvent et qui ne doivent compter que sur les qualités des individus qui la composent pour justement préserver leur liberté ; que le Conseil de l’Ordre des avocats n’existe que par les avocats qui le « portent » et que l’Etat n’est fort que par les citoyens libres qui le servent...

Dire ces vérités élémentaires est d’autant plus impératif que notre pays ouvre précipitamment ses marchés à la concurrence internationale et que les avocats vont fatalement subir de nouvelles contraintes bien plus complexes à gérer. La proposition de loi de finances pour 2005 présentée par le gouvernement pour permettre aux personnes étrangères d’exercer librement en Algérie la profession d’expert-comptable et de commissaire aux comptes devrait être un signe fort des changements annoncés pour la profession d’avocat. Il est donc temps d’essayer de faire un diagnostic sans complaisance des difficultés majeures que vit la profession d’avocat et de suggérer quelques mesures pratiques et évidentes qui permettraient au Conseil de l’Ordre des avocats de s’organiser efficacement pour s’atteler enfin à l’essentiel : comprendre - maîtriser - influencer le cours des événements nationaux et internationaux pour mieux servir la profession d’avocat.

Quelles sont les contraintes majeures que subit la profession d’avocat ?
Il y a lieu de noter : en premier lieu, que le nombre d’avocats évolue d’une manière considérable et rapide. Pour la seule wilaya d’Alger, on compte actuellement approximativement entre 1900 et 2000 avocats. Cela est dû à de nombreux facteurs, parmi lesquels l’effort budgétaire continu consenti par l’Etat algérien dans le domaine de l’enseignement, le manque de moyens et d’imagination de notre appareil de formation et enfin l’image sociale valorisante de l’avocat...

Face à l’arrivée annuelle massive de nouveaux avocats, le Conseil de l’Ordre des avocats n’a pu répondre à ses obligations légales : les prestations de serment des nouveaux avocats ont été reportées sans délai, la formation des stagiaires n’a jamais été prise en charge sérieusement, le tableau des avocats n’a jamais été arrêté avec certitude...

En second lieu, que la formation des nouveaux avocats ne répond pas aux défis actuels de la profession. En effet, la majorité des avocats est issue de la Faculté de droit et n’a reçu qu’un enseignement général. Elle n’a jamais été préparée au « nouveau métier d’avocat » et aux spécialités telles que le droit fiscal, le droit de la propriété intellectuelle, le droit maritime, le droit aérien... Devant cette réalité, le Conseil de l’Ordre des avocats est désarmé et ne peut offrir que des solutions imparfaites telles que des conférences sans commune mesure avec les besoins de formation importants de la profession.

En troisième lieu, que la gestion et l’administration de l’ordre ne se sont pas adaptées à l’évolution du nombre des avocats bien que ses ressources, principalement issues des cotisations des avocats, aient été marquées par une évolution conséquente.

Malgré un effort méritoire des membres du Conseil de l’Ordre des avocats pour servir au quotidien leurs pairs, parfois en négligeant la gestion de leur propre cabinet, la qualité du service rendue aux avocats reste insuffisante :
 L’administration de l’ordre est abritée dans des locaux exigus, non fonctionnels et insalubres ;
 le nombre et le profil des personnels de l’ordre ne sont pratiquement pas en mesure de répondre aux services exigés ;
- la gestion et l’administration de l’ordre souffrent d’une absence quasi totale de l’outil informatique et de moyens de communication modernes et efficaces...

En quatrième lieu, que la gestion des finances du Conseil de l’Ordre des avocats est caractérisée par son manque de transparence et une absence totale de contrôle. En effet, la nature juridique des ressources du Conseil de l’Ordre n’étant pas clairement définie par la loi n°91-04 du 8 janvier 1991 portant organisation de la profession d’avocat, en pratique l’Etat n’a pas jugé utile de les considérer soit comme une parafiscalité, soit comme la ressource d’une institution « parapublique » et n’a donc pas jugé utile de fixer les règles d’établissement d’une comptabilité adéquate ainsi que de leur utilisation et de leur contrôle.

Aujourd’hui, il est un fait que le Conseil de l’Ordre des avocats tient une comptabilité de type « domestique, - recettes, - dépenses » qui ne répond ni au modèle de la comptabilité de type budgétaire ni à celui du type de la comptabilité commerciale assise sur les règles du plan comptable national. Plus grave encore, aucun commissaire aux comptes n’est invité à contrôler ses comptes. En cinquième lieu, que le Conseil de l’Ordre des avocats ne communique pas suffisamment avec les avocats. En dehors de l’assemblée générale annuelle, qui constitue une obligation légale, les avocats ne sont informés de l’activité du Conseil de l’Ordre des avocats que par le canal traditionnel du « ouï-dire » ou par voie d’affichage épisodique.

En cinquième lieu, que le Conseil de l’Ordre des avocats ne communique pas suffisamment avec son environnement institutionnel et social. De ce fait, les avocats n’ont pratiquement aucune influence sur les débats nationaux et internationaux et particulièrement sur le contenu de l’élaboration de la législation nationale et sur les engagements internationaux de notre pays.

Parmi ces débats, il y a lieu de citer principalement le débat actuel sur la réforme de la justice. Les avocats qui subissent au quotidien les insuffisances du fonctionnement de l’administration de la justice défendent bien courageusement les intérêts de leurs clients. Cependant, les nombreux incidents d’audience qui ont été enregistrés ces dernières années ont donné lieu à de vaines manifestations qui ont opposé des avocats à des fonctionnaires et, ce faisant, ils ont altéré la lucidité sur les véritables causes du mauvais fonctionnement de la justice. Il serait urgent que les avocats, par l’intermédiaire de leur Conseil de l’Ordre, s’impliquent positivement et avec responsabilité dans le débat. Il serait prudent d’avoir à l’esprit que tous ceux qui concourent au fonctionnement de la justice sont issus de la même formation, qu’ils subissent le même environnement institutionnel et social, qu’ils souffrent des mêmes difficultés. Il serait enfin plus efficace de s’atteler à résoudre les vrais problèmes et de considérer ces événements comme des épiphénomènes sans les négliger.

Au cours du mois de janvier 2005 vont se dérouler les élections pour le renouvellement des membres du Conseil de l’Ordre des avocats du bâtonnat d’Alger. Il est donc d’actualité de suggérer aux futurs élus des mesures à prendre, d’abord pour remédier aux difficultés de la profession d’avocat et ensuite pour la préparer aux nouveaux enjeux qui se dessinent. Pourvu qu’il en ait la volonté, le Conseil de l’Ordre des avocats pourrait prendre à court terme des mesures élémentaires d’organisation et de transparence de son activité, à moyen terme des mesures d’investissement immobilier et de formation des hommes et à plus long terme commencer à agir sur son environnement pour le plus grand bien de la profession d’avocat.

A court terme : il pourrait en premier lieu mettre en place une comptabilité transparente conforme au plan comptable national et charger un ou plusieurs commissaires aux comptes de la contrôler et d’en rendre compte à l’assemblée générale annuelle des avocats.

Il pourrait en second lieu mettre en place un budget annuel qui serait porté à la connaissance de l’ensemble des avocats. Ce budget devrait refléter son action et, en définitive, l’exécution du programme pour lequel ses membres ont été élus.

Il pourrait en troisième lieu renforcer son administration en recrutant du personnel qualifié. Il constituerait ainsi un secrétariat permanent qui serait chargé, notamment, de mettre en place, d’une manière urgente, des procédures écrites de gestion et de décision, de mettre en œuvre les décisions du Conseil de l’Ordre des avocats, d’assurer la continuité de son action et la sécurité de ses archives... Cela permettrait aux membres du Conseil de l’Ordre des avocats de se libérer des tâches de gestion et de se consacrer principalement à la discipline de l’ordre, à la préparation des décisions du conseil, à la communication avec les avocats...

Il pourrait en quatrième lieu améliorer le site web existant pour lui permettre d’abriter des informations utiles à la profession, une documentation mise à jour en temps réel, un forum d’échange d’expériences et d’idées, une consultation permanente des avocats sur l’activité du Conseil de l’Ordre des avocats. Dans ce cadre, tous les procès-verbaux des réunions du Conseil de l’Ordre des avocats, son budget et ses comptes devraient être immédiatement diffusés, et tous les avocats devraient pouvoir transmettre leurs observations, critiques et recommandations en temps réel.

A moyen terme : il pourrait en premier lieu engager un financement bancaire et/ou mobiliser les fonds utiles pour acquérir un terrain et bâtir un siège plus confortable. Il pourrait en second lieu engager des cycles de formation au profit des avocats pour leur permettre d’accéder au « nouveau métier d’avocat ». Ces formations pourraient être assurées par des institutions privées nationales et/ou étrangères. Il est évident que cette action exigera la bonne volonté des avocats qui souhaitent en bénéficier : d’abord en participant à son financement et ensuite en lui réservant du temps.Dès lors que le Conseil de l’Ordre des avocats aura acquis la confiance de ceux qu’il sert et qu’ils auront compris leur intérêt, ils ne manqueront pas d’adhérer à son action.

A plus long terme et à la condition que la profession d’avocat ait conquis de nouveau le respect qui lui est dû en mettant de l’ordre dans l’Ordre, elle pourra en premier lieu participer plus efficacement et d’une manière plus engagée à tous les débats de préparation de la législation nationale et aux décisions internationales dans les domaines qui concernent l’environnement juridique. Elle pourra enfin avoir une influence éclairée sur l’administration et obtenir des modifications législatives et/ou réglementaires en faveur de la profession. Elle sera même en mesure de formuler des recommandations en matière de programmes de formation officiels dans les domaines qui concernent le droit, en général, et la formation des avocats, en particulier. Ce diagnostic est sommaire et les solutions proposées pour le plus grand bien de la profession d’avocat paraissent évidentes. Prions Dieu qu’elles aient un effet positif avant que le tsunami de la mondialisation ne vienne réveiller les dormeurs.

Par Sid-Lakhdar Mohamed Rachid, El Watan