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Les vérités de Mouloud Hamrouche

mardi 10 mai 2005, par nassim

Voulant probablement conforter sa réputation « d’homme des réformes » sur fond « d’homme politique averti », pour une première sortie après un long mutisme, Mouloud Hamrouche a reconnu que l’économie nationale est « hors normes ». Il a aussi avoué implicitement que « le cabinet noir » était cette expression qui faisait de l’Algérie un pays « qui se bat contre un ennemi qui n’existe pas ».

Mouloud Hamrouche

L’ex-chef du gouvernement, Mouloud Hamrouche, est donc sorti hier de son long mutisme en acceptant l’invitation de la fédération des cadres des finances et de la comptabilité pour animer leur tribune qu’ils appellent « les lundis de l’économie ». Son come-back sur la scène nationale, bien qu’il fût limité à une intervention d’aspects économiques, a dégagé au sein de l’assistance venue de divers horizons, de forts relents politiques. L’on entendra notamment qu’il se fait en prévision d’une échéance précise, à savoir la préparation de l’élection présidentielle de 2009. D’ici à ce que ce rendez-vous soit effectif, l’ex-chef du gouvernement a préféré commencer par dire ce qu’il pense des réformes menées en Algérie. Son intervention à ce sujet se voulait presque un cours magistral à ceux qui voudraient avoir une définition de la mondialisation qui, « différente de l’internationalisation », « met surtout en compétition les systèmes économiques et sociaux (...) qui se mondialisent à l’abri de tout contrôle politique et de toute régulation sociale, en soumettant tout à la loi de l’équivalence ».

Hamrouche estime que « cela accroît le pouvoir des groupes transnationaux et limite celui des Etats et des organisations internationales, sauf pour le FMI, la Banque mondiale et d’une certaine manière l’OMC ». Mais « cela provoque également restructurations, délocalisations, destructions, baisse des revenus, pertes d’acquis sociaux, démantèlement des droits tarifaires et l’extension des zones de violence et de pillage ».

C’est à ce niveau de la réflexion que Mouloud Hamrouche instaure une jonction entre son cours magistral sur la mondialisation et la réalité économique et sociale algérienne ou précisément la méthode de gouvernance appliqué jusque-là par le pouvoir en place. « Nos sociétés quant à elles, s’enferment dans des refus archaïques ou des comportements irrationnels derrière des formes ethniques, religieuses, linguistiques conduisant à l’émergence de peuples ou groupes de population dépolitisés et défigurés ». Ce qui a favorisé le pire, à savoir, selon lui, « l’extension de l’espace de non-droit, les abus, l’arbitraire, l’érosion de toute légitimité et l’apparition de toutes formes de violence ». Première conclusion, « l’Algérie a subi, à l’instar de beaucoup d’autres pays, les méfaits de la mondialisation, mais, à l’inverse de beaucoup d’autres, elle n’a pas su en tirer avantage ». Hamrouche indique ainsi qu’elle a refusé de saisir les transformations économiques et stratégiques du monde ; elle a choisi le statu quo ; elle a préféré rester dans l’univers de l’économie fermée et administrée ». Il explique que « beaucoup d’intérêts inavoués se sont ligués contre toute réforme et tout changement ». Dans le jeu des questions-réponses auquel il s’est prêté, l’ex-chef du gouvernement a reconnu que « l’Algérie particulièrement a échoué dans la mise en oeuvre des réformes ». Il ne semble pas vouloir impliquer son gouvernement dans un quelconque échec puisqu’il souligne que, « nous à l’époque, nous n’avions pas les possibilités de réformer ». On n’en saura pas plus que la question. Sauf peut-être qu’il reconnaît que « les réformes ont échoué parce qu’on a refusé de donner la chance aux cadres de les faire ».

Depuis l’élection de Bouteflika, pensez-vous que les centres décisionnels ont été déstructurés, déplacés ou cassés, ou, comme dirait feu M’Hamed Yazid, à votre avis, le cabinet noir existe-il toujours ? lui avions-nous demandé. « Je crois que l’Algérie est le pays de Cervantès, l’homme qui se bat contre les moulins à vent, contre un ennemi qui n’existe pas, et celui de Sisyphe, je m’excuse si les deux images sont un peu fortes, mais ce sont les seules que je peux utiliser pour décrire notre système », répond-il. Bien qu’ayant été proche du pouvoir, Hamrouche s’abstiendra encore une fois de préciser sa pensée. Les gouvernements qui vous ont succédé, ont-ils fait tout faux ? « Je n’en ai aucune idée, je ne suis pas en mesure de juger leur action », a-t-il dit en soulignant que « dans un pays où l’informel prime sur l’officiel y compris dans l’officiel, toute action informelle empêche toute action concrète de se déployer sur le terrain ». Dans son intervention, il a pourtant bien souligné qu’en bloquant les réformes sans opter pour une autre alternative, l’Algérie a gâché ses chances ; elle a perdu tous ses acquis sociaux et dilapidé les fruits de son effort de trois décennies sans avoir, pour autant, mis le pied ni dans l’économie de marché ni dans la globalisation ; elle n’a pas su se mettre à l’abri des violences non plus ». Il sera interrogé sur le rôle qu’il se doit de jouer en tant qu’homme politique pour initier « une alternative ». Ce à quoi il a répondu : « je crois que ce type de raisonnement est exactement le même qui a conduit le pays dans l’impasse.

Un homme politique peut-il tout seul imaginer un beau projet et l’exposer quelque part ?!? » A quelques propos plus loin et tout en regrettant que l’action politique n’existe pas, il admet que « le pays n’a pas besoin d’alternative mais d’actions concrètes pour obliger les gens à respecter un minimum de normes ».

Le poids du passé et des pratiques de non-droits, constituent pour l’ex-chef du gouvernement un véritable frein pour les réformes. Il rappelle que la loi sur la monnaie et le crédit adoptée en son temps de chef de l’Exécutif, a été « pour consacrer l’ouverture, l’économie de marché, de compétition et permettre les contre-pouvoirs ». Mais, « depuis le départ de mon gouvernement, le pays a commencé à glisser dans l’informel, il devait entamer la réforme des banques, mais c’est avec la pratique des non-droits et dans une situation de déliquescence des banques publiques que les banques privées ont été créées et ont été dissoutes en dehors de toute loi », reconnaît-il. « Peut-on penser à la convertibilité du dinar quand le système financier n’existe pas ? » s’est-il interrogé plus loin en soulignant que « c’est une absurdité ! » D’ailleurs, il estime qu’il faut aller « sur les places boursières du Square, de Chlef et de Boukadir... pour savoir qu’elle est la valeur du dinar ». Les 55 milliards de dollars alloués à la réalisation du plan de consolidation de la croissance, Hamrouche est persuadé que le pays n’a pas les capacités de bien les utiliser. « L’Algérie a une économie qui évolue hors normes », a-t-il relevé.

Hamrouche parlera longuement aussi de la privatisation. « Parler de la privatisation comme un préalable ou conséquence de la mondialisation, c’est risquer une mystification ou une désillusion de plus », a-t-il dit. « Jamais admise comme un choix politique, elle a été avancée par insinuations comme réponse à la faiblesse managériale, à la médiocrité des performances et au déficit financier », a-t-il reconnu à ce sujet. Il estime que les préalables d’une privatisation réussie sont légitimation des positions économiques et sociales, des situations de droit et de légalité, des autorités indépendantes de contrôle, des gestionnaires identifiés et responsabilisés, des organes de vérification (...) et autres tribunaux de commerce, les procédures de liquidation et de cession. La privatisation de Sonatrach devrait signifier, selon lui, une société prête à se mettre dans la compétition en dehors d’une économie administrée. En dernier, il fera remarquer que « l’OMC n’exige rien, elle est juste une instance d’arbitrage, c’est un lieu où les gens peuvent venir se plaindre ». Mais « la puissance économique d’un pays est déterminante dans ces enjeux et dans ce jeu », dit-il. Pour le cas de l’Algérie, l’ex-chef du gouvernement pense que l’urgence est qu’elle dispose d’un projet global de modernisation. Encore faut-il pour cela qu’elle se rappelle de nouveau ce qu’elle est, ce qu’elle veut et où elle veut aller ».

Par Ghania Oukazi, quotidien-oran.com